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Plan Banlieues : Faut-Il Sauver Le Rapport Borloo?

© GettyImages

Après avoir annoncé une « mobilisation nationale pour les villes et les quartiers » en novembre dernier, Emmanuel Macron doit prononcer un discours très attendu sur les banlieues mardi 22 mai à l’Elysée. Dans le collimateur : le rapport remis par Jean-Louis Borloo il y a près d’un mois au gouvernement et qui passe plutôt mal auprès de l’exécutif et des parlementaires de la majorité.

5 milliards d’euros pour sauver les banlieues ?

L’ancien ministre de la Ville avait promis un big bang pour les quartiers prioritaires. Et c’est finalement un tsunami financier qu’il est soupçonné de vouloir créer. Il faut dire que Jean-Louis Borloo n’y est pas allé de main morte au moment de chiffrer son plan d’action, dont l’ambition est de provoquer « un changement radical dans la conduite de l’action publique ».

Appelant à la reprise immédiate de l’effort de rénovation urbaine, qui avait coûté la bagatelle de 48 milliards d’euros en dix ans, Borloo propose au président de la République la création d’un fonds de plus de 5 milliards d’euros, notamment abondé par les cessions des participations de l’Etat en 2018.

Tout cet argent va-t-il vraiment servir à régler les problèmes des banlieues ?

C’est toute la question. Car jusqu’à présent, les sommes astronomiques déjà investies, notamment dans l’immobilier, n’ont pas empêché la concentration dans les 1 200 quartiers prioritaires de la ville (QPV) des pires difficultés : carences éducatives (avec un illetrisme encore très élevé), difficultés d’intégration, de sécurité, et un chômage bien supérieur à celui rencontré dans les autres territoires.

Puisque la méthode traditionnelle n’a pas produit les résultats escomptés, faut-il espérer que la copie de Jean-Louis Borloo change la donne, alors que précisément il place la rénovation urbaine au cœur de ses propositions remises le 26 avril dernier à Edouard Philippe ?

Ce serait évidemment injuste à son égard de réduire sa vision du « plan banlieues » à ce seul outillage. Après tout, c’est un ensemble complet de 19 mesures ambitieuses que l’ancien maire de Valenciennes a exhibé à l’issue d’une très large consultation des élus et de la société civile.

Mais si le rapport est décrié jusqu’au sommet de l’Etat, c’est non seulement parce qu’il aboutit à se tirer une balle dans le pied sur le plan budgétaire, alors que la France sort à peine de la procédure de déficit excessif dans laquelle elle est empêtrée à Bruxelles depuis 2009, mais aussi parce que la philosophie qui le sous-tend fait grincer des dents.

Rénovation urbaine ou transformation globale ?

Si chacun est conscient que l’Agence pour la rénovation urbaine (Anru) d’ailleurs installée par Jean-Louis Borloo il y a quatorze ans doit être rénovée, les équipes d’Emmanuel Macron craignent en fait un énième « plan banlieues ». C’est-à-dire qu’à trop mettre l’accent sur la spécificité de ces territoires et de leurs quelque 5,5 millions d’habitants, on finit par les enfermer dans leurs problèmes…

L’une des recommandations de Borloo fait justement office de repoussoir : celle qui consiste à réorganiser l’école, en passant par la création d’une « académie des leaders », inspirée de l’ENA.

Ce n’est pas la bienveillance de la proposition qui est en cause, c’est son efficacité présumée et ce qu’elle dit aussi en creux du modèle républicain. Créer une « ENA des territoires » ne reviendrait-il pas à affirmer l’échec des grandes écoles de la République à accueillir tous les talents ?

L’entourage d’Emmanuel Macron, au gouvernement comme au Parlement, pense que l’architecture du rapport Borloo n’est pas suffisamment solide pour renverser la table. Rien dans le rapport sur la sécurité, la citoyenneté, la lutte contre le communautarisme. Une vision dépassée de l’école…

Dit autrement, le plan Borloo manquerait de hauteur de vue. Pour entrer dans la sémantique macronienne, on pourrait dire qu’aucune « logique de transformation » n’y préside…

Une analyse qui n’est toutefois pas partagée par tout le monde. Des intellectuels, des sportifs, des réseaux associatifs, des élus locaux se mobilisent depuis plusieurs semaines pour défendre les propositions de Borloo et le sort qui lui sera réservé au moment des arbitrages présidentiels.

Au point de mettre la pression sur le chef de l’Etat, accusé de manière continue ces dernières semaines d’être le « président des riches » et de délaisser aussi les zones rurales et sensibles. Ainsi de cet avertissement cinglant du maire (PCF) de Saint-Denis, Laurent Russier, dans les colonnes du Journal Du Dimanche deux jours avant les futures annonces du président de la République, martelant que « […] tirer un trait sur ce rapport (Borloo) pourrait être perçu comme le signe d’un mépris sans précédent vis-à-vis des habitants des quartiers, alimenter la résignation, la crise démocratique, les dérives communautaires à l’œuvre ».

Après les Ordonnances Travail, la réforme de la fiscalité du capital, l’annonce il y a quelques jours de la suppression de « l’exit tax » ou encore le maintien de la trajectoire sur la réforme de la SNCF – d’ailleurs encouragée par une majorité de plus en plus nette de Français (65% déclarent, dans un sondage Ifop pour le JDD réalisé les 16 et 17 mai dernier, souhaiter que le gouvernement aille jusqu’au bout de la réforme telle qu’elle a été annoncée), personne ne conteste vraiment qu’Emmanuel Macron a tenu déjà une grande part de ses engagements en faveur de la liberté et de l’entreprise. Aujourd’hui, sans céder un pouce sur le rythme des réformes structurelles, il est par conséquent attendu au tournant sur deux autres terrains bien plus sensibles, celui de l’égalité et celui du social, par tous ceux qui lui reprochent la « droitisation » de son action.

L’équité territoriale, avec ou sans Borloo…

Comment s’y prendre le 22 mai ? Comment faire en sorte de ne pas donner le sentiment de négliger les quartiers prioritaires s’il était, par ailleurs, contraint de désavouer assez largement les pistes du rapport Borloo ?

La voie est étroite. Mais Emmanuel Macron a déjà montré qu’il savait le plus souvent se faufiler dans des passages même très exigus politiquement.

Dans son discours de mardi, il faut par conséquent s’attendre à ce que l’hôte de l’Elysée fixe un cap plus large pour les territoires fragilisés. Ses annonces pourraient très bien s’inscrire dans un schéma très global, consistant à prôner un vrai projet de mobilité sociale, permettant à terme aux habitants des banlieues d’avoir les mêmes droits que les autres, de briser les « plafonds de verre », qui privent encore une minorité d’entre eux d’accéder au logement, à la formation, à l’éducation, aux soins, à l’entrepreneuriat, etc.

En stratège habile, il pourrait très bien mettre en évidence et reprendre quelques mesures emblématiques proposées par Jean-Louis Borloo, comme celle des 5 000 coachs sportifs de quartier, ou plus probablement encore des 30 000 stages répertoriés par la fondation Agir contre l’exclusion, animée par Gérard Mestrallet.

Des gestes forts qu’il pourrait décider de compléter par d’autres mesures ambitieuses, comme la rénovation de l’Anru, le doublement des emplois francs, ou encore la hausse du nombre de places de crèches, Jean-Louis Borloo ayant démontré dans son rapport qu’il était possible d’en financer jusqu’à 30 000 de plus, à partir des excédents des Caisses d’Allocation Familiale (CAF).

Mais il faut surtout s’attendre à ce que le président de la République rappelle et s’appuie sur les engagements qu’il a déjà pris sur différents segments de politique publique, devant aussi contribuer à ses yeux à restaurer l’équité territoriale au sein de notre pays : dédoublement des classes de CP dans les zones sensibles, emplois francs, police de sécurité du quotidien, réforme de l’apprentissage, etc.

Une manière de montrer à Jean-Louis Borloo qu’il n’a pas attendu les « leçons » que celui-ci pourrait vouloir lui donner pour donner un grand coup de fouet à la politique de la ville…

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