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Quand Renault Réinvente Sa Supply Chain

renaultSébastien Samuel

Les grands groupes comme Renault ressentent l’urgence impérieuse de transformer leur fonctionnement collectif, jugé souvent, le temps et la taille allant, rigide et désengageant pour les salariés mais plus largement pour toutes leurs parties prenantes. Eclairage de cette tendance avec Sébastien Samuel, en charge du contrôle de la production des véhicules au sein de la chaîne logistique au sein de Renault.

Sébastien Samuel dirige l’équipe qui assure l’interface entre le commercial et la production, pour que l’entreprise produise les véhicules dont le constructeur aura besoin pour assurer ses ventes des mois à venir. Cette « programmation d’usine », implémentée en juin dernier, résulte de nouveaux principes de gouvernance .

Après 22 ans au sein du groupe Renault, passé par la recherche, les prototypes, la stratégie d’ingénierie et la direction d’un centre d’ingénierie au Brésil, Sébastien Samuel a rejoint la supply chain du constructeur en 2016. Manager qui délègue beaucoup, il n’a jamais réellement adhéré à la verticalité de la hiérarchie, même s’il a dû, maintes fois, mettre en place des process très découpés, très mécanisés, taylorisés, convaincu et résigné à leur nécessité. Il en est revenu.

Revenu en France, avec un supérieur hiérarchique très ouvert sur les questions de management, il a entamé la réorganisation du service, fort de l’expérience qu’il avait déjà acquise au Brésil.

Ce qui est efficient ailleurs ne convient pas forcément ici

Au Brésil, confronté à des employés qui ne comprenaient plus très bien à quoi ils servaient, il a utilisé des outils de réappropriation des objectifs et de vision du futur propre de chacun. Inspiré par une méthode américaine, le principe était de demander à chacun, chaque semaine, une contribution personnelle pour participer à l’amélioration du travail et atteindre les objectifs fixés. Une sorte de routine qui a procuré un progrès en continu, a été très bien perçue et s’est avérée redoutablement efficace.

Mystère des contextes socio-culturels, le principe n’a pas suscité une adhésion suffisante en France lorsqu’il a tenté son implantation, une partie des collaborateurs y voyant une sorte de flicage.

 Se concentrer sur l’adhésion avant toute chose

La particularité de la supply chain de Renault était de compter de nombreux de managers. Des chefs de service, des chefs d’équipe, des managers au sein d’équipes de seulement quelques personnes… « Un ratio rameurs/barreurs assez bas » qui ne favorise pas la délégation. Sébastien Samuel a eu pour mission de transformer le cycle de programmation pour le rendre plus agile, plus transparent, plus collaboratif.

Le collaboratif a constitué la genèse de cette transformation puisque, plutôt que de proposer un plan, il a demandé à ses collaborateurs de lui faire des propositions d’organisations participatives, plus responsabilisantes pour les équipes, et qui apportent du plaisir au travail. La construction de la proposition s’est donc faite en même temps que celle de l’adhésion, en s’appuyant sur des enquêtes qui avaient été menées sur le climat social de l’entreprise et des interviews ad-hoc réalisées par la « tribu » en charge de faire les propositions.

Une base holacratique adaptée

La mise en œuvre de cette nouvelle gouvernance concerne 50 personnes en France et 40 en Roumanie où Renault a implanté un centre de service partagé. Les cercles sont de fait transnationaux. Une table des lois a été rédigée, les rôles et redevabilités déterminés, et si le dispositif comprend un certain nombre de « rituels holacratiques » comme les réunions de triage, il s’en distingue par certains points : pas de signature de constitution et pas de premiers liens dans les cercles, uniquement des seconds. Sébastien Samuel est persuadé que dans son service, le premier lien fera courir le risque de retomber dans le piège hiérarchique, incitant  le collaborateur à attendre que quelqu’un d’autre prenne la décision à sa place.

Le dispositif a été imaginé sur une phase de six mois (de septembre 2018 à février 2019). Une proposition a été soumise en mars à S. Samuel  puis aux instances de direction et de délégation du personnel. A suivi l’organisation d’un « bootcamp » de deux jours de formation. Au final, le dispositif a été implémenté au bout de neuf mois, en juin dernier. 

Redéfinition du rôle du manager, avec parfois des inquiétudes

Dans la recherche d’autonomie des équipes, le rôle managérial a été largement redéfini. Le reporting direct au manager hiérarchique a disparu pour laisser la place à des coaches-managers qui accompagnent, et qui sont choisis par les collaborateurs.

De 11 managers, l’organisation est passée à 6 coaches-managers qui gèrent une dizaine de personnes chacun. La plupart des coaches sont ravis de ce nouveau rôle, de cette nouvelle relation « de développement » avec les collaborateurs, enrichissante et gratifiante puisqu’elle participe à l’épanouissement et à la construction de  l’avenir de chacun. Les autres anciens managers ont pris des positions transversales de Sponsor dont la responsabilité n’est plus de décider mais de faciliter la réussite des équipes autonomes.

Toutefois, Sébastien est par exemple confronté à un ancien manager, devenu coach, qui ne sait pas comment aborder cette relation nouvelle, se demandant s’il a encore son utilité, s’il apporte encore une valeur ajoutée. Ce dernier avait jusqu’alors un management fondé sur l’expertise, sur le savoir. Sa réaction est somme toute  logique. Il n’y a par ailleurs pas que du côté des coaches-managers que l’adaptation peut connaître des difficultés. L’absence de hiérarchie est susceptible de générer des perturbations à tous les niveaux, plus encore en Roumanie où la culture de la hiérarchie est plus forte qu’en France. La question peut se poser sur la capacité des équipes à s’emparer de leur autonomie, à se dire « Je vais être proactif et faire des choses que mon chef ne m’a pas demandées ».

Un principe évolutif

La particularité de la supply chain est qu’il n’y a pas d’activité de développement, pas de produits à imaginer, mais une situation à optimiser. Le service gère de façon assez répétitive la programmation des usines, les plannings et les principes d’agilité sont appliqués sur l’autonomisation de la prise de décisions, particulièrement dans la gestion des urgences : production, transport, fournitures…

Si l’organisation s’est inspirée de ce qui se faisait ailleurs (chez OCTO par exemple, avec qui Sébastien Samuel a travaillé), son activité ne lui permettait de s’appuyer sur aucun exemple existant. Le point zéro de  cette nouvelle organisation a donc été fixé non loin de la situation originelle en termes de rôles. Un principe évolutif va être appliqué, avec des réunions de gouvernance qui modifieront les rôles, les redevabilités et les cercles si nécessaire.

Si les objectifs ont pour cette première année été déterminés par un manager, il est déjà prévu pour 2020 de procéder selon un mode collaboratif pour la construction des objectifs individuels, qui seront davantage orientés sur le développement personnel que quantitatifs. De même, l’évaluation de chacun sera faite par des pairs, en « mode 360 ».

Une extension envisageable ?

En contact avec quasiment toutes les fonctions de groupe Renault, la difficulté est de faire comprendre aux interlocuteurs extérieurs au service, « le reste du monde », que c’est un cercle de personnes qui a désormais autorité pour décider. Une des tâches centrales de Sébastien est précisément de faire respecter cette autorité, de faire fonctionner cette mutation dans un environnement qui n’est pas forcément prêt à l’accepter.

L’extension de cette organisation à l’ensemble du groupe Renault demande une homogénéité d’état d’esprit d’acteurs très différents, qui est difficile à obtenir à grande échelle. Cela requiert une culture d’entreprise qui soit à la fois très forte, très partagée, et ouverte au changement. Pour envisager une généralisation, Sébastien Samuel imagine plutôt une organisation qui percole, qui « contamine », de proche en proche pour que les bénéfices soient visibles et que les états d’esprit évoluent.

Une sorte de virus positif.

Cette interview, réalisée par Luc Bretones, organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit” avec HolaspiritMaif et Manpower, et président de l’Institut G9+, est extraite d’un livre en préparation sur les dirigeants de 30 pays ayant mis en oeuvre de nouvelles formes de gouvernance, ré-engagé leurs forces vives autour d’une raison d’être fédératrice ou encore expérimenté  une innovation managériale majeure.

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