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Vers Un Nouveau Contrat D’Entente Sociale

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Le temps des Lumières est révolu. Terminé. Ils ont pensé le « raisonnable » et ont bousculé le modèle souverainiste. Il nous faut aller dans le sens de notre Histoire. A nous de faire avancer l’usage de la Raison dans la vie politique au service d’une démocratie ouverte à l’altérité ; à nous de promouvoir un nouveau paradigme, tourné vers l’Entente Sociale.

A l’époque des trois premiers présidents de la cinquième république (de Gaulle, Pompidou et Giscard), le paysage politique français est un théâtre. Les leaders des partis politiques s’affrontent. Ils ont des troupes engagées. Les positions sont tranchées, les discours prononcés avec ferveur et entendus avec enthousiasme ou consternation.

  • La droite est arc-boutée sur des préoccupations économiques, soutenant ostensiblement le patronat des grandes entreprises. Élitiste, elle favorise les relations des familles et des clans. Un grand nombre d’électeurs s’en tient à une posture de fidélité pour une politique encourageant l’emploi et la création d’entreprise. L’initiative individuelle est magnifiée. Ainsi, une majorité électorale est maintenue, avec le Sénat comme bastion. Cette orientation politique conjugue la réussite financière, l’individualisme, la solidarité clanique avec sa charité. Elle compense avec des bonnes œuvres par le biais d’un tissu associatif peu dynamique sur le plan militant, mais très opérationnel en matière de collecte de fonds.
  • La gauche est porteuse des revendications sociales et salariales. Le bien commun est dans sa devise, l’Internationale est dans son répertoire. La gauche, héritière des initiatives et des discours de solidarité et de fraternité, étend ses ramifications depuis les partis politiques aux associations jusqu’aux syndicats. Parfois, les rapports de force avec l’autre camp se concluent par des transactions tenues secrètes. Cette gauche valorise l’instruction et les maîtres d’écoles côtoient des industriels ou leurs délégués sur les bancs des députés.

Les deux camps ont leurs relais de l’entreprise à la vie associative, dont les objectifs se confondent avec les collectes de fonds, allant du sponsoring, aux legs, dons et obtention de subventions à tous les niveaux.

Ce multipartisme s’étend jusque dans ses extrêmes qui se rejoignent dans des conceptions autoritaires. Il s’ouvre néanmoins en dehors des lignes avec des groupuscules, dont certains développent des initiatives originales, des conceptions avant-gardistes. Dans ce creuset, la marginalité des années 1970-1980, comme l’écologie, va devenir la préoccupation majeure du siècle qui emboîte le pas.

Et, en quelques années, l’orthodoxie politique se fissure. Les positionnements idéologiques sont moins tranchés, voire plus obscurs. Déjà, après l’ébullition de la fin des années 1960, dans la décennie suivante, au sein des rangs de droite, la fin de la lutte des classes est proclamée. Les briseurs de grèves jouent d’une identité syndicale. Le constat est fait que les ouvriers votent minoritairement à gauche. La majorité cherche à rendre illégitimes les organisations syndicales ouvrières reconnues représentatives. Le chômage grimpe et les contestations sont de plus en plus fortes. Tandis qu’il poursuit la politique libérale dont il est l’héritier, Giscard restreint les libertés d’expression et augmente la présence policière. Il initie une novlangue et les balayeurs sont renommés « technicien de surface ». Mitterrand est élu en 1981. Après une courte période où s’esquisse le dialogue social dans les entreprises, il reprend une politique à tendance libérale. Les radios libres de l’aspiration populaire sont emportées dans le giron de la finance. Celles qui résistent disparaissent discrètement. Le parti communiste quitte le gouvernement en 1984. Il existe une lassitude des affrontements verbaux.

La télévision fait entrer les querelles de leadership dans les foyers. Une idée consensuelle semble monter : et si tous ceux-là travaillaient ensemble au lieu de s’affronter aux dépends de leurs électeurs ?

Stratège pour préserver sa présidence, Mitterrand met en place une première cohabitation (1986). En deux autres cohabitations (1993 et la troisième avec la présidence de Chirac 1997), un grand gommage est opéré sur le paysage politique.

Les leaders du parti socialiste et de la droite traditionnelle voient des opportunités de portefeuilles ministériels. Ils abandonnent les bases militantes. Les syndicats perdent leurs adhérents, les partis de gauche aussi. Le militantisme s’épuise. C’est l’effondrement d’une gauche revendicatrice. Pour compenser, en 1988, les élus adoptent un système de financement public des partis politiques. Les discours deviennent indistincts. Les politiques de gauche sont oubliées. Les privatisations se succèdent.

Sur fond d’argumentation de « dette publique » attribuée à la responsabilité collective, de chocs pétroliers et de « crise économique », le patrimoine national est versé dans l’actionnariat.

Progressivement, les différences entre les lignes politiques s’estompent. Les leaders issus des mêmes écoles se passent les relais ou coopèrent. Les messages politiciens sont modélisés par la construction d’une Europe « libérale », dont certains initiateurs du concept au temps des Lumières auraient été sidérés.  Les messages politiciens de gouvernement deviennent peu distincts au point de susciter de nombreux sarcasmes d’une extrême droite qui amalgame les sigles des partis cohabitationnistes.

Après des moments d’espoir, de perplexité, d’attente et d’impatience, un nombre de plus en plus important de personnes ne se retrouve pas dans les organisations reconnues par l’Etat. Les syndicats perdent en crédibilité autant que les partis politiques. Les mots d’ordre généraux n’ont plus guère d’impact. Les mobilisations deviennent de plus en plus sectorielles. Le referendum de 2005 sur la constitution européenne bafoué ne fait pas bouger les foules. C’est comme si une sorte d’apathie s’abattait sur l’esprit réputé râleur des Français.

Le développement de l’automatisation, l’informatisation, la délocalisation des entreprises et les privatisations infligent de lourdes sanctions au « marché du travail ».

Les cohabitations se multiplient. L’ère est à des alliances où des observateurs y voient toute sorte de complots. La voie est ouverte aux transfuges. Bernard Kouchner est sans doute le plus visible dans cette démarche. Pendant la campagne électorale de 2007, le retournement soudain d’Eric Besson passant d’un camp à l’autre suscite l’effarement. Il est vécu comme une trahison par certains, tandis que d’autres y voient du pragmatisme, soit une action d’un opportunisme réaliste. Les deux sont nommés ministres par Sarkozy. L’élitisme de droite change de visage. Mais la politique reste ancrée sur les représentations néo-libérales. L’intégration se fait par la représentation de la « réussite » financière, sociale ou politique. Sarkozy, juste élu, ancien ministre de l’intérieur, s’affiche avec un tee-shirt de la police new-yorkaise. Tandis que l’économie française puise toujours des richesses en Afrique, le nouveau chef d’Etat dit aux Africains qu’ils ne sont pas « encore entrés dans l’Histoire ». Il provoque le lynchage de Mouammar Kadhafi qu’il a reçu en ami quelques années plus tôt.

Le leitmotiv est « décomplexé »

Puis, en 2012, malgré des financements exorbitants et sulfureux de la campagne de son adversaire, Hollande obtient la majorité des suffrages. Les gouvernements successifs remettent en scène des cadres du parti socialiste. Toutefois, la politique suivie est dans la même veine que celle de son prédécesseur. C’est le discours de la « real-politique ». Les attentes de l’électorat populaire ballotté entre le « sens républicain » et l’instrumentation de l’extrême droite sont devenues inaudibles.

L’injonction du sens de la vie en société est affirmée : réussir ou subir.

Un marasme politique a tracé le chemin d’une conception politique de négation des grandes difficultés sociales. Que certains se sortent des situations économiques difficiles et l’idée se répand sur les marches des pouvoirs que c’est possible pour tout le monde. Le sens de la vie est exprimé de manière binaire : il y aurait ceux qui seraient faits pour diriger et ceux qui seraient faits pour être dirigés ; il y aurait ceux qui seraient faits pour être riches et les autres.

Chacun son sort et, injonction de servitude volontaire, que chacun accepte cette idée au nom de l’ordre public.

La déception sur le système de votation conduit à divaguer sur des pratiques antiques. Au temps d’une démocratie bienheureuse, la Grèce antique aurait tiré au sort ses représentants. On se souvient que Giscard avait chanté « La pêche aux moules » ; ici, on magnifie les coquilles d’huîtres qui servaient à voter sur un « ostracisme ». Ne voyant pas de compétences plus avérées chez ceux dont la vocation serait dans la vie politique plus que chez ceux qui ont reçu une formation supérieure, certains fantasment sur le tirage au sort de quelques représentants.

Dans la foulée des revendications citoyennes des Gilets Jaunes qui durent depuis novembre 2018, un nouveau mélange est fait. La finance est mise à la gestion de la démocratie participative : à coups de statistiques et d’échantillons, l’avis des citoyens est tiré au sort par une société de sondage pour discuter du climat et de l’écologie.

La deuxième décennie du 21ème siècle s’ouvre sur une pensée quasi unique dans les couloirs de la vie politique.

L’ambition de l’extrême droite a fait de son parti fasciste, dont les dirigeants dansent sur des rythmes nazis, une plateforme de rencontre avec des recrues des grandes écoles. Ils annoncent des années brunes. Pendant ce temps, dans les étages de la gouvernance, un discours de crise économique est entretenu. Il vise à faire taire les revendications des plus mal lotis. Les violences des contestataires sont condamnées, et celles des « forces de l’ordre » doivent être applaudies. Les lanceurs d’alerte sont dénigrés, poursuivis, emprisonnés, condamnés. Au nom d’une politique communautaire, les biens communs sont dilapidés, les systèmes de solidarité déstructurés, les entreprises qui rapportent le plus à l’Etat sont privatisées. Une novlangue fait le lien entre liberté et esprit sécuritaire, paix sociale et répression, solidarité et responsabilité personnelle, égalité et réussite personnelle. Si la vie économique va au gré des bénéfices des actionnaires boursiers, la vie sociale est à l’écueil. Dans les entreprises, la culture managériale est à la dérive. Le dialogue social est refondu sans concertation. Après la mode des risques et de la sécurité, les slogans vont sur la bienveillance et la qualité de vie au travail.

Dans les écoles, jusque dans les lieux les plus sécurisés, les agressions, les suicides et les meurtres se succèdent. Ces actions sont autant de marques d’écœurement de l’existence, sacrificielles et criminelles à la fois.

Il est devenu clair que le Contrat Social est trop ancien. Le modèle issu des Lumières et imposé par la vision napoléonienne, n’est plus adapté à notre société de communication. La conception de la « servitude volontaire » qui s’impose aux citoyens facilite les abus de position dominante, d’autant plus avec les jeux d’immunité. Les élus à la présidence, après avoir brigué le poste suprême, guignent sur le culte de la personnalité. A la manière de Sarkozy, ne calculant que sa réélection, Macron repart en campagne pour participer à des dialogues aux questions maîtrisées. Son équipe est absente, sauf à considérer ceux qui l’entourent en fusibles, et qui, mis en cause pour diverses prévarications, bénéficient de sa protection de premier magistrat.

Le paradigme sociétal doit être repensé pour s’orienter vers une entente sociale.

A une époque, le multipartisme semblait garantir la liberté d’expression. Il est devenu l’instrument des affrontements entre leaders. La perte de crédibilité jusqu’à l’effondrement des partis a conduit à une forme de pensée unique. La tolérance marque les seuils de la liberté d’expression. Dans les manifestations, les citoyens sont éborgnés, mutilés, et aussi emprisonnés. Des personnes sont tuées. Des journalistes sont empêchés, arrêtés, violentés. Il est également révélateur que le nom du ministre de l’intérieur est plus connu que celui de l’éducation.

La société occidentale se heurte à un profond changement.

Les nouveaux outils de production et de gestion génèrent des inégalités abyssales. Les politiciens, avec leurs préoccupations économiques, ne prennent pas la mesure de l’actualité. Tandis qu’ils se tournent enfin vers les conséquences de la frénésie industrielle, ils en viennent à se préoccuper du réchauffement climatique. Mais c’est d’abord le sort des citoyens d’aujourd’hui qui est prioritaire. Car c’est là, d’abord, que se construit l’héritage de notre civilisation, par ce qui est vécu aujourd’hui, par les gens du présent. Et nul n’est obligé d’assurer des tâches qui le dépasse et s’il en prend la responsabilité, il a des devoirs envers ceux à qui il fait des promesses, en dehors de toute contrainte.

Le temps des Lumières est révolu.

Le temps des Lumières est révolu. Terminé. Ils ont pensé le « raisonnable » et ont bousculé le modèle souverainiste. Il nous faut aller dans le sens de notre Histoire. A nous de faire avancer l’usage de la Raison dans la vie politique au service d’une démocratie ouverte à l’altérité ; à nous de promouvoir un nouveau paradigme, tourné vers l’Entente Sociale.

 

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