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Leadership du futur : et si on posait les bonnes questions ?

LeadershipSources : GettyImages

Le contexte actuel a placé les leaders du monde sous tous les regards. Qu’ils soient politiques, religieux ou organisationnels, chacune de leurs décisions est attendue, jugée et débattue. Cette mise sous projecteur n’est pas sans conséquence : au mieux, elle a laissé apparaître des limites dans les pratiques actuelles, au pire, elle a soulevé l’incompétence de certains : à vrai dire, seulement 22% des professionnels pensent que les leaders de leur entreprise ont le bon état d’esprit pour prospérer dans l’économie digitale.

Ces constats amènent la communauté scientifique et entrepreneuriale à s’interroger sur les répercussions durables de la crise sur le management en entreprise, ou les médias populaires à essayer de cerner les compétences clés d’un bon leader. Malheureusement, nous continuons certainement à nous poser la mauvaise question : plutôt que de chercher à percer les secrets des leaders parfaits, il serait en effet plus opportun de s’interroger sur les moyens utilisés pour les identifier.

Le leader du futur

Un leader curieux, adaptable, responsabilisant, inspirant et qui place l’Homme au centre des enjeux. Pour beaucoup, ces caractéristiques sont parmi celles qui caractérisent au mieux le leader de demain. Personne ne peut en effet nier que, à une époque où l’intelligence artificielle et le télétravail sont de plus en plus prégnants dans les entreprises, le rôle des leaders semble toujours plus se recentrer sur ces compétences comportementales. Pour autant, assiste-t-on à une transformation réelle et profonde des modèles de leadership, comme certains aiment à le faire penser ? C’est peu probable. La science a en effet depuis longtemps mis en exergue que le leadership est avant tout une question de pouvoir avec les Hommes, plutôt que sur les Hommes. Plusieurs recherches ont ainsi démontré que l’ouverture intellectuelle, la stabilité émotionnelle et l’agréabilité expliquaient la réussite des leaders, ou encore que les comportements de leadership orientés vers les Hommes, plutôt que sur les tâches, permettaient de mieux anticiper l’efficacité d’une équipe et sa capacité à apprendre. Ces comportements, comme l’empathie, influenceraient positivement la satisfaction des collaborateurs, créant alors une forme de sécurité psychologique amenant chacun à explorer de nouvelles façons de faire. Pour dépasser cette dichotomie unique et insatisfaisante « tâches versus relations », de nouveaux modèles ont également vu le jour, comme par exemple le leadership transformationnel : un leader qui partage une vision et optimise les relations entre tous, qui considère les besoins individuels, encourage l’expression des idées et mobilise autour d’un objectif commun. Cette forme de leadership semble d’ailleurs l’une des plus étudiées, regroupant environ 40% des publications académiques entre 2000 et 2012. Précisons toutefois que, même si certaines caractéristiques des bons leaders semblent universelles, c’est avant tout le contexte et les individus qui vont appeler à une forme de leadership ou à une autre : le leadership se concrétise surtout à travers un processus d’adaptation aux besoins d’une culture entreprise, d’une situation, d’un groupe précis ou d’une personne. 

Au vu de ces résultats, chercher à comprendre les secrets du leadership ne semble pas être la nécessité : plusieurs décennies d’études ont déjà contribué à en soulever les caractéristiques essentielles. Adresser d’autres questions semble plus pertinent : pourquoi, malgré des preuves solides, ces qualités ne sont toujours pas une référence dans les entreprises ? Pourquoi cette question du leader idéal est sans cesse remise sur le devant de la scène à chaque crise sociale ou économique ? Pourquoi, malgré une prise de conscience de plus en plus marquée (et communiquée), continue-t-on de promouvoir des leaders en inadéquation des modèles considérés efficaces ? La crise actuelle et les promesses du digital ont catalysé notre perception du gap existant entre ce que devraient être les leaders, et ce qu’ils sont réellement dans les entreprises. Ce gap n’est pas nécessairement lié à une incompréhension collective et intrinsèque de ce que sont les bons leaders : plutôt, il s’agit du reflet de nos pratiques d’identification et de promotion, encore trop souvent basées sur l’intuition. 

Émergence n’est pas performance

Même si nous considérons une décision prise sur la base de notre intuition comme un reflet plus précis de qui nous sommes réellement et de nos convictions profondes, force est de constater que, dans les activités de recrutement, l’intuition est un mythe. Aussi, s’appuyer sur une perception subjective dans l’appréciation des leaders amène plus souvent à les sélectionner pour répondre à un besoin de correspondance à nos « théories implicites de leadership », plutôt que pour leur potentiel réel : en somme, les critères qui font l’émergence des leaders sont différents de ceux qui font leur performance. Plusieurs études ont en effet démontré que les conceptions naïves et automatiques que nous avons sur ce qui fait le leadership sont essentiellement centrées sur des critères peu explicatifs de l’efficacité réelle, comme la tyrannie ou la masculinité : ces croyances apparaissent remarquablement stables depuis 20 ans, malgré les changements sociétaux et organisationnels. Ainsi, à travers une méta-analyse, Timothy A.Judge (Université de Floride), Joyce E.Bono (Université du Minnesota), Remus Ilies (Université de Floride) et Megan W.Gerhardt (Université de l’Iowa), ont par exemple montré que, alors que l’agréabilité est bien corrélée à la performance des leaders, elle n’est pas corrélée à leur émergence : une augmentation d’un écart-type sur le score d’agréabilité serait même associée à une diminution de 2.8% dans la probabilité de devenir manager. En s’appuyant trop fortement sur notre intuition dans les processus de recrutement ou de promotion, les leaders de nos entreprises sont donc choisis pour leur force de conviction et car ils ressemblent à des leaders, et pas nécessairement car ils le sont réellement. Cette tendance amène malheureusement à promouvoir des leaders aux tendances narcissiques et autoritaires, qui pourraient s’avérer destructeurs pour l’entreprise, et contribue également à la création d’un cercle de décision pernicieux : les leaders avec de hauts scores de narcissisme sont en effet plus enclins à apprécier et à valoriser les collaborateurs qui leur ressemblent.

Face aux turbulences du travail moderne, il est donc urgent de prendre la pleine mesure des réalités scientifiques, et de structurer nos process de sélection des leaders autour de données objectives et quantifiables, notamment grâce à l’utilisation de tests psychométriques. Recruter sur la base du potentiel réel de leadership des individus (c’est-à-dire leur personnalité, leurs motivations et leurs capacités de raisonnement) plutôt que sur la base du potentiel vendu en entretien, et sur base de leurs accomplissements collectifs, plutôt qu’individuels, sont des conditions sine qua non à l’émergence d’un leadership efficace dans les entreprises. Echouer sur cette voie instaurera probablement la persistance de leaders inadaptés aux modèles généralement reconnus efficaces, malgré les bonnes intentions exprimées de chacun : les individus arrogants, égocentrés et hostiles sont en effet les plus à même de prendre des positions de leadership dans les périodes de crise. Selon Jean Lipman-Blumen, professeure à l’Université de Claremont, ces leaders toxiques ont en effet la capacité de créer de grandes illusions, certes détachées de la réalité, mais qui apaisent nos angoisses et nous aident à supporter l’insupportable : nous avons donc tendance à les choisir, aux détriments de leaders plus humbles, sincères et nobles, pour essayer d’assurer notre confort psychologique. Finalement, même si les attentes autour de ce qu’est un bon leader peuvent varier en fonction des contextes et des évolutions du monde, la destination est globalement stable et connue depuis un certain temps : le défi majeur des entreprises, si elles veulent franchir un cap, est plutôt de comprendre comment s’y rendre, sans se perdre en chemin. 

Tribune rédigée par d’Emeric Kubiak – Research Psychologist chez Assessfirst 

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