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Entreprise Libérée : Utile Ou Indispensable ?

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Parmi les familles d’innovations, il en est une qui est plus stratégique au regard de la capacité de l’entreprise à se transformer : l’innovation organisationnelle.

 

Issue de la famille des innovations méthodologiques, l’innovation organisationnelle regroupe les solutions novatrices ayant un impact sur la structure et le fonctionnement des ressources humaines de l’entreprise : organisation, responsabilités, rôles et règles de gouvernance. L’innovation sociale en fait partie.

 

Prenons l’exemple de l’entreprise Poult, célèbre biscuiterie française par l’exemple donné lorsqu’elle décida de passer en organisation « Entreprise Libérée » dans les années 2000.

Son ancien Président, Carlos Verkaeren, a livré beaucoup d’interviews et fait l’objet de nombreuses études; considérant que l’équipe dirigeante de Poult a réalisé un important travail d’analyse et d’études comparatives sur ce qui existait comme modèles d’entreprises libérées, nous pouvons considérer que ce qui a été fait par Poult hier est encore valable aujourd’hui.

 

Contexte

Voici les principaux faits historiques pour bien comprendre comment la société Poult en est arrivée à considérer l’entreprise libérée :

Carlos Verkaeren arrive à la tête de la biscuiterie Poult (région de Toulouse) en 2001 en tant que PDG, peu après l’acquisition de l’entreprise par le fond LBO France ; à cette époque, la biscuiterie réalise un travail de qualité, mais sans marque forte en propre et très dépendante de la volonté de la grande distribution de travailler avec eux (création et production de biscuits en MDD, dite « Marque De Distributeurs »).

En 2002, le chiffre d’affaires tourne aux alentours de 50M€ mais baisse doucement d’année en année, et ce malgré la prise de contrôle du fond d’investissement et les optimisations associées. De 2002 à 2005, la situation de la biscuiterie devenant de moins en moins confortable, l’équipe dirigeante estime que l’entreprise sera morte deux à trois ans plus tard ; c’est à ce moment que Carlos Verkaeren convient des faits suivants :

  1. L’entreprise doit innover si elle veut se sortir du cercle vicieux « diminution résultat > dégradation productivité & innovation ».
  2. Pour innover, il faut que les collaborateurs soient dans un état de forte motivation et durable, ce qui n’est pas le cas ici (et bien qu’ils apprécient le fait d’avoir un travail).

À ce stade de l’analyse, Carlos Verkaeren ne sait pas encore s’il faut stimuler de l’innovation incrémentale ou de l’innovation de rupture, non plus que de savoir quelle(s) famille(s) d’innovation il convient de générer : produits, services, méthodes, modèles économiques. Par contre, considérant sa sensibilité et ses valeurs d’humanisme et de pragmatisme (droit à l’expérimentation et à l’erreur), il a la conviction que l’innovation sociale – autrement dit l’innovation de méthodes appliquée à l’organisation sociale – est la mère de toutes les innovations : s’il arrive à créer un environnement socialement responsable et innovant, les innovations de services et de produits suivront.

 

Carlos Verkaeren dispose encore de quelques marges de manoeuvre financières pour préparer l’avenir : l’équipe de direction effectue donc des voyages pour faire des études approfondies sur les modèles d’entreprises innovantes, notamment socialement : Samco, référence de l’innovation sociale au Brésil avec plus de 25% de croissance chaque année, Wallfoods aux États-Unis, FAVI en France, GORE avec son concept « SPOT », Apple, Pixar, etc. Ils voient beaucoup d’autres entreprises dans différents pays, et dans beaucoup d’autres secteurs d’activité.

En 2006, alors que la situation devient difficile, il propose alors à l’ensemble de ses collaborateurs d’accepter une révolution managériale. 

   

 Caractéristiques

Après de longs mois d’études et de réflexions, le modèle « Entreprise Libérée de Poult » voit le jour, avec les caractéristiques suivantes :

  • Disparition des managers et des Comités de Direction ; apparition des animateurs pour faire vivre l’opérationnel (culture, communication, connaissances, processus,…).
  • L’entreprise est organisée en modules de production virtuellement indépendants pour chaque ligne de production, où les collaborateurs s’impliquent depuis la R&D et jusqu’au contact direct des clients.
  • Toutes les informations sont accessibles à l’ensemble des collaborateurs.
  • Toutes les réunions sont également ouvertes aux collaborateurs et chacun peut y participer.
  • Il n’y a plus d’évaluation collective ni individuelle, trimestrielle ou annuelle, pas plus que d’entretiens formels ; la gestion des Ressources Humaines se fait par la tenue d’une commission ad hoc, c’est-à-dire lorsqu’un salarié en fait la demande.
  • Le pilotage de l’entreprise se fait grâce à la création de commissions de 15 personnes, chargées de chaque sujet d’importance ; les membres de chaque commission sont élus et tournent sur une période de 3 années.
  • Arrêt des budgets et des business plan internes : le travail marketing est concentré sur les scénarios possibles, l’amélioration continue et le benchmarking (les études comparatives avec l’état de l’art et la concurrence).
  • Création d’un budget annuel d’environ 1% de la masse salariale (environ 400K€) pour créer et incuber de nouveaux projets, de nouveaux modèles économiques.

L’entreprise se dote même d’un historien et d’un philosophe pour stimuler la réflexion collective et la mettre en perspective de cultures et de connaissances différentes.

 

 

Résultats

Les résultats après quelques années de fonctionnement – et d’améliorations – ? Un chiffre d’affaires qui passe en 10 ans de 50M€ à plus de 250M€ en 2013 ! La biscuiterie Poult est devenue n°2 française, derrière Lu, et dans le Top 10 des biscuiteries européennes.

En ce qui concerne les autres avantages :

  1. Après une période d’instabilité (liée en partie au manque de temps pour transformer l’entreprise), les collaborateurs se sont retrouvés -en majorité- grandement et durablement motivés.
  2. La forte réduction des coûts hors production, qui a permis à Poult de récupérer mécaniquement une forte compétitivité, à commencer sur leurs concurrents… chinois !
  3. La nouvelle organisation, la nouvelle motivation et la culture en place ont permis de créer un processus d’innovation incrémental de produits, grâce auquel certains distributeurs ont renouvelé leur confiance envers la biscuiterie et que de nouveaux projets y ont vu le jour, comme par exemple les débuts de Michel et Augustin.
  4. À terme, la majorité des salariés est formée à différents métiers, ce qui a pour conséquence d’augmenter les « sachants », donc de pérenniser les compétences clés de l’entreprise, tout en facilitant l’innovation collaborative !

Du côté des points à améliorer :

  1. Une minorité de collaborateurs n’a pas accepté de tels changements en un temps finalement assez court, et d’autres pour des raisons culturelles ou personnelles fortes.
  2. À terme, l’organisation engendre des frustrations, notamment liées au manque de reconnaissance individuelle.
  3. L’équipe dirigeante n’avait pas assez travaillé sur la Vision et le sens à donner à ce que le collectif – l’entreprise – devait réaliser (le « Pourquoi »), alors qu’ils avaient été excellents sur le «Comment ». Résultat : une stagnation certaine pour trouver des innovations de rupture

Ces point de faiblesse ont eu pour conséquence – en partie – de faire à nouveau diminuer les résultats de Poult à partir des années 2012-2015 ; suivra la nomination d’un nouveau patron pour la biscuiterie. Mais Carlos Verkaeren restera l’un des grands contributeurs de l’innovation sociale en entreprise, au travers de Poult et de son « Entreprise Libérée ».

 

 

« Après une période d’instabilité, la plupart des collaborateurs ont adopté ces changements ; une minorité en revanche n’a pas accepté le modèle et dans leur cas cela ne se termine pas toujours honorablement. »

 

Pour conclure – Si vous êtes encore dans une organisation pyramidale ou matricielle et que vous êtes dans une logique de compétitivité, alors revoir son organisation et s’inspirer de l’Entreprise Libérée est indispensable !

 

Toutefois, si passer à un modèle d’entreprise libérée est une stratégie intelligente, le faire trop rapidement ou sans un accompagnement correct des équipes peut avoir des conséquences néfastes sur la qualité de la production. Il convient en outre de s’assurer que l’équipe dirigeante et l’entreprise sont en phase avec une vision commune et que les moyens associés sont présents pour diffuser cela auprès de tous les collaborateurs. Car Entreprise Libérée ne signifie pas organisation laxiste, loin de là.

 

 

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