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Droit A La Déconnexion : A Chacun Sa Méthode

Temps de pause

Depuis le 1er janvier, le droit à la déconnexion prévu par la nouvelle Loi Travail est acté dans les entreprises. Il a pour but officiel de renforcer la séparation entre les sphères professionnelle et privée et de lutter contre le burnout. En pratique, il s’agit de donner à chaque travailleur la possibilité de ne pas se connecter aux outils numériques et de ne pas être contactables par leur employeur en dehors de leur temps de travail.

Ce « droit à la déconnexion » tient une place logique dans la Loi El Khomri, puisqu’elle a pour but de créer différents outils qui aideront les travailleurs à gérer de manière autonome leurs vies professionnelle et privée dans le cadre de la transformation numérique. On peut prendre l’exemple du Compte Professionnel d’Activité qui permet à chaque travailleur de connaître ses droits acquis au fil du temps et de gérer sa carrière, dans un contexte où la mobilité au travail s’accroît chaque jour.

Quelles entreprises sont concernées par cette réforme ? Comment ce droit à la déconnexion peut-il être mis en place ? Quels problèmes les responsables RH peuvent-ils rencontrer et quelles solutions peuvent être mises en place ? Pour répondre à ces questions, on peut tenter d’analyser l’esprit de la loi et s’inspirer d’exemples déjà mis en place dans certaines sociétés.

La Loi dans les faits

Cette mesure touche toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Toutefois, il est important de préciser que la notion de « droit à la déconnexion » ne fait pas office de loi. Ce n’est pas un outil législatif contraignant, qui définirait des heures de fermeture des serveurs, par exemple. Il s’agit donc avant tout d’un concept qui peut être adapté selon l’entreprise.

Cloud, chat, télétravail : de nouveaux modèles qui changent la donne

Droit à la déconnexion : télétravail et cloud

À l’origine de ce droit, il y a une tentative de donner aux entreprises des outils légaux plus adaptés au monde digital. Il s’agit de leur permettre d’être plus performantes dans ce monde redéfini par le numérique. Cela passe donc par la création de nouveaux leviers pour les directions, mais aussi de nouveaux outils et statuts pour assurer le bien-être et l’efficacité des salariés.

Car si la transformation numérique change en profondeur le paysage professionnel pour des millions d’actifs, elle crée ainsi de nouveaux modèles qu’ils doivent apprendre à maîtriser. On pense, dans le cas présent, à la connectivité totale : si un salarié apprécie de pouvoir récupérer un fichier sur le cloud depuis n’importe où, ou de parler sur un chat avec un collègue lors d’un déplacement, il se rend également compte qu’il est devenu joignable à toute heure…

Cette situation complexe n’est pas allégée par l’augmentation du télétravail. Aujourd’hui, les télétravailleurs constituent près de 20% du salariat français. Ceux qui voyaient cette approche de l’emploi « depuis chez soi » comme une aubaine pour passer plus de temps avec leurs proches en découvrent également le revers.

Travailler connecté depuis son domicile, c’est courir le risque de ne pas savoir quand s’arrêter vraiment, si l’on ne donne pas, à ses collègues comme à soi-même, des limites claires : il faut apprendre à déconnecter.

À bien noter : une jurisprudence est déjà en place pour éviter le harcèlement moral. Mais pour qu’il y ait harcèlement, il faut qu’il y ait répétition, ce qui est différent d’un mail tardif occasionnel. La loi a donc pour but d’offrir une liberté de « silence numérique » plus grande aux employés. De plus, la déconnexion s’applique aussi aux heures de bureau : ne pas passer une réunion de travail les yeux rivés à son portable, savoir ne pas répondre aux emails pour se concentrer sur une tâche… Là aussi, le droit à la déconnexion entre en action.

Un besoin de se déconnecter

Au passage, on remarquera que cette hyper-connectivité, au travail ou en dehors, commence à avoir un impact marqué sur nos concitoyens. Plusieurs études publiées récemment pointent une envie partagée de regagner sa liberté par rapport aux objets numériques. Fuir la tension de la vie urbaine connectée, fantasme moderne s’il en est.

Dans une étude sur les rythmes de vie, publiée en 2016 par l’Observatoire Société et Consommation (réalisée dans six pays : France, Espagne, Allemagne, Etats-Unis, Japon, et Turquie), on apprend que 74% des personnes interrogées estiment que leur rythme au quotidien est trop rapide, 90% souhaitent pouvoir accorder plus de temps à leurs proches et 89% à eux-mêmes.

Le Cabinet Éléas a quant à lui publié une enquête sur les « pratiques numériques des actifs en France en 2016 » qui révèle que si une majorité d’actifs sont enthousiasmés par l’usage des outils digitaux au travail (59%), ils sont 62% à estimer que plus de règles devraient être mises en place pour en limiter l’usage hors des heures de bureau.

Un droit à la déconnexion qui se négocie

La mise en place de ces règles est aujourd’hui facilitée par la Loi Travail. La bonne nouvelle de cette réforme pour les employeurs est qu’elle ne définit pas un cadre strict à l’application de ce fameux « droit à la déconnexion ». En effet, son mode d’application est laissé à l’appréciation de chaque entreprise pour mieux respecter leurs différentes nécessités.

Toutefois, ce qu’assure la Loi El Khomri, c’est l’obligation d’introduire ce sujet dans les Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) qui prennent place entre les employeurs et les délégués syndicaux. Ainsi, le droit à la déconnexion rejoint d’autres thèmes touchant à l’aspect « social » du salariat, comme la proportion hommes/femmes dans l’entreprise ou l’insertion des travailleurs handicapés.

Le but de cette négociation est d’inscrire le droit à la déconnexion comme un accord d’entreprise entre le salariat et le patronat. Néanmoins, la loi ne prévoit aucune obligation d’aboutir à un accord. Aucune sanction n’est prévue en cas d’échec des négociations. Néanmoins, au cas où les différentes parties se retrouvent dans une impasse, une charte devra être élaborée sur avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. Elle aura pour but de définir les modalités d’application de ce droit à la déconnexion et mettra en place une sensibilisation à l’usage raisonnable des outils numériques. Car comme on le verra plus loin, le droit à la déconnexion est surtout affaire de bonnes pratiques.

Difficultés et conseils pour les résoudre

Pour coller aux réalités des entreprises, la loi El Khomri reste donc assez vague sur la mise en place de ce « droit ». Néanmoins, à une époque où la mondialisation a rendu les fuseaux horaires obsolètes et où tous nos supports digitaux sont interconnectés, cette notion peut parfois se révéler peu compatible avec les obligations des cadres. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux (jusqu’à 74%) disent consulter leurs e-mails en dehors du temps de travail.

Veille de nuit

En effet, pour des sociétés qui assurent à leurs clients une présence à toute heure de la journée, la déconnexion partagée par tous les salariés reste un idéal théorique.

Ainsi, pour les grandes compagnies d’assurance, il est totalement impossible d’envisager une coupure totale des communications. Chez Allianz, entreprise pionnière sur le sujet, les cadres qui envoient des emails non urgents en dehors des heures de travail (7h-21h) sont rappelés à l’ordre. Néanmoins, en cas d’urgence (crues, incendies…), on attend des employés qu’ils soient capables de réagir, peu importe l’heure. Difficile également pour les salariés qui travaillent dans des entreprises internationales, et selon des fuseaux horaires différents, de limiter leurs heures de connexions aux heures ouvrées de leur pays.

Mais au-delà de ces problèmes très spécifiques, la vraie grande difficulté que rencontre les entreprises et les employés est que le travail connecté est devenu plus diffus.

En étant connecté en permanence, on répond à un email dans les transports en commun, on apporte une correction à un document qu’on a envoyé, on continue une discussion de travail bien après être parti du bureau… Sans même s’en rendre compte ! Emporter l’entreprise à la maison est très tentant, et pour une jeune génération qui « vit connectée », comment mettre en place des garde-fous ? Où commence et où s’arrête le travail ? Comment comptabiliser ses heures ? Et comment endiguer un phénomène parfois assez peu conscient ?

Volkswagen, La Poste et Michelin : des entreprises pionnières

Pour les responsables RH qui s’interrogent sur la marche à suivre, on peut citer quelques exemples intéressants d’entreprises qui, avant 2016, avaient déjà pris des mesures pour assurer des temps de répit à ses employés.

Les premiers pionniers sont en Allemagne, où des grandes entreprises comme Volkswagen ont mis en place la fermeture pure et simple de leur serveur entre 18h15 et 7h du matin. Une solution radicale, que peu d’entreprises sont prêtes à suivre, bien entendu, mais qui assure une déconnexion totale à ses milliers d’employés.

En 2015, La Poste se dotait d’un accord d’entreprise concernant un « droit à la déconnexion, en dehors de son temps de travail ». Une formule simple qui a pour but de protéger les employés injoignables en dehors de leurs heures ouvrées. Cependant, cet accord stipulait également la nécessité de se montrer réactif au cas où « la gravité, l’urgence ou l’importance exceptionnelle peuvent justifier l’usage de la messagerie professionnelle en soirée ou en dehors des jours travaillés ». Toujours se ménager des portes de sortie, pour les cas exceptionnels…

Autre exemple, un an plus tard : l’entreprise Michelin a intégré un outil numérique léger, mais très efficace, qui envoie une alerte à un employé lorsqu’il effectue plus de 5 connexions à distance hors de ces heures de travail. L’objectif affiché est de lutter contre la connexion inconsciente. Ainsi, l’entreprise espère que ces employés pourront se rendre compte soit d’un surmenage, et éviter le burnout, soit d’une attitude managériale néfaste pour d’autres travailleurs, qui confine au harcèlement.

Responsabilité individuelle : le meilleur rempart

Se déconnecter : une responsabilité individuelle

Car au final, c’est bien là que se situe le levier le plus efficace pour lutter contre les connexions intempestives et les emails durant les weekends : la responsabilisation de chacun. Comme certaines entreprises le font depuis maintenant 10 ans en indiquant dans tous les mails « réfléchissez avant d’imprimer », les solutions les plus souples et efficaces sont généralement trouvés grâce à des actions de sensibilisation en interne, pour appeler chacun à se fixer des limites.

Ainsi, on peut pousser les travailleurs à utiliser les fonctions d’envoi différé pour tout mail envoyé hors des heures ouvrées. Une autre solution conseillée est d’ajouter un mot de rappel à la signature des messages, du type : « les e-mails envoyés en dehors des heures de travail ne requièrent pas de réponse immédiate ». Et de rappeler à ses employés de mettre leur boîte de réception en mode « réponse automatisée » lorsqu’il parte en congés.

Ironie de l’histoire, il semblerait que pour mieux communiquer sur l’abus des outils numériques, le meilleur moyen soit de passer par ces mêmes outils numériques.

En effet, rien ne sert de blâmer les appareils dont des millions d’actifs apprécient chaque jour la praticité. Ce qui est vraiment en cause dans le droit à la déconnexion, c’est l’usage que l’on fait des machines, pour soi-même et pour les autres. Et comme pour tout ce qui touche à notre vie en communauté, un petit effort individuel peut faire toute la différence.

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