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Annuler La Dette De L’Afrique : Pourquoi Le Monde Ne Pourra Y Échapper

Hamidou Anne et le Dr Abdoul Aziz Mbaye*

La crise du coronavirus a des effets négatifs sur l’économie africaine encore largement dépendante des facteurs exogènes, eu égard notamment à « l’interconnexion du continent avec les économies affectées de l’Union européenne, de la Chine et des États-Unis a eu des effets d’entraînement » selon Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la CEA. Selon un rapport du PNUD, les pertes de revenus dues au Covid-19 devraient ainsi dépasser les 220 milliards de dollars et près de la moitié des emplois en Afrique pourraient être perdus.

 

Les mois de confinement et de ralentissement de l’activité économique ont touché notamment des secteurs stratégiques comme le tourisme, les transports, et le secteur informel qui concentrent une large part des emplois. Au Sénégal, par exemple, 96% des emplois relèvent du secteur informel, et le pays qui était sur une dynamique d’émergence va rentrer en récession avec, selon le chef de l’État Macky Sall, une croissance projetée à 1%. Le président sénégalais a d’ailleurs décidé dès le début de la crise de mener la croisade pour l’annulation de la dette des pays africains dont les économies fragiles vont subir la perte de millions d’emplois.

Pour rappel, la dette africaine s’élève à 365 milliards de dollars. Et son service annuel a un impact négatif sur les politiques budgétaires des États et rétrécissent leurs marges de manœuvre face à une attente toujours croissante des citoyens. 

Soutenu par des leaders d’envergure comme Emmanuel Macron, Cyril Ramaphosa, Abiy Ahmed ou encore Paul Kagamé, l’appel du Président Sall, appuyé par le Pape François, a tout de suite reçu le soutien du FMI, de la Banque mondiale et du G20 qui a en réponse proposé un moratoire de quelques mois sur la dette. Cela a permis de lever 20 milliards de dollars à réinvestir dans la relance économique.

Au-delà des leaders politiques, l’initiative du président sénégalais gagne du terrain parmi l’intelligentsia africaine qui vient toujours plus nombreuse porter et étayer le plaidoyer pour l’Afrique. Le Président Sall a en effet appelé les économistes, chercheurs et experts africains à s’approprier ce débat sur la dette qui doit être le leur pour créer un mouvement d’ensemble inclusif et plus de résonance.

La campagne portée par Macky Sall, si elle aboutit, aura un effet important sur la capacité des États africains à se doter des moyens de réussir le triptyque résilience – relance et transformation. Dès les premiers cas de coronavirus et leur impact sur l’économie du pays, le Sénégal a mis en place un Plan de résilience économique et sociale (PRES) de 1000 milliards de FCFA destinés au renforcement du système sanitaire, à l’assistance aux populations, y compris celles de la diaspora, et à l’accompagnement des entreprises impactées pour amoindrir les effets de la crise du Covid-19.

Mais si le Covid-19 a un effet accélérateur sur le débat de la dette des pays africains, il faut tout de même rappeler que les créances africaines ont fait l’objet, à l’initiative du Président Sall, d’une conférence internationale en décembre 2019, à Dakar, en présence de nombreux chefs d’État et de la Directrice générale du FMI Kristalina Georgieva.

À l’issue de cette conférence, a été adopté le consensus de Dakar pour une gouvernance financière mondiale plus équitable, pour une viabilité de la dette africaine en tenant compte de ses spécificités et de son engagement résolu dans les combats d’intérêt comme la lutte contre le terrorisme, et enfin un rôle pour l’Afrique de locomotive de la croissance mondiale au moment où l’occident fait face depuis 2008 à une crise structurelle. Déjà, alors, il appelait à plus de coresponsabilité dans la cogestion des affaires désormais commune à tous du fait la mondialisation.

En particulier, la position du Président Macky Sall sur la dette est un impératif de formulation d’une réponse collective rapide et durable à une crise d’une envergure fulgurante, et dont les effets vont avoir un impact dans le long terme. Pour lui, le monde a changé et il s’agira de reconfigurer la philosophie des relations économiques internationales, notamment procéder à l’essentiel avant l’accessoire : sauver nos vies et pour ensuite tenir, sans failles ni faillites, engagements financiers avec nos partenaires privés et publics, et de recentrer les politiques et actions publiques, nationales et internationales autour de l’Humain. De nouvelles solidarités pour notre Humanité.

 

Le moratoire est insuffisant

Le Sénégal salue le choix du moratoire sur la dette, mais considère qu’il est insuffisant au regard des nombreux défis auxquels les populations africaines, notamment les jeunes et les femmes, font face. Surtout que la dette n’a pas atteint des proportions insoutenables comme certains s’acharnent à le faire croire. L’appel du Président Sall alerte, puisqu’à n’y prêter garde les solutions adoptées par les pays riches toujours à même d’utiliser leur « planche à billet » pour procéder à un assouplissement quantitatif, « quantitative easing », rachetant, à l’avenant, de grandes quantités de dettes obligataires détenues sur les Etats pour refinancer leur économie, risquent de laisser les pays en développement aux prises avec les agences, toujours promptes à dégrader leurs notations, rendant plus difficiles l’accès à des financements privés compétitifs, tout en les contraignant de recourir aux seuls fonds vautours.

En effet, comme ce fut le cas lors de la crise des subprimes en 2008, de la crise des dettes souveraines, les pays développés ont déjà commencé à faire fonctionner la planche à billets pour relancer des économies fortement touchées durant cette crise sanitaire. La Banque fédérale américaine a ouvert le bal avec 2000 milliards de dollars, suivie de la Banque centrale européenne avec son plan d’urgence de 750 milliards d’euros.

L’option pour l’Afrique ne pourrait être le retour aux méthodes classiques d’austérité et de réticence sur la dépense publique qui se sont révélées si inopérantes dans les années 80. Elles ont même été dans certains cas un levier de la montée des populistes, anti-occidental, qui se nourrissent des crises économiques et sociales pour faire avancer un agenda politique identitaire.

Les demandes citoyennes durant cette crise, relevant notamment de leur attente légitime vis-à-vis de la puissance publique, ont rappelé le besoin d’un État fort, social, protecteur et stratège.

Il faudra à l’Afrique les moyens du financement de son développement, bien au-delà de la question du service de la dette. Elle a les ressources, la vision et des programmes et projets de développement à même de nourrir une bonne partie de la croissance mondiale future.

 

Les économies africaines d’une seule voix

Avec cette initiative, le Président Macky Sall « a revêtu le costume de porte-parole des économies africaines ». Son objectif d’annuler la dette des pays africains est un choix politique consistant à rendre, à l’avenir, la gouvernance mondiale plus équilibrée et plus inclusive dans le partage de la responsabilité dans la cogestion des crises et défis auxquels l’humanité toute entière aura à faire face. En l’occurrence, la santé publique est devenu un bien public global requérant toujours une réponse concertée. Plus proche de nous, il s’agit aussi d’une mesure pour permettre aux États africains d’avoir plus de flexibilité et de marges de manœuvre pour faire face aux défis du monde post-coronavirus, notamment de la nécessité d’injecter plus de ressources en Afrique par-delà les complications techniques et géopolitiques liées à la dette.

Contrairement aux puissances économiques occidentales, les pays africains ne disposent pas de Banques centrales ayant la capacité de racheter la dette de leurs États. Dès lors, la solidarité internationale devait conduire à rechercher une solution viable pour l’Afrique et les pays en développement. Un véritable ressort pour rebondir, tous ensemble, après le Covid-19 pour un monde par tous et un meilleur monde pour tous. Fédérer les initiatives, libérer les énergies, telle doit être notre ambition commune.

 

(*) Diplomate, politiste, Hamidou Anne est cadre au Bureau Opérationnel de Suivi du PSE. Ancien élève de l’ENA de France, il a publié Panser l’Afrique qui vient (Présence Africaine) et Amadou Mahtar Mbow : une vie, des combats (Vives Voix). Scientifique, économiste, diplomate, le Dr Abdoul Aziz Mbaye est actuellement ministre au Cabinet du président de la République du Sénégal. Il a été ambassadeur aux Îles Salomon, puis chef de la Délégation régionale pour le Pacifique de l’Union européenne. Physicien, il est également ancien chercheur titulaire, membre du Centre national de la recherche scientifique de France

 

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