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L’escalade des taux de la BCE : prospections et limites

Le défi est majeur. Depuis juillet, la Banque Centrale Européenne (BCE) mène une « normalisation » de sa politique monétaire via l’augmentation de ses taux d’intérêt dans le but de combattre la croissance de l’inflation dans la zone euro, estimée à 10 % interannuel en novembre dernier.

Après plus d’une décennie de politiques monétaires accommodantes, la BCE a effectué une première augmentation de ses taux directeurs de 50 points de base (pdb) en juillet dans le but de reconduire progressivement l’inflation à sa cible de 2 % à moyen terme. Des hausses des taux de 75 points de base ont été opérées en septembre puis en octobre et un nouveau resserrement est attendu le 15 décembre (entre 50 et 75 pdb, selon différentes analyses). Mais quels sont exactement les taux gérés par la BCE ?

 

Les taux directeurs

La BCE, comme d’autres banques centrales, gère trois principaux taux directeurs : (1) le taux des opérations principales de refinancement, (2) le taux de la facilité de prêt marginal et (3) le taux de la facilité de dépôt.

Le taux de refinancement concerne le taux d’intérêt auquel la banque centrale accorde des prêts de liquidités aux banques commerciales pour une durée d’une semaine. Celui-ci a de facto une incidence sur les taux d’intérêt pratiqués par les banques commerciales dans le cadre de leur politique de gestion des octrois de prêts à leur clients (entreprises, ménages, etc.).

D’autre part, le taux de prêt marginal est le taux d’intérêt auquel la banque centrale prête de l’argent aux banques commerciales ayant des besoins urgents de liquidités pour une durée de 24 heures. Ce taux directeur est supérieur au taux de refinancement et constitue le taux plafond du marché interbancaire où les banques commerciales se financent entre elles.

Finalement, les banques ayant un excédent de liquidités peuvent le placer pour une durée de 24 heures auprès de la banque centrale qui le rémunèrera à son taux de dépôt. Ce dernier est le plus faible des taux directeurs et constitue le taux plancher du marché interbancaire.

 

À la recherche du taux neutre

À la suite de la crise de 2008 et afin de garantir une inflation près de sa cible, la BCE a maintenu pendant des années des politiques monétaires expansionnistes non conventionnelles, telles que les programmes d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) à partir de 2015 et le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme) en 2020 en réponse à la crise du Covid-19. Les achats massifs de titres de dette publique et privée destinés à combattre les pressions désinflationnistes via le renforcement du soutien au financement de l’économie ont provoqué un excédent de liquidités dans le système bancaire. Ce dernier s’est traduit par une diminution du poids relatif du taux de refinancement et du taux marginal en tant que canaux de transmission de la politique monétaire. Le taux de dépôt est alors devenu le principal taux directeur de la BCE (le taux des opérations principales de refinancement étant arrivé à un taux plancher de 0 %). Après huit ans en territoire négatif depuis juin 2014, l’institution a ramené de -0,5 % à 0% le taux de dépôt en juillet dernier. Elle a ensuite remonté le taux de 0 % à 0,75 % en septembre, pour encore augmenter le taux de 0,7 5% à 1,5 % en octobre. Désormais, les taux d’intérêt qui régissent le corridor des taux dans la zone euro connaissent des augmentations similaires et d’autres hausses pourraient suivre tant que la BCE n’aura pas atteint un taux dit « neutre ».

Ce dernier constitue un outil théorique considéré comme le taux d’intérêt qui, à l’équilibre, équivaut au taux de croissance de l’économie ; soit un taux d’intérêt qui n’aurait pas d’effet expansif ni restrictif. Celui-ci permettrait d’équilibrer épargne et investissement tout en assurant la stabilité des prix autour de la cible d’inflation de la BCE. Actuellement, certains banquiers centraux estiment que le taux neutre de la zone euro pourrait se trouver entre 1,5% et 2% et serait potentiellement atteint d’ici la fin de l’année. Une quatrième augmentation du taux de dépôt sera annoncée le 15 décembre par la BCE et les marchés estiment que celui-ci pourrait atteindre les 2%, voire les 2,25%.

 

Le resserrement quantitatif

Parallèlement, une diminution graduelle de la taille du bilan de la BCE -largement grossi depuis 2008 et estimé actuellement à environ 8 800 milliards d’euros- est attendue. Le resserrement quantitatif (Quantitive Tightening) consiste principalement à réduire le volume de masse monétaire de l’économie, soit en réinvestissant partiellement les retombées financières des titres de dette détenus par la banque arrivés à échéances ou via un roll-off des titres (en les laissant arriver à échéance et en détruisant postérieurement la monnaie des principaux associés), soit via la vente des titres de dette sur le marché secondaire.

Afin de réduire les liquidités du système bancaire, la BCE a aussi lancé un programme de remboursement de prêts octroyés dans le cadre des opérations de refinancement à plus long terme ou Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO) proposées en 2014, 2016 et 2019. Dans le but d’inciter les banques commerciales à accorder du crédit aux entreprises et aux ménages, la BCE avait prêté environ 2 100 milliards d’euros à des taux d’intérêt très faibles (0,15 % en 2014 et 0,05 % à partir de 2015). Suite à une modification des conditions des prêts, un premier appel à un remboursement volontaire par anticipation s’est lancé en octobre, ce qui a fini par se traduire par des remboursements de l’ordre des 296 milliards d’euros en novembre. Une deuxième fenêtre de remboursement sera proposée en décembre. Dans tous les cas, presque 60 % des TLTRO arriveront à leur échéance en juin 2023.

Face à un phénomène inflationniste au niveau international, la Réserve Fédérale des États-Unis (Fed) a agi depuis mars pour rapprocher son inflation (7,7 % en octobre) à sa cible de 2 % annuel. Cette année, la Fed a déjà augmenté six fois son taux principal jusqu’à le ramener à 4 %, ce qui s’est traduit par une revalorisation du dollar et un afflux de capitaux vers les marchés financiers américains. En Europe, le contexte d’inflation (accentué par les tensions sur les coûts de l’énergie depuis le début de la guerre en Ukraine et l’augmentation des prix des denrées alimentaires) et la dépréciation de l’euro ont obligé la BCE à « refroidir » l’activité pour lutter contre la perte du pouvoir d’achat. Le pari reste toujours délicat : garantir la cible d’inflation et assurer la stabilité financière de la zone euro, tout en évitant le risque de récession.

Nadia Allemand, économiste chez BSI Economics

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