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Quand La Gouvernance Partagée Rayonne Au-Delà De L’Entreprise

gouvernanceOlivier Pastor

Co-fondateur de « l’Université du nous », membre de la coopérative Oxalis, Olivier Pastor, accompagne les organisations qui souhaitent se diriger vers une gouvernance partagée : entreprises, associations ou ONG. Selon lui, l’impact de la transformation qui s’opère au sein d’une entreprise dépasse largement son cadre.

« Je suis convaincu que la résolution des problématiques sociales, environnementales, économiques de notre monde passera par une plus grande capacité des êtres humains à coopérer », peut-on lire sur la page d’accueil de son site.

C’est en s’intéressant d’abord à l’acquis des émotions des enfants qu’Oliver Pastor en est venu à s’intéresser à ses propres émotions, et ce travail introspectif l’a logiquement conduit à s’interroger sur la qualité de sa relation à autrui, tant dans sa vie privée qu’au travail. Comment ne pas dissocier ce qu’il faisait de ce qu’il était, alors qu’il avait l’habitude de « laisser une partie de [lui]-même sur le paillasson de l’entreprise ». Jeune dirigeant, son inexpérience et un management très centré sur la technique l’empêchaient de développer la dimension relationnelle.

Découvrant la sociocratie et le principe de la décision par consentement, mais ne trouvant pas d’entreprise qui ait mis en place ce type de fonctionnement, il fondera en 2010 « l’Université du Nous » avec d’autres professionnels en recherche sur les mêmes sujets. Le groupe se donne pour mission d’explorer ce que pourrait être une organisation construite entièrement sur la relation d’équivalence au pouvoir. S’ils ont été parmi les premiers à se former à l’holacratie, et à utiliser des outils comme Holaspirit, ils ont eu à cœur de dépasser les méthodologies, en recherche des opportunités de grandir ensemble, par et au service de l’organisation.

L’individu dans et au-delà de l’organisation

Ce « par et au service de… » est essentiel pour Olivier Pastor. C’est par la mission à laquelle on s’attelle qu’on s’épanouit, qu’on crée un espace de collaboration, de confiance… qui va permettre de réaliser cette mission. Le partage de pouvoir qui donne du pouvoir ; c’est le terme « empowerment » qui qualifie selon lui le mieux les nouvelles gouvernances, terme plus complet qu’émancipation.

L’émancipation personnelle qui s’opère dans le collectif, c’est « la capacité à exercer son libre arbitre et trouver à réinvestir des espaces où chacun peut exercer son pouvoir ». Entendre par là non pas le pouvoir sur les autres, mais le pouvoir avec les autres : responsabilité, contribution, participation. Cette émancipation de l’individu dépasse ensuite naturellement le cadre de l’organisation. Chacun est transformé dans son rapport aux autres en général, dans sa citoyenneté, dans sa façon d’aborder la vie démocratique, de faire des choix…

La meilleure décision, quelle est-elle ?

Pilier des organisation horizontales : la prise de décision collective, la gouvernance partagée.

Lorsqu’il était dirigeant, Olivier Pastor prenait les décisions à l’issue de réunions de concertation. Mais il les prenait seul, estimant prendre la meilleure décision possible, constatant souvent des têtes qui se baissaient, signes implicites de désapprobation. Les mêmes personnes lui disaient quelques jours plus tard qu’elles auraient préconisé autre chose, mais qu’on ne les écoutaient jamais… Et qu’elles aient eu raison ou non, elles étaient de toute façon désolidarisées. 

Il lui fallait sortir du paradigme dans lequel il était enfermé de vouloir prendre LA meilleure décision. L’appropriation et la co-responsabilité générée par le processus décisionnel par consentement est une garantie de bien décider : « une bonne décision est une décision qui respecte les limites de ceux qui devront vivre avec ».

Il faut savoir lâcher prise, accepter de parfois donner du temps pour une décision qu’on aurait pu prendre plus rapidement seul. Le bénéfice, on va le trouver dans l’ancrage collectif de la décision, une valeur ajoutée indéniable.

Pour prendre du recul, faire un pas de côté

Ce nécessaire lâcher-prise en matière de leadership n’est pas seulement un changement de posture dans le management de l’équipe, mais aussi dans la conception et l’usage de  l’organisation.

Olivier Pastor observe beaucoup de dirigeants arriver d’eux-mêmes au constat que s’ils sont le centre de leur organisation, avec tout ce que cela peut leur apporter en satisfaction, ils limitent mécaniquement la capacité de leurs collaborateurs à prendre pleinement leurs responsabilités.

Pour autant la solution n’est pas de s’exclure totalement du processus de décision, cela pouvant s’avérer perturbant, déséquilibrant, et ne pas favoriser la montée en responsabilité des collaborateurs. Chacun pourrait être suspect de convoiter le leadership laissé vacant.

De l’intérêt de ne pas se positionner à l’extérieur, mais de faire « un pas de côté » pour se mettre à une distance raisonnable du centre de gravité de l’organisation, en relation d’équivalence avec les autres. Un entre deux qui favorise la coopération sans livrer tout de suite l’organisation à elle-même ; un équilibre difficile à trouver.

Transformation interne, rayonnement externe
 
ARES, groupe d’insertion professionnelle, solutions RH, économie circulaire… 220 salariés et bénévoles avec lesquels Olivier Pastor travaille en proximité (auxquels s’ajoutent 800 salariés en parcours d’insertion). 
Ils se sont d’abord lancés de manière tonitruante dans la transformation, mais sans préparation particulière. Deux ans plus tard, il a fallu revoir la stratégie de transformation, de façon plus pragmatique. Formation des équipes à la communication non violente, constitution d’un pool de facilitateurs et modification progressive des pratiques de réunion… Le groupe est désormais parvenu à transformer des entités entières en les faisant basculer dans la gouvernance partagée.
En parallèle à cette transformation organisationnelle, et au-delà de la pure organisation interne, le groupe ARES, a réfléchi à de nouvelles formes de partenariats en proposant au groupe XPO, anciennement Norbert Dentressangle, une joint-venture sociale pour créer de l’insertion par l’activité économique dans le secteur logistique.
De même que le collaborateur responsabilisé rayonne en dehors de son entreprise pour devenir un autre citoyen, une nouvelle vision de la collaboration en entreprise ouvre des portes et laisse voir de nouveaux schémas socio-économiques. D’autres projets ont été lancés avec Vinci et Accenture.

Les leviers pour étendre un nouvelle gouvernance partagée ?

La pression environnementale, la nécessité du développement durable amènent à repenser tout le modèle économique de notre société. Olivier Pastor compte bien s’appuyer sur cette convergence inédite. Les entreprises doivent, par exemple, proposer des bilans qui au-delà des performances financières intègrent pleinement les notions d’impact environnemental et social, y compris en interne. 

La grande distribution pourrait en être un acteur majeur et leader, mais elle a encore beaucoup de chemin à parcourir. Pour exemple une antenne qui depuis 5 ans fixe des objectifs à + 5%, alors que le résultat moyen du secteur est de -5%. Preuve d’une incapacité évidente à repenser le principe de création de richesse, un modèle qui semble toucher son asymptote 

Des exemples à suivre tout de même, comme Kiabi, qui a mis en place en 2014 une stratégie managériale pour inciter et récompenser les initiatives des collaborateurs. En 2018, elle devient la seule multinationale française dans le classement européen « Great place to work« . Avec les résultats qu’affiche le groupe, c’est effectivement encourageant.

L’autre levier majeur est celui de la pédagogie, les parcours de formation étant pour le moment très limitants sur le sujet de la gouvernance. Olivier Pastor intervient à l’université de Cergy-Pontoise, et également auprès de cadres du ministère de l’environnement. Avec ces derniers il étudie la façon d’introduire ces méthodes dans des démarches de concertation de citoyens, pour sortir du principe de l’expert qui soumet un rapport de 400 pages expliquant de façon précise et circonstanciée ce qu’il est nécessaire de mettre en oeuvre… Un besoin qui s’est fait ressentir après les difficultés liées au barrage de Siven et de Notre-Dame-des-Landes.

Les nouvelles méthodes de gouvernances sortent du cadre de l’entreprise, et viennent éclairer la vie démocratique. Rien que de très normal finalement.

Cette interview, réalisée par Luc Bretones, organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit” avec HolaspiritMaif et Manpower, et président de l’Institut G9+, est extraite d’un livre en préparation sur les dirigeants de 30 pays ayant mis en oeuvre de nouvelles formes de gouvernance, ré-engagé leurs forces vives autour d’une raison d’être fédératrice ou encore expérimenté  une innovation managériale majeure.

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