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Le vaste marché gris du cannabis pourrait coûter à l’État de New York 2,6 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie

cannabisL’État de New York pourrait perdre des milliards de dollars de recettes fiscales en raison de la prolifération du marché gris du cannabis. | Source : Getty Images

Selon un nouveau rapport, avec seulement quatre dispensaires de cannabis agréés et 1 400 dispensaires sans licence, l’État de New York risque de perdre des milliards de dollars en recettes fiscales s’il ne met pas rapidement un terme à l’anarchie.

 

Si l’État de New York ne dompte pas son Far West de l’herbe, les dispensaires de cannabis sans licence et les ventes illégales de marijuana pourraient siphonner 1 milliard de dollars par an du marché légal jusqu’en 2030. Selon un nouveau rapport obtenu en exclusivité par Forbes, cela représente quelque 2,6 milliards de dollars de recettes fiscales au cours des sept prochaines années.

Si les chiffres semblent solides, selon les analystes contactés par Forbes, le rapport n’est pas totalement impartial. Il a été préparé par le cabinet de recherche et de conseil politique MPG Consulting et commandé par la société de cannabis Acreage Holdings, qui possède 23 dispensaires dans neuf États américains, dont trois dispensaires médicaux à New York. Le rapport suggère que la lenteur de l’État de New York à mettre en place des dispensaires récréatifs agréés (il n’y a que quatre dispensaires réglementés par l’État, dont trois à Manhattan, pour 19 millions d’habitants) et les règles proposées, qui empêcheront les opérateurs multiétatiques comme Acreage d’entrer sur le marché des produits réservés aux adultes pendant trois ans, paralysent l’industrie légale et renforcent l’omniprésence du marché gris du cannabis au sein de l’État.

L’État de New York, qui a ouvert son premier dispensaire récréatif agréé en décembre 2022, devrait devenir le deuxième marché de la marijuana des États-Unis après la Californie, avec des ventes légales qui devraient atteindre 4,2 milliards de dollars dans cinq ans et plus de 6 milliards de dollars d’ici 2030. Toutefois, compte tenu de la lenteur du déploiement du marché légal et de la vigueur du marché sans licence, les analystes ne peuvent pas prévoir quand l’État de New York atteindra réellement ces chiffres.

Matthew McGinley, analyste spécialiste du marché du cannabis chez Needham & Co, estime que les conclusions du rapport sont exactes et laissent présager des pertes futures. « Les régulateurs [américains] ont créé un marché du cannabis florissant pour les ventes illicites, et non pour les ventes légales », explique-t-il. « Ce qu’ils semblent avoir ignoré, c’est l’économie de base de l’exploitation d’une entreprise de cannabis réglementée par l’État. Je dirais que les régulateurs n’ont pas réussi à lancer véritablement ce programme ».

Le timide programme de marijuana médicale de l’État de New York, lancé en 2016, est également décevant. L’année dernière, 40 dispensaires médicaux agréés ont vendu pour environ 168 millions de dollars de cannabis, soit une baisse de 0,5 % par rapport à 2021. Comparé à la Floride, le programme de marijuana médical de New York est une plaisanterie. La Floride a lancé les ventes de marijuana médicale en 2016 et compte actuellement 545 dispensaires qui ont vendu pour 2 milliards de dollars d’herbe en 2022, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2021.

 


« Après les avoir démantelés, ils sont de nouveau opérationnels dans les deux jours qui suivent », déclare Gale Brewer, conseillère municipale de la ville de New York. « Je n’ai jamais rien vu de tel. »


 

Contrairement à de nombreux autres États qui ont légalisé le cannabis récréatif et laissé les entreprises opérer sur un marché libre, l’État de New York tente quelque chose de différent. L’État, qui a légalisé la marijuana à des fins récréatives en mars 2021, tente de développer un marché centré sur l’équité sociale dans le but de redresser certains des torts causés par la guerre contre la drogue menée par les États-Unis depuis des décennies.

Bien que les populations noire américaine et blanche américaine consomment de la marijuana dans des proportions similaires, les Noirs américains sont presque quatre fois plus susceptibles d’être arrêtés pour des délits liés au cannabis, selon une étude de l’American Civil Liberties Union (Union américaine pour les libertés civiles). Au lieu d’accorder des licences aux grandes entreprises qui dominent le marché médical de l’État, New York a donné la priorité aux entrepreneurs qui ont été arrêtés pour des délits liés à la drogue.

L’Office of Cannabis Management (OCM, Agence de contrôle du cannabis) de l’État de New York a délivré 68 licences de vente au détail à des personnes « mises en cause par la justice », ce qui signifie qu’elles ou un membre de leur famille ont été condamnés pour un délit lié à la drogue. L’agence a annoncé qu’elle délivrerait un total de 300 licences à des personnes qui ont été affectées par la guerre contre la drogue avant de délivrer des licences à d’autres candidats. L’objectif, selon les responsables de l’OCM, est de créer un marché légal de la marijuana dominé par les petites et moyennes entreprises. Chris Alexander, le directeur exécutif de l’OCM, a déclaré que l’équité sociale n’est pas un objectif que l’État poursuit pour cocher une case : « C’est LA chose à faire. »

L’État de New York tente d’empêcher le « big marijuana » de s’emparer du marché comme il l’a fait dans des États à licence limitée comme l’Illinois, où les boutiques de cannabis sans licence ont attiré l’attention et la curiosité de la population. Cependant, d’autres États qui participent au marché légal du cannabis aux États-Unis, un marché d’une valeur de 26 milliards de dollars (ventes en 2022 dans l’ensemble des États-Unis, selon Needham & Co.), comme la Californie et l’Oregon, sont également confrontés à des problèmes majeurs de ventes illicites, qui nuisent au marché légal. En 2022, le chiffre d’affaires lié aux ventes de cannabis en Californie a diminué pour la première fois depuis le lancement du marché des produits réservés aux adultes en 2018.

John Kagia, directeur des politiques de l’OCM de New York, respecte les auteurs du rapport, mais estime qu’ils se sont appuyés sur des hypothèses « erronées ». « Nous pensons que cette analyse sous-estime considérablement le rythme et l’élan que nous sommes en train de construire à New York et la trajectoire d’un marché réglementé », déclare John Kagia.

Le rapport de MPG Consulting estime que l’État de New York ne comptera que 36 dispensaires récréatifs agréés d’ici fin 2023, alors que l’OCM a déjà délivré 68 licences de vente au détail et que ce nombre passera à 300 avant la fin de l’année. John Kagia n’a pas voulu donner d’estimation précise du nombre de dispensaires agréés qui seront ouverts d’ici fin 2024, mais il précise qu’il faut environ six mois pour ouvrir un dispensaire après l’octroi d’une licence.

Quant aux critiques selon lesquelles l’accent mis par l’OCM sur l’équité sociale et la lenteur du déploiement du marché légal favorisent en réalité l’enracinement du marché gris, John Kagia affirme qu’il faut du temps pour que les choses se mettent en place.

« Pratiquement tous les autres marchés qui ont tenté d’intégrer l’équité sociale et le cannabis l’ont fait bien après que le marché soit déjà opérationnel. Il s’agissait en grande partie d’une réflexion après coup », déclare John Kagia. « Si on laisse entrer les plus grandes entreprises immédiatement et que l’on n’ouvre le marché qu’ensuite, il devient très difficile pour les parties prenantes de s’asseoir à la table des négociations et d’être compétitives. »

En Californie, le plus ancien et le plus grand marché du cannabis des États-Unis avec 5,3 milliards de dollars de ventes légales l’année dernière, il y a 1 233 dispensaires agréés pour 40 millions d’habitants. Selon le décompte officiel de la ville de New York, il y a actuellement 1 400 dispensaires non agréés dans les cinq arrondissements de la ville, mais beaucoup pensent que ce chiffre est beaucoup plus élevé. En Californie, les détaillants légaux sont constamment aux prises avec des dispensaires sans licence, dits « trap shops », qui ont ouvert leurs portes un peu partout dans l’État. À la mi-février, les forces de l’ordre ont perquisitionné deux bâtiments à Oakland, découvrant une plantation illégale de 30 000 plants et un fusil de chasse, une opération estimée à 25 millions de dollars. En janvier, les autorités californiennes ont démantelé une plantation de 22 millions de dollars, également à Oakland, avec 26 000 plants et 2 700 livres d’herbe transformée prête à être fumée. En raison d’une réglementation et d’une taxation excessives, l’économie californienne du cannabis est truffée d’entreprises illicites et sans licence.

 


« L’État gagnerait environ 200 millions de dollars par an si 20 % des dispensaires existants obtenaient une licence transitoire », explique Paula Collins, une avocate qui représente les dispensaires sans licence.


 

Fin 2022, le maire de New York, Eric Adams, a créé à l’hôtel de ville un groupe de travail conjoint composé du bureau du shérif de la ville, du département de la protection des consommateurs et des travailleurs, du département de la police de New York et du bureau de la gestion du cannabis de l’État, afin de commencer à supprimer les dispensaires de vente d’herbe sans licence.

Depuis novembre, l’équipe spéciale a effectué près de 150 descentes dans des dispensaires non agréés de la ville, délivré plus de 285 infractions et amendes, pour un montant total de près d’un million de dollars, et saisi des produits illicites d’une valeur de plus de 8 millions de dollars (l’équipe spéciale ne saisit pas seulement du cannabis, mais aussi des cigarettes non taxées et des vaporisateurs à la nicotine). Le maire de New York tente de trouver un équilibre entre l’application de la loi et une industrie nouvellement légalisée qui tente de trouver ses marques.

« Comme l’a dit le maire, en matière d’application de la loi sur le cannabis, notre objectif est d’éduquer et de confisquer, et non d’incarcérer », explique Jonah Allon, attaché de presse adjoint du maire. « Nous ne pouvons pas avoir la main lourde dans notre application, mais nous ne tolérerons pas les établissements qui menacent la santé et la sécurité des New-Yorkais ou qui visent à couper la ligne et à saper le marché légal, y compris les opérateurs mis en cause par la justice qui ont reçu une licence. »

Le nœud du problème est que certains dispensaires non agréés, en particulier ceux qui fonctionnent comme des clubs privés avec des « frais d’adhésion » modestes, disposent d’un argument juridique solide grâce à une faille, ou une « disposition refuge » (selon votre point de vue) dans la loi sur la réglementation et la taxation de la marijuana (Marijuana Regulation and Taxation Act) qui permet aux entreprises non agréées d’opérer légalement. Certains avocats qui représentent les propriétaires de clubs de cannabis affirment que le libellé de la loi actuelle, qui définit étroitement une vente comme un échange financier, a donné une couverture juridique légitime à de nombreux dispensaires non agréés.

La conseillère municipale de New York, Gale Brewer, qui représente l’Upper West Side de Manhattan et préside la commission de surveillance et d’enquête du conseil municipal, affirme que son équipe a dénombré au moins 65 dispensaires de vente d’herbe sans licence dans son seul district. Gale Brewer a effectué quelques descentes avec le shérif, mais elle estime que c’est comme jouer à la loterie avec un nombre croissant de magasins. « Après les avoir démantelés, ils sont de nouveau opérationnels dans les deux jours qui suivent », déclare Gale Brewer, conseillère municipale de la ville de New York. « Je n’ai jamais rien vu de tel. »

La sénatrice démocrate de Manhattan Liz Krueger, qui a travaillé pendant sept ans avec la députée démocrate de Buffalo Crystal Peoples-Stokes pour introduire la loi sur la régulation et la taxation de la marijuana, a présenté en janvier un projet de loi qui, s’il était adopté, créerait des sanctions financières pour les personnes et les entreprises qui vendent des produits illégaux à base de cannabis. Ce projet n’a pas encore été soumis au vote. D’autres propositions de loi ont également été déposées dans le but de supprimer les dispositions de la loi relatives aux dons et aux adhésions.

Selon Paula Collins, avocate et comptable qui représente plusieurs dispensaires de cannabis non agréés à New York, il existe une solution simple et équitable au dilemme des dispensaires non agréés. Premièrement, il faut admettre que le génie ne peut pas être remis dans la bouteille. Deuxièmement, il faut accorder à ces dispensaires sans licence une licence provisoire.

« J’estime que l’État gagnerait entre 180 et 200 millions de dollars par an si 20 % des dispensaires existants obtenaient une licence transitoire », explique Paula Collins. « Selon moi, le marché sans licence a toujours existé et ces transactions ont toujours eu lieu. Mais c’est vraiment l’État qui ne propose pas d’ouverture au marché sans licence, ce qui, je pense, résoudrait beaucoup de problèmes et mettrait de l’argent dans les poches de l’État et de la ville. »

Tandis que les autorités de la ville et de l’État tentent de s’attaquer aux ventes de cannabis sans licence, les quelques dispensaires autorisés ressentent déjà la pression. Le deuxième dispensaire de cannabis récréatif de New York, Smacked, est situé sur Bleecker Street dans Greenwich Village, en face d’un dispensaire de cannabis sans licence. Roland Conner, propriétaire du magasin avec sa femme et son fils, a grandi dans les logements sociaux de Far Rockaway, dans le Queens. Pour joindre les deux bouts, il vendait de l’herbe lorsqu’il était jeune. « La pauvreté est la mère du crime », explique-t-il. La police a fini par frapper à sa porte au début des années 1990. Il a été arrêté, a fait de la prison et est aujourd’hui le premier propriétaire d’entreprise de New York à avoir été condamné pour des délits liés à la marijuana et à pouvoir ouvrir un dispensaire dans le cadre du programme mis en place par l’État. En somme, Roland Conner, âgé de 50 ans, est le symbole de ce que l’État tente d’accomplir.

Selon Roland Conner, le marché traditionnel est la « partie la plus résistante » de l’industrie du cannabis, et il sait donc qu’il existe une passerelle entre le monde illicite et le monde légal. Cependant, il ne pense pas que cette passerelle disparaîtra un jour. Quant aux dispensaires sans licence, qu’il considère comme des profiteurs à la petite semaine, Roland Conner estime que les régulateurs de l’État devraient les démanteler.

« S’ils voulaient le faire, ils n’auraient pas besoin de mon aide, ils n’auraient pas besoin de mon indignation », déclare Roland Conner. « Si nous regardons ce qui se passe réellement, il s’agit de taxes et de la façon dont le gouvernement se mêle du commerce de l’herbe. S’il veut des milliards de dollars d’impôts, il doit commencer à sévir contre les dispensaires illégaux qui compliquent la tâche des dispensaires comme le mien. »

À quelques rues de là, un jeudi soir, dans le Washington Square Park de Manhattan, des vendeurs d’herbe ont installé leurs tables pliantes autour de la fontaine. À une table située près de l’entrée sud, India, une New-Yorkaise de 45 ans qui se tient derrière une table couverte d’œuvres d’art et d’une boîte à cigares remplie de produits à base de cannabis, explique qu’elle apprécie la manière dont l’État tente de réglementer l’industrie, mais que le marché illicite et gris perdurera malgré tous ses efforts. India explique qu’elle opère dans le Washington Square Park depuis le début de la pandémie et que les policiers ont saisi son herbe et l’ont convoquée au tribunal à quatre reprises. Elle doit bientôt comparaître devant le tribunal pour vente sans licence, une affaire qui, elle espère, sera rejetée comme toutes les autres. Quelques minutes plus tard, un groupe de policiers commence à faire des rondes, allant de table en table jusqu’à ce que chaque vendeur emballe sa marchandise et fasse semblant de partir. India commence à emballer ses affaires avant que les policiers ne viennent à sa table pour la deuxième fois.

Lorsqu’on lui demande ce qui se passera lorsque le marché légal se développera, India, qui réalise généralement un chiffre d’affaires de 1 500 dollars par semaine, est catégorique : « Le marché noir ne disparaîtra jamais, c’est le marché. Même si vous voulez le légaliser, nous serons toujours là. »

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Will Yakowicz

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