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Génération Z : Comment Recruter Et Manager Les « Digital Natives » ?

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Nés après 1995, ils font leurs premiers pas sur le marché du travail. Ultra-connectés, ces digital natives sont perçus comme insatisfaits, allergiques aux CDI et à la hiérarchie. Comment les intégrer dans l’entreprise, environnement trop rigide à leurs yeux ? Réponses avec Elodie Gentina, auteure de l’ouvrage Des Z consommateurs aux Z collaborateurs (Dunod, 2018).

 

Forbes. Quelles particularités de la génération Z expliquent l’inquiétude à les voir débouler en entreprise ?  

Elodie Gentina : Les Z sont nés après 1995, de parents généralement issus de la génération X (nés dans les années 1970). Au-delà de l’aspect démographique, la génération Z est imprégnée de nouvelles relations familiales, marquées par des relations plus égalitaires entre parents et enfants, des familles déstructurées ou recomposées. L’avènement des nouvelles technologies contribue aussi à donner davantage de pouvoir aux jeunes au sein de leur famille. Ils montrent par exemple à leurs aînés comment se servir des nouvelles technologies.

En France, nous rencontrons aujourd’hui une crise de l’autorité : celui qui a l’autorité n’est plus le sachant, mais celui qui expérimente. Il y a un renversement de l’autorité, avec une remise en question du prof, du parent… Comment les jeunes vont-ils respecter l’autorité en entreprise alors qu’ils ne la respectent pas à la maison ?

Ce constat ne peut être fait partout. En Asie, le respect de l’ancien est encore très marqué. Au Japon par exemple, il est impensable d’échanger des biens personnels entre parents et enfants, chacun reste à sa place. Aux Etats-Unis, c’est encore plus individualiste. Les jeunes sont beaucoup plus autonomes sur le plan affectif, financier et comportemental car ils ont très tôt un petit boulot, le permis…

F. Pour comprendre comment recruter les Z, déjà faut-il les cerner un peu plus. Qu’attendent-ils du monde de l’entreprise ou du marché du travail en général ?

E. G : S’ils sont encore sur les bancs du collège, du lycée ou de l’université, ils arrivent en entreprise, or, on a tendance à leur coller des étiquettes. Pour les comprendre, j’ai mené des entretiens avec des 15-20 ans, des phases récurrentes d’observation et j’ai analysé plus de 10 000 questionnaires rendus par les 15-23 ans. Par exemple, la dernière étude menée en 2017 auprès de 2300 jeunes lycéens et étudiants, âgés de 15 à 22 ans, dans les Hauts de France, a pour objectif de comprendre le rapport des jeunes à l’entreprise. Des jeunes qui ont pour vocation de devenir cadres. Les entreprises ont également fait des retours sur les plus jeunes des Y pour « prédire » ce que vont être les Z en entreprise.

Il apparaît que les Z ont des aspirations contradictoires. Comme les Y, ils sont partagés entre la quête de liberté et la quête sociale, le fait d’être rebelle et la quête identitaire, le désinvestissement et l’engagement… Les Z sont au cœur d’un nouveau rapport à la compétence et au savoir, d’un nouveau rapport à la fidélité, non plus absolue mais choisie, et d’un nouveau rapport au lien social, combinant le virtuel et le physique.

Selon une étude Flexjob réalisée en 2018, plus d’un tiers des CDI sont désormais rompus avant le premier anniversaire ! C’est particulièrement marquant chez les jeunes Y qui changent fréquemment d’emploi. 60% d’entre eux déclarent avoir une mission et en chercher une autre simultanément car ils aiment travailler en mode projet. Ils ont besoin de liberté, de flexibilité. En 2013, il n’y avait que 3% de slasheurs [ces travailleurs qui occupent plusieurs fonctions, ndlr], ils étaient 16% en 2016 et leur nombre ne cesse d’augmenter.   

Plusieurs éléments sont déterminants chez les Z. Les résultats de la dernière étude montrent que, parmi les éléments les plus importants pour intégrer une nouvelle entreprise : pour 28,8%, c’est la bonne ambiance, pour 28,4% la possibilité d’évoluer rapidement, pour 16,2% le fait de développer ses compétences, pour 12,3% la mobilité internationale, et seulement pour 11,7% d’entre eux, le salaire. Le degré de popularité de l’entreprise est également un critère et des entreprises comme Danone ou Google n’ont aucune difficulté à attirer ces jeunes.

Les Z veulent de la transparence. Ils sont à la recherche d’une authenticité dans la représentation de la culture d’entreprise. A l’inverse, ils n’ont pas envie d’intégrer une entreprise qui n’est pas en adéquation avec leurs valeurs.

Pour eux, l’entreprise doit devenir une école concrète. C’est-à-dire qu’ils ne veulent pas être passifs. Le manager doit ainsi devenir leur coach et leur faire des retours réguliers sur leur travail pour pouvoir évoluer. Ils ont un rapport différent à la connaissance qui est basée sur l’expérimentation, donc pour eux, le bon leader sera celui qui fait, et non celui qui sait. Les deux choses les plus importantes pour eux sont clairement l’esprit d’équipe et le fait d’apprendre continuellement.

Enfin, les Z ont un rapport à l’horizon différent pour eux, le bonheur n’est plus le point d’arrivée, mais plutôt le point de départ. S’ils veulent être heureux, c’est maintenant ! 

F. En sachant tout cela, que peuvent faire les entreprises pour les recruter ?

E. G : Le recrutement est un processus clé de l’intégration professionnelle. Or, seule une entreprise sur deux juge ce processus efficace. Il est indispensable de miser sur l’originalité. Ils sont nombreux à être fâchés avec l’orthographe, il est donc difficile de leur demander une lettre de motivation et un CV « classiques ». En revanche, ils sont très bons avec les nouvelles technologies. Ils sont d’ailleurs meilleurs sur la forme.

Il faut désormais miser sur l’e-recrutement, un recrutement 2.0, via les réseaux sociaux, voire 3.0, avec du Big Data et de l’IA. Pour cela, les entreprises commencent à à combiner l’usage des réseaux sociaux (LinkedIn, mais aussi Snapchat ou Tinder), la vidéo, la messagerie instantanée avec les chatbots, mais aussi le participatif en proposant des serious game. Le jeune doit vivre une expérience de recrutement.

Autre particularité, les Z veulent voir avec qui ils vont travailler. Un peu comme dans une collocation, il faut que ce soit l’équipe qui recrute la personne. Parce qu’ils ne croient plus uniquement au diplôme, ils mettent l’accent sur le réseau et les soft skills [les compétences douces, ndlr] et donc à l’humain.

F. Les entreprises doivent-elles s’adapter aux Z et comment ?

E. G : Avant, l’entreprise attirait et les jeunes candidats allaient spontanément vers l’entreprise. L’entreprise était le centre d’emploi. Aujourd’hui, c’est totalement différent, c’est le candidat qui propose ses talents et ses compétences à l’entreprise. Le jeune candidat devient le centre d’emploi ! L’entreprise doit donc démontrer aujourd’hui dans quelle mesure le jeune candidat a tout intérêt à la rejoindre.

De nombreuses pistes sont à explorer, comme adapter le mode de recrutement, passer d’une fidélité à l’entreprise à une fidélité sociale, favoriser le reverse mentoring, passer d’un rapport au travail utilitaire à un rapport affectif en intégrant davantage le bien être ou le télétravail et des horaires plus flexibles, encourager l’intrapreneuriat, passer du métier à la mission…

La génération Z, portée par la quatrième révolution industrielle, impose une remise en cause du management de l’entreprise et de ses collaborateurs. La génération Y avait apporté les prémices de cette nécessité de changement, la génération Z, quant à elle, l’exige et encourage les entreprises à repenser différemment la façon dont on approche le salarié.

 

Interview publiée dans le 3ème numéro de Forbes France, été 2018. 

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