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Sortir du « qui a tort, qui a raison »

Au-delà des entreprises que nous accompagnons chaque jour, c’est bien l’actualité qui m’invite à réagir ici. Une actualité qui rend prégnante la nécessité de nous sortir de ce jeu qui s’est insidieusement installé ; celui de savoir, à l’aune de la crise sanitaire, qui a tort et qui a raison.


 

C’est de ce cercle vicieux qu’il convient de sortir pour ne pas y perdre notre humanité. Un enjeu qui vaut aussi bien dans que hors l’entreprise.

 

Un contexte qui génère du conflit

De plus en plus de personnes font le choix de ne plus s’exprimer, de ne plus partager leurs vues de peur des réactions que cela pourrait susciter, de peur d’être simplement exclues. Car il faut dire, sur les réseaux sociaux comme ailleurs, la prise à partie et l’insulte ne sont jamais loin.

Dans ce contexte, dire les choses devient un art. Rester droit dans ses convictions et oser affirmer ses points de vue, avec bienveillance et ouverture, un vrai challenge. C’est un art de faire en sorte que, dans l’hypothèse d’un échange, les parties s’accordent a minima sur un point : celui de dire qu’elles sont d’accord pour ne pas être d’accord. 

Malheureusement, aujourd’hui, cela n’existe pas : sur les réseaux sociaux, dans les médias, partout. Nous vivons dans un environnement où s’affrontent, sans retenue, doxa et discours contradictoires. Le débat s’efface, le dialogue disparaît. La pensée « différente » est dénoncée, harcelée plutôt qu’écoutée  et contredite à coups d’arguments tangibles et recevables. Dans cette confrontation, tout le monde y perd.

Car, désormais, on se retrouve dans un contexte de décisions « 5C », sorte de spirale ou de cercle vicieux qui évince toute forme de dialogue. Tous les messages diffusés sont anxiogènes voire teintés d’une forme de contrainte et de violence, le tout dans un contexte de fortes inégalités qui continuent de se creuser sans même que l’on s’interroge sur l’urgence d’une prise de recul nécessaire sur certains sujets comme la situation dramatique du système hospitalier français.

Tout se passe comme si nous étions dans une fabrique de consentement, c’est-à-dire la construction d’une opinion publique si forte, dominante qu’elle ne tolère que très peu des avis dissonants, source d’exclusion pour ceux qui se risquent à les exprimer. Dans ces conditions, la plupart d’entre nous choisissons de garder le silence. En famille, entre amis comme dans l’entreprise. Beaucoup font le choix de falsifier leurs préférences pour vivre en paix et ne pas être exclus. Pour ceux qui restent, nulle autre option que d’en assurer les conséquences. Une situation qui faisait déjà dire à Voltaire, en parlant de l’opinion publique, qu’ « On la nomme la reine du monde ; elle est si bien que quand la raison veut la combattre, la raison est condamnée à mort. »

Pourtant, chacun doit être en droit d’exprimer ses opinions sans risque. Que ce soit au niveau d’un pays, d’une entreprise, entre amis ou au sein de la cellule familiale. Pour ce faire, tout échange devrait avoir comme préambule les célèbres mots du même Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

 

En entreprise c’est pareil

Cette situation où l’opinion du groupe contraint et étouffe l’expression de chacun, on la retrouve tout autant dans le monde de l’entreprise. Comme dans cet atelier de confection où chaque ouvrière se garde bien d’exprimer ses opinions et d’aller contre l’avis général. On est ici face à une forme d’omerta qui tire tout et tous vers le bas et se présente comme un obstacle difficile à franchir pour tous ceux qui souhaitent instaurer une forme de responsabilisation des salariés. Tout reste au point mort en réunion de gouvernance, chacun préférant le statu quo au risque d’exclusion, de mise au ban.

A cette difficulté, vient s’en ajouter une autre. Celle incarnée par une croyance qui voudrait que chacun soit « gentil ». Derrière cette idée se cache une erreur majeure. Celle de ne pas tenir un discours transparent et franc avec ses équipes. Dans ces entreprises, « tout le monde est gentil » mais il n’existe aucun challenge, levier de progrès. Rien n’est dit donc rien ne change ni ne progresse. 

Au regard de tout cela, il convient donc de tirer un certain nombre d’enseignements. Pour vraiment changer la donne, il convient d’abord de supprimer toute forme de pouvoir sur au sein de l’entreprise pour aller vers une autorité au service de. Il convient ensuite d’éradiquer toute attente implicite. Vient alors la question d’institutionnaliser la notion de feedback et aussi celle du développement pour tous d’une posture “Own your experience”. Cela signifie que chacun est invité à prendre la responsabilité de son expérience, de ce qu’il vit et qui lui appartient. Il peut ainsi exprimer ses idées, son point de vue, tout en le présentant comme son expérience personnelle, sans jugement, ce qui laisse les autres libres d’avoir la leur, même et surtout lorsqu’elle est différente. Dans ces conditions, le danger peut s’estomper au bénéfice de chacun et de l’entreprise.

Parallèlement, il est nécessaire de ne pas juger les personnes en fonction des comportements qu’elles ont en l’instant mais de les voir au travers de leur potentiel, de ce que l’on pourrait appeler le « regard créateur ».  De la même manière, lorsqu’une personne fait quelque chose que je ne comprends pas, que je considère comme une erreur, à moi de faire la démarche de lui demander une explication plutôt que de l’enfermer dans une interprétation qui est la mienne et n’est peut-être pas juste. C’est ce qu’on appelle la confiance en action, un levier essentiel pour créer un environnement favorable à ce que les gens puissent exprimer ce qu’ils pensent et ressentent. Enfin, il est primordial d’accepter une réalité pourtant simple : nous sommes tous différents. Qui plus est, en reprenant les Principes Source de Peter Koenig, acceptons que nous ne soyons même pas nos pensées.

On le voit, pour sortir de l’ornière, il convient d’investir dans le cadre. Et cela commence certainement par prendre conscience que ce cadre peut être bon et surtout vertueux, pour chacun, pour le collectif et pour l’entreprise. Un cadre qui empuissance les personnes et permet aux entreprises de suivre voire d’anticiper le changement. Un cadre qui réinvente la nature et l’exercice du pouvoir en clarifiant les autorisations, en définissant des règles de coopération, en proposant des accords relationnels et des rituels associés ; en s’appuyant sur les tensions ressenties et exprimées par tous les collaborateurs de l’entreprise.

 

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