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Innovation managériale : incrémentale ou disruptive ?

OPINION | On oppose souvent les deux alors qu’elles sont synergiques : un changement disruptif de la structure de pouvoir pour créer le courant qui va dans le même sens que le changement incrémental des comportements des personnes.

Pour beaucoup, il existe un débat de fond sur la nature que doit avoir le changement dans l’entreprise. Doit-il être incrémental ou plutôt disruptif ? En réalité, tout dépend de ce dont on parle. Ainsi, si le sujet est d’accompagner le changement des comportements des personnes, une approche incrémentale comme le Kaizen, cette approche développée par le constructeur automobile Toyota dans ses usines, véritable système du pas-à-pas, est tout à fait indiqué et à portée de tous. En revanche, la réalité est tout autre si l’on parle d’un changement de structure, d’environnement.

Pour autant, les deux approches ne sont pas incompatibles, loin de là. On peut très bien changer la structure de façon disruptive – comme avec la mise en place d’un pouvoir constitutionnel – tout en accompagnant simultanément les personnes dans un changement qui lui est incrémental, les mène vers de nouveaux comportements. C’est ce que nous allons tenter de montrer au travers de l’exemple concret d’une PME récemment accompagnée dans une telle démarche. Car la question est d’importance tant elle illustre un problème de modèle mental récurrent qui maintient la confusion entre structure et personnes. D’autant que pour faire avancer l’organisation dans son changement, les deux approches, incrémentale pour les personnes et disruptive pour la structure, se révèlent complémentaires.

 

Une nouvelle matière : le pouvoir constituant

Prenons donc l’exemple de cette PME de 135 salariés qui évolue dans le domaine de l’énergie durable. En forte croissance depuis sa création il y a une dizaine d’années, l’entreprise a commencé à mettre en place un certain nombre de choses inspirées de l’holacratie comme, par exemple, la définition des rôles qui constituent l’organisation. Pour aller plus loin mais quelque peu effrayé par une prétendue rigidité de la constitution Holacracy, le patron a souhaité se faire accompagner pour concevoir et rédiger un référentiel – une constitution au sens du management constitutionnel – pour donner un cadre explicite au changement et à tous au sein de l’organisation. Une démarche remarquable de la part de ce patron conscient de la nécessité de poser un cadre pour libérer les énergies de chacun de ses 135 collaborateurs. Pour que chacun sache clairement ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, quelles sont ses autorités et ses limites, ses permissions et ses protections.

Disons-le, il est à la fois intéressant et encourageant qu’un dirigeant s’interroge sur cette nouvelle matière qu’est le pouvoir constituant, sur la façon d’exercer le pouvoir souhaitée par l’entreprise pour l’ensemble des managers et collaborateurs. Désormais, le patron ne s’interroge plus simplement sur « comment je manage ? » mais sur ce qu’est le mode de management et de self-management souhaité par l’organisation. Une forme de méta-management. En somme, quel est le design, l’architecture du pouvoir et ses mécanismes de distribution de celui-ci au sein de l’entreprise ?

En filigrane – mais ce dirigeant ne l’exprime pas clairement dans nos échanges initiaux – il s’interroge : comment créer un environnement favorable à l’épanouissement des personnes comme à leur responsabilisation? Comment faire en sorte qu’ils se sentent utiles et bien utilisés. C’est ce que j’appelle l’empuissancement de tous.

Et pour créer un cadre propice à cet empuissancement de chacun, il est essentiel de créer un environnement favorable qui garantisse trois conditions incontournables : disposer d’attendus rendus explicites, offrir des mécanismes de protection et de permission à chacun au sein de l’organisation. Il faut aussi en finir avec les attendus implicites qui ont la vie dure dans le système conventionnel hiérarchique. À ce titre, l’holacratie et le management constitutionnel s’appuient sur des attendus explicites. Tout y est mis noir sur blanc dans un logiciel. Toute attente implicite n’a plus aucun poids (article 4.1.5 de la constitution d’holacratie). Parallèlement, il convient de circonscrire le lien de subordination et mettre en place des mécanismes de protection et de permission pour chacun. C’est comme cela que les salariés peuvent monter en puissance, grâce au cadre protecteur dans lequel ils se sentent en sécurité et où leur sont accordés un ensemble de permissions explicites. De quoi libérer une puissance inédite chez chacun d’entre eux.

 

Comment procéder pour créer un pouvoir constituant ?

Une chose est certaine. Pour cheminer dans la bonne direction, la mise en place d’un pouvoir constituant doit être marquée par une étape essentielle : la ratification de la constitution. C’est grâce à cette ratification que l’ensemble du processus débouche sur une architecture explicite. La ratification est cet élément fondateur qui marque l’entrée de l’entreprise dans une nouvelle dimension, celle d’une organisation de droit, d’un régime constitutionnel. La ratification crée mécaniquement, immédiatement de la protection et de la permission. Parallèlement, elle permet aussi de circonscrire le lien de subordination – qui découle invariablement du contrat de travail qui lient le salarié et l’entreprise – de le rendre explicite et bien distinct de l’organisation du travail.

Parmi les nombreux autres chapitres qui composent la constitution, figure celui consacré aux autorités. Un chapitre qui répond à une question essentielle qui est de définir le mécanisme qui confère à chacun une ou des autorités, qui le rend pleinement responsable, conformément à la définition de chacun de ses rôles. Parallèlement, un intérêt particulier doit être aussi porté aux limites de ces mêmes autorités. Quels sont les « feux rouges », les interdits ? Car, pour que le cadre soit favorable à l’empuissancement des salariés, les limites se doivent d’être explicites et le système capable de répondre à la question des mécanismes à mettre en place pour y parvenir. Comme des permissions explicites pour intervenir hors du cadre de ses rôles, ou des protections explicites qui, en creux, soulignent que toute attente implicite n’a aucun poids.

Autre question, autre chapitre : comment définir et rendre explicites les fonctions managériales ? En scindant fonctions managériales business et fonctions managériales RH. Il devient alors possible de les distribuer sur tous, managers et collaborateurs, si l’on souhaite aller vers le self-management.

De même, parmi tous ces sujets clés pour l’établissement d’un cadre constitutionnel, figure la question des mécanismes de coopération qui régissent les interactions entre les rôles de l’organisation. Et les mécanismes de réunion et d’évolution de la structure de l’organisation comme les réunions de triage et les réunions de gouvernance qui ont un rôle structurant pour modeler le nouveau système d’autorité et le faire évoluer.

D’autres chapitres pourraient être encore mentionnés, citons pour finir celui qui doit être consacré à définir les mécanismes et les limites à mettre en place pour contrer la bureaucratie potentielle qui accompagnerait le changement.

Mis bout à bout, ces chapitres aboutissent à une constitution – propre à l’entreprise. 

 

Un environnement sain pour renforcer les comportements désirés

Cette nouvelle architecture a un impact sur les comportements de chacun au sein de l’organisation. Elle a été conçue pour cela, elle va renforcer la culture qui est désirée. Un nouvel environnement qui s’installe lentement et sûrement, qui entraîne l’émergence de nouveaux comportements chez les salariés, ceux qui ont été souhaités lors du design de la constitution. En cela, la nouvelle architecture offre l’opportunité de partir sur la base d’un cadre sain, vertueux. Ainsi, ce cadre est à l’origine d’un environnement favorable à un accompagnement incrémental, Kaizen, des salariés de l’entreprise. Tous les efforts vers plus de responsabilité, d’ouverture et de confiance se font maintenant au sein d’un cadre qui renforce ces comportements. Alors que la structure d’avant créait un courant inverse au changement désiré. Un changement pas-à-pas, soutenu par un environnement conçu pour aller dans le même sens, catalyseur et accélérateur de transformation. On nage enfin dans le sens du courant.

C’est ici la preuve que la question de la gestion du changement peut être démultipliée par la question de l’architecture mise en place en matière d’environnement de travail. Un environnement qui favorise la prise de responsabilité des équipes et leur permet de donner le meilleur, d’être enfin eux-mêmes.

 

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