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Ursula Von Der Leyen : Une Européenne Engagée À La Tête D’Une Institution Majeure

Source : Tobias Schwarz.

La présidente de la Commission européenne qui a pris ses fonctions en janvier dernier se souviendra longtemps de son baptême du feu : négociations sur le Brexit et crise sanitaire planétaire ! Portrait.

 

Une nouvelle figure de la scène politique mondiale a émergé lors des trois mois de crise aiguë du coronavirus, celle, imperturbablement souriante d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne depuis le mois de janvier. Une percée tonitruante qui cadre mal avec la personnalité discrète, tout en finesse et diplomatie, de cette Allemande de 60 ans. Contrainte d’entrer dans l’arène médiatique enflammée par la pandémie, l’ex-ministre d’Angela Merkel a secoué les chefs d’État du Vieux Continent en intervenant en anglais, en allemand et en français, notamment pour appeler à la solidarité entre les pays de l’UE, tentés par le repli national. Cette femme douce, toujours très apprêtée, a montré qu’elle pouvait railler les initiatives qu’elle jugeait inappropriées, comme le « coronabonds » souhaité par les Italiens, ou même tacler les comportements anti-européens des États membres profitant de la situation pour prendre des mesures ultra-protectionnistes comme la Hongrie de Viktor Orban. Prenant plus de risques que ses prédécesseurs, elle a commis quelques gaffes, comme ce jour où elle a suggéré que les personnes âgées devraient rester confinées plus longtemps que les autres pour éviter de s’exposer au virus. Cette sortie perçue comme discriminatoire lui a coûté des excuses publiques. Elle a dû aussi demander pardon aux Transalpins, dans une tribune publiée par le quotidien italien La Repubblica, au nom de l’UE. « Aujourd’hui, l’Europe se mobilise aux côtés de l’Italie. Mais cela n’a pas toujours été le cas », a reconnu Ursula von der Leyen. 

 

Von der Leyen, ça déménage ! 

D’où vient cette dirigeante atypique, peu appréciée par les cadres de son parti, la CDU (centre-droit, démocrate-chrétien)? Née à Bruxelles en 1960 où elle demeure jusqu’à l’adolescence, Ursula Albrecht apprend à parler couramment le français et l’allemand à l’École européenne. Puis elle suit ses parents en Grande- Bretagne et aux États-Unis où elle s’approprie l’anglais et se distingue en sciences. Sportive émérite, elle excelle dans les compétitions de sport équestre. Entre 1977 et 79, elle intègre la London school of economics sous un nom d’emprunt car, à cette époque, les groupuscules d’extrême gauche pratiquent le kidnapping d’enfants de grandes familles fortunées. La Fraction Armée rouge a menacé de l’enlever, ce qui lui vaut d’être protégée comme une haute personnalité. Elle déclarera par la suite qu’à Londres, elle a « plus vécu qu’étudié » pour « tâter de tout ». Une formule sibylline qui sera diversement interprétée… En 1980, elle rejoint ses parents en Allemagne où son père dirige le groupe Bahlsen et change brutalement de direction : Ursula se lance dans des études de médecine. Elle sera diplômée onze ans plus tard.

Dans l’intervalle, elle se marie avec un scientifique, Heiko von der Leyen. Elle commence à exercer la médecine dans une maternité de Hanovre, avant de suivre son époux à Stanford, en Californie, où il enseigne à l’université. Ursula von der Leyen qui enchaîne alors les grossesses arrête de travailler et suit à nouveau des cours d’économie pour affiner sa formation.

Ursula, dont la vie ressemble à un voyage incessant, retourne en Allemagne en 1996 et occupe un poste d’assistante chercheuse au département d’épidémiologie à la faculté de médecine de Hanovre. Elle n’imagine pas alors que ces travaux la préparent à se confronter, un quart de siècle plus tard, à une redoutable épidémie mondiale qui sera sans doute gravée dans les livres d’histoire… Toujours est-il que la politique la titille. Elle rejoint la CDU dont son père fut un cadre dirigeant et se fait élire régionalement le 2 février 2003. À 44 ans, cette économiste, médecin, cavalière et mère de sept enfants, devient députée au Landtag de Basse-Saxe.

 

La dauphine d’Angela Merkel

Quelques semaines plus tard, elle entre pour la première fois au gouvernement en qualité de ministre des Affaires sociales, des Femmes, de la Famille et de la Santé. En 2005, Angela Merkel s’empare de la chancellerie et forme un gouvernement de coalition. Une quasi-union nationale. Elle confirme dans ses fonctions Ursula von der Leyen qui se distingue par son audace féministe. Aujourd’hui encore, le système de crèches et de gardes d’enfants qui permet aux femmes allemandes de travailler comme les hommes lui doit beaucoup. Dans le même esprit, elle crée un congé paternel rémunéré de deux mois. Sur un petit nuage, elle communiqueà tout va, devient très populaire outre-Rhin et, au passage, la chouchoute d’Angela Merkel.

Portée par le soutien de l’opinion, elle s’attaque à la pédopornographie en ligne, fléau qu’elle a décidé d’éradiquer en demandant aux fournisseurs d’accès de bloquer les sites internet illicites. Elle se voit à cette occasion affublée d’un surnom qui la suivra quelque temps, « Zensursula » (« Censursula », en français), et subit un premier échec sur la scène politique. Échec qui ne freine pas son ascension, car le duo Angela-Ursula se consolide. Celle que l’on commence à nommer par ses initiales, UVDL, part à l’assaut du Bundestag. Elle est élue députée en 2009 et nommée dans la foulée ministre du Travail et des Affaires sociales. Forte de ses succès, elle se porte candidate à la présidence fédérale. Mais les hommes se rebiffent et Ursula est battue par Christian Wulff. Qu’à cela ne tienne, « Mutti » continue de la promouvoir. Lors du remaniement de 2013, l’ex-médecin est pressentie au ministère de la Santé mais, surprise, c’est à la Défense qu’elle s’installe. Une première en Allemagne ! Son statut de dauphine de Merkel se renforce.

 

Tremplin ou planche pourrie ?

Comme à chaque poste où elle est passée, UVDL marque son territoire. Sur le plan symbolique d’abord, elle annule les hommages aux officiers qui ont servi Hitler, même s’ils ont rendu des services à la nation allemande auparavant, par exemple les honneurs faits au général Rommel. Au niveau stratégique ensuite, elle assume de ne pas armer l’Ukraine en conflit avec la Russie pour donner leurs chances aux négociations entamées par les Européens. Dans le domaine économique enfin, elle serre les boulons sur l’achat de matériel militaire, quitte à se mettre à dos certains cadres de l’armée allemande, qui ne lui pardonneront pas ce qu’ils considèrent comme un affront. La presse commence à la critiquer ouvertement, sa popularité dégringole sous les 30 % en 2019 et surtout, Merkel prend ses distances. Elle n’est plus son successeur attitré.

À l’été, la succession de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne est ouverte. Nul ne fait l’unanimité. Le blocage menace. C’est Emmanuel Macron qui va sortir de son chapeau le nom d’Ursula von der Leyen, certes membre de la CDU mais suffisamment progressiste et écolo pour plaire à la gauche. Angela Merkel valide la proposition du Président français et UVDL est officiellement choisie. Pour le meilleur ou pour le pire ?

 

 

Elle la soutient :

Nathalie Loiseau, député européenne : L’ex-ministre française des Affaires européennes (2017-2019) apprécie de longue date Ursula von der Leyen, même si elles n’appartiennent pas au même camp politique. Députée européenne centriste, Nathalie Loiseau soutient notamment son projet écologique de « green deal ».

Comment avez-vous connu la présidente de la Commission européenne ?

NATHALIE LOISEAU : Cela remonte à plusieurs années. Elle était ministre de la Défense en Allemagne et je dirigeais l’ENA. Elle a accepté d’être la marraine d’un cycle d’études européennes et l’a inauguré en français. Je l’ai retrouvée ensuite comme ministre des Affaires européennes en 2017. J’étais en charge des conseils des ministres franco-allemands.

Pourquoi l’avez-vous choisie comme marraine à l’ENA ?

N.L. : C’était une figure montante de la classe politique allemande et une européenne convaincue. Elle a appartenu à quatre gouvernements d’Angela Merkel, et elle s’est distinguée, parfois en étant à contre-courant de l’opinion. Elle est courageuse.

Comment qualifiez-vous son style ?

N.L. : L’air de ne pas y toucher, elle fait bouger les lignes. Physiquement, c’est une jolie femme très soignée, soucieuse de son apparence. Elle a plus de charme que de charisme. Elle est toujours courtoise.

Comme Angela Merkel…

N.L. : Merkel est timide, pas elle.

Pourquoi dites-vous que c’est une européenne convaincue ?

N.L. : Elle est beaucoup plus claire que d’autres dirigeants de son parti, la CDU, confrontés à la montée de l’extrême droite en Allemagne. Certains ont pris des distances avec l’Europe. Elle a été capable de recadrer le Premier ministre Viktor Orban quand il a pris des mesures liberticides en Hongrie. En même temps, elle cherche toujours à rapprocher les 27 membres de l’UE, en dépit des clivages.

Que pensez-vous de son action pendant la crise du coronavirus ?

N.L. : On voit qu’elle a été médecin et qu’elle sait de quoi elle parle. Mais elle a été frustrée dans ses initiatives car la Santé n’est pas une compétence de la Commission européenne. Elle a agi sur les leviers qui étaient à sa portée : elle a tenté de coordonner les achats de matériel médical en Europe ou le rapatriement des ressortissants européens. Elle a inventé un mécanisme de soutien au chômage partiel en Europe très innovant. Elle n’a pas hésité à laisser de côté le pacte de stabilité. Elle aurait aimé que la sortie du confinement soit aussi coordonnée au niveau de l’UE, mais c’était impossible.

Dans quel domaine a-t-elle la possibilité de transformer l’Europe ?

N.L. : L’environnement. Elle a présenté un pacte vert et veut que l’Europe investisse 1 000 milliards d’euros sur dix ans pour la transition écologique. C’est colossal et indispensable. LREM la soutient.

Pourquoi n’est-elle pas plus populaire dans son propre pays ?

N.L. : On a trop dit qu’elle devait succéder à Merkel. Ça a peut-être fini par irriter la chancelière qui n’était pas prête à organiser sa succession. Et au sein de la CDU, elle fait les frais d’une forme de solidarité masculine commune à beaucoup de partis. Ils ont coché la case « femme » avec Merkel qui est là depuis une éternité. Pour lui succéder, ce sont des hommes qui sont en compétition aujourd’hui.

Quel est son point faible ?

N.L. : Elle a un côté solitaire. Elle cogite ses projets en petit comité, sans beaucoup consulter. Mais la machine européenne est lente, il y a des résistances, il faut savoir passer du temps au téléphone pour bâtir des coalitions. Elle doit aussi gérer des commissaires qui sont des stars, des anciens ministres comme Timmermans ou Breton. Pas facile.

Est-elle aussi proche de la France qu’on le dit ?

N.L. : Oui, sa francophilie n’est pas une coquetterie. Elle a soutenu de multiples propositions françaises comme le Green deal ou le salaire minimum européen. Elle a grandi à Bruxelles, où la culture française est très présente. Mais elle est très à l’aise partout. C’est ce qu’on demande à ce poste.

 

Il la critique :

Arnaud Danjean, député européen : Le député européen français du PPE connait Ursula von der Leyen depuis l’époque où elle occupait le ministère de la Défense en Allemagne et l’a retrouvée en janvier 2020 en qualité de présidente de la CE. Ce spécialiste des questions militaires est très sceptique sur ses chances de réussite à ce poste très exposé.

Qu’est-ce qui vous a frappé chez elle lors de ces premières entrevues ?

ARNAUD DANJEAN : Tout d’abord, qu’elle ne possédait aucune compétence particulière sur les questions de Défense. Ce qui se disait à l’époque, c’est qu’Angela Merkel lui avait confié ce poste parce qu’elle voulait en faire son successeur. C’était sa façon de la valoriser. Placer une femme à cet endroit, c’était une manière de la propulser d’un coup sur la short list des chancelières potentielles.

Elle avait quand même des qualités ?

A.D. : Bien sûr ! Elle communiquait facilement, même dans notre langue, ce qui plaisait aux francophones. Elle était francophile et cherchait toujours à rapprocher les points de vue. En revanche, dans son pays, elle était contestée. Elle a été mêlée à une affaire de favoritisme dans l’obtention de marchés publics. Et elle n’était pas appréciée des militaires avec lesquels elle avait eu des désaccords sur le renouvellement d’équipements.

Et au niveau politique ?

A.D. : Elle n’était pas très aimée au sein de la CDU. Les dirigeants du parti trouvaient que tout lui tombait tout cuit dans le bec. Merkel l’a compris, d’où plusieurs tentatives d’exfiltration.

C’est-à-dire ?

A.D.: Il y a deux ans, son nom a d’abord circulé pour un poste à l’Otan. Ça n’a pas marché. Ensuite, il est revenu sur le tapis pour la commission européenne. La version officielle, c’est que c’est Macron qui l’a proposée. En réalité, Merkel l’y a incité parce que si ça venait d’elle, ça aurait encore bloqué.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il soutenu sa candidature ?

A.D. : C’était bon pour lui. Pousser une Allemande montre qu’il est un Européen authentique. Et bien sûr, c’est toujours bien de nommer une femme à un poste aussi haut.

Soutenue par Macron et Merkel : cela lui donne d’importantes marges de manœuvre…

A.D. : Ce n’est pas si évident. Son prédécesseur, le Luxembourgeois Jean- Claude Juncker, avait été choisi parce qu’il avait été tête de liste aux élections européennes. Il avait le soutien du PPE pour la commission. Elle, non. Le PPE voulait Weber. Elle est toujours obligée de jeter des ponts vers d’autres formations que la sienne pour obtenir des majorités, notamment de ratisser à gauche.

Elle est tout de même sincère sur ses convictions écologiques ?

A.D. : Oui, je pense. Elle veut un Green deal. Contrairement à ce qui se passe en France, la droite allemande est très écolo donc il n’y a pas d’incompatibilité dans ce domaine. Mais quid des agriculteurs ? Elle n’en parle jamais.

Depuis qu’elle préside la Commission européenne, que pensez-vous de son action d’une manière générale?

A.D. : Elle s’est exprimée devant le groupe et elle m’a déçu, même si je ne nourrissais pas d’espoirs démesurés dans sa prestation. Elle ne maîtrise pas la machine administrative de Bruxelles. Elle est arrivée en pleines crises (Brexit, Covid) et, ne connaissant pas les rouages, elle a fait courir des risques à la commission. Elle était mal préparée, ne connaissait pas ses dossiers. La CE a besoin d’un vrai manager très compétent dans cette période tendue. Juncker avait été chef de gouvernement, cela se sentait dans ses prises de parole ou ses décisions.

Elle est tout de même revenue dans le jeu en proposant une coordination économique européenne pour se relever après la crise.

A.D. : Je ne crois pas que les États prendront en compte son opinion. C’est comme son idée de « Commission géopolitique ». C’est bien gentil mais pour l’instant, la Défense et la Sécurité ne font pas partie des compétences de la commission.

 

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