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La Hausse De La Fiscalité Sur Le Tabac Est-Elle Efficace?

tabacCivette à Servon-Sur Vilaine

Les augmentations successives du prix du paquet de cigarettes ont permis de faire baisser le nombre de fumeurs. Mais sans mesure complémentaire d’accompagnement des fumeurs et de prévention, cette politique anti-tabac risque de devenir inefficace.

Depuis novembre 2017, la trajectoire fiscale au sein du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est celle d’une augmentation progressive des taxes sur le tabac. L’objectif annoncé prévu pour avril 2020 : le paquet de cigarettes à 10 €. Les effets bénéfiques de cette instrumentalisation de la fiscalité par notre politique de santé publique sont réels et indéniables : le nombre de fumeurs connaît une baisse régulière. En mai 2019, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a annoncé sur RTL que la France comptait désormais 1,6 million de fumeurs en moins. De même, tous les indicateurs du Baromètre Santé publique France témoigne du « grand succès » (selon les termes de son Directeur général, François Bourdillon) de ces mesures. Le recul du tabagisme est de l’ordre de 12% sur deux ans : le taux de prévalence tabagique en France a chuté de 35,1% (en 2016) à 32% (en 2018). Cela signifie que 32 % de nos concitoyens consomment du tabac (dont seulement 25,4% quotidiennement).

Bien sûr, c’est grâce à tout un arsenal de mesures anti-tabac (mise en place du paquet neutre, remboursement des patchs, pastilles et autres gommes à mâcher, opération « Mois sans tabac », etc.) que le gouvernement est parvenu à un résultat si encourageant. Il n’en demeure pas moins que l’instrument le plus efficace reste la fiscalité : selon toutes les études, c’est le prix dissuasif du paquet de cigarettes qui incite le plus les jeunes à se détourner de cette pratique. De là, certains,à l’instar du professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT), en ont déduit un peu rapidement que la taxation était une mesure efficace. Est-ce le cas ?

D’abord, il convient de rappeler que, si les progrès sont bien réels, l’objectif est encore loin d’être atteint : la France reste le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de fumeurs, et ce, malgré un prix du paquet parmi les plus élevés.

Bien sûr, au sein de l’Union européenne, toutes les politiques de santé publique mises en place ont obéi à une démarche similaire, qui consistait à augmenter fortement la pression fiscale sur les cigarettes (tout en imposant la neutralité des paquets). C’est ce qui a été fait en France depuis 2017 ; et c’est aussi, par exemple, ce qui a été fait en Grande Bretagne, où le prix du paquet de cigarettes a atteint dès 2015 10 £. Le gouvernement britannique s’est alors aperçu que le poids de la fiscalité ne permettait plus de faire diminuer davantage la prévalence tabagique : pour obtenir de meilleurs résultats, il a donc entrepris une politique volontariste de promotion de la cigarette électronique et autres substituts. Avec succès, puisque, cette action préventive a fait passer le nombre de fumeurs de 20 % de la population à 15 % (soit un pourcentage deux fois moins élevé qu’en France).

On aperçoit là la première limite de l’instrumentalisation de la pression fiscale à des fins de politique de santé publique : à elle seule, elle ne permet pas de descendre en dessous d’un certain seuil du taux de prévalence. Et cette limite est particulièrement visible en France, du fait de la situation géographique de l’Hexagone qui a de nombreuses frontières communes avec des pays où le prix du paquet est moindre (comme en Espagne ou en Belgique). Pour les habitants des régions frontalières, l’augmentation du prix du paquet constitue une incitation à aller faire son marché là où son coût est moindre. C’est ainsi que le commerce transfrontalier et illicite se développe à un rythme croissant annuel de 8 %. Autre moyen de consommer des cigarettes à moindre coût lorsqu’on n’habite pas près des frontières : la contrebande. Le cabinet KPMG, qui publie chaque année une étude européenne sur la consommation illicite de produits du tabac, estime que 30 % des cigarettes consommées en France proviennent de circuits parallèles. Rien de surprenant : pour ceux qui ne souhaitent pas arrêter de fumer, mais dont le portefeuille ne peut supporter les hausses de prix, s’alimenter hors du réseau des buralistes permet de réaliser de sérieuses économies. De quoi relativiser la baisse officielle du nombre de fumeurs, mais surtout regretter un manque à gagner en termes de recettes fiscales estimées à 5 milliards d’euros par an (selon KPMG[2]).

Et c’est là que nous pouvons repérer la deuxième limite des mesures fiscales françaises dans la lutte contre le tabagisme. Comme l’a montré Guillaume Bazin[1], conseiller des services de l’Assemblée nationale, pour évaluer l’efficacité d’un système fiscal, il convient au préalable de « vérifier sa capacité à mobiliser les ressources définies par les lois et règlements » et de « réduire au maximum la différence entre le montant de l’impôt dû et les sommes effectivement perçues dans les délais ». Autrement dit, il est impossible de déclarer qu’un système fiscal est efficace s’il existe un « écart fiscal » (ou tax gap) important. Or, force est de constater que l’écart calculé de 5 Mds€ est loin d’être négligeable : l’ensemble des taxes sur les produits du tabac rapportant aujourd’hui à l’Etat plus de 12 Mds€, c’est près d’un tiers de manque à gagner.

Le paquet de cigarettes à 10 € aura sans aucun doute des effets dissuasifs. D’une part, il permettra de collecter quelques centaines de millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires, et il aura probablement un effet dissuasif sur les fumeurs, surtout sur les plus jeunes. Mais cet effet sera limité et ne permettra pas de réaliser l’objectif recherché, celui d’aboutir à « la première génération sans tabac en 2032 » (Comité national contre le tabagisme). Pour y parvenir, il convient de compléter le dispositif fiscal existant par des politiques de prévention et d’éducation. Peut-être faudrait-il aussi réfléchir à des politiques d’accompagnement des fumeurs, en suivant l’exemple britannique, notamment en les incitant à passer à des produits alternatifs moins nocifs ?

[1] Guillaume Bazin, « Les administrations fiscales : une efficacité en question », in revue Pouvoirs 2014/4 (n°151), pp.71 à 85, https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2014-4-page-71.htm?contenu=article.

[2] Voir par exemple l’article publié dans Challenges: https://www.challenges.fr/entreprise/grande-conso/tabac-la-vente-de-cigarettes-chute-en-france-en-2018_635485

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