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Haro Sur Les ICO, Ces Levées De Fonds En Crypto-monnaies

Article co-écrit avec Fabien Lawson, Contributeur

Avocat au barreau de Paris, Associé au cabinet LABS-NS AVOCATS – Docteur en droit

 

Les sommes record levées cette année dans le cadre des ICO (Initial Coin Offering) font craindre la naissance d’une bulle. Cela a donc conduit à une réaction en chaîne des autorités de régulation financière cet été notamment, aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, au Royaume-Uni et en Suisse.

Une ICO est une opération de levée de fonds qui a pour socle technologique la Blockchain et qui intervient au début d’un projet porté par des Start-Up technologiques. Elle consiste en l’émission par ces Start-Up d’actifs numériques appelés « tokens » (ou jetons en français) sur des plateformes dédiées qui en assurent la contre-valeur en crypto-monnaies (le plus souvent en ethers). Ce « quasi-rôle de banquier central » implique pour les émetteurs de « contrôler un ersatz de masse monétaire, limiter ses prises d’intérêt, voire fixer des règles de gouvernance nouvelles« .

A ce propos, l’on observe que ces ICO se développent dans le cadre d’un système de gouvernance autonome et décentralisé, les organisations autonomes décentralisées (les DAO en anglais), basé sur le code (informatique) et qui défini les règles qui y sont applicables via des « Smart Contracts« .

Concrètement, ce modèle alternatif de levée de fonds encore appelé « Crowdsale » offre aux acquéreurs de tokens le droit d’utiliser les services de la Start-Up émettrice ou d’acquérir les produits que celle-ci souhaite commercialiser à terme. Par exemple, l’ICO du projet Storj (un service de stockage décentralisé) dont les tokens émis peuvent servir, pour les acquéreurs, à acheter ou à louer des espaces de stockage. En outre, ces jetons peuvent être échangés en contrepartie de crypto-monnaies.

Ainsi, grâce aux avantages qu’offre la technologie Blockchain (traçabilité, désintermédiation, instantanéité, décloisonnement géographique…) sur laquelle elles s’adossent, les ICO sont une aubaine pour les Start-Up de l’univers Blockchain qui lèvent par ce biais d’importantes sommes (le projet Tezos portant sur la création d’une nouvelle blockchain a levé l’équivalent de 232 millions de dollars en crypto-monnaies) en un temps record (le projet Bancor a levé l’équivalent de 153 millions de dollars en seulement trois heures alors que le projet Brave a bénéficié de l’équivalent de 34 millions de dollars en trente minutes). A ce propos, l’on note que sur les sept premiers mois de l’année 2017 plus d’un milliard de dollars américain a été levé selon le cabinet d’étude américain Smith & Crown.
Par ailleurs, ces « Crowdsales » d’une part, échappent aux contraintes généralement observées pour obtenir des financements classiques (crédits bancaires et capital-risque) et d’autre part, permettent une mise en relation directe et à bas coûts avec des contributeurs de tous horizons.

Enfin, en émettant ces actifs numériques et, contrairement à ce qui peut être observé dans les levées de fonds classiques ou dans le cadre des émissions d’actions à l’occasion des introductions en bourses encore appelées IPO (Initial Public Offering), les ICO épargnent en général aux Start-Up la contrainte de l’ouverture de leur capital social aux investisseurs.
Ainsi, même s’il s’agit pour l’instant d’un phénomène à la marge, les ICO pourraient donc diversifier les modes de financement pour les entreprises technologiques en particulier, voire « ubériser » les modes classiques de financement des entreprises.

 

Derrière le succès des ICO des risques et incertitudes

L’engouement observé autour des ICO doit cependant être nuancé. En effet, de nombreuses incertitudes existent autour des ICO en raison de l’absence d’un cadre réglementaire applicable plus spécifiquement à ladite activité et en général aux crypto-monnaies et à la Blockchain.
A ce propos, il convient de relever qu’autant la Blockchain (socle technologique des ICO) n’est pour l’instant quasiment pas réglementée autant les crypto-monnaies n’ont pas le statut de monnaie légale. En effet, le statut de ces actifs ne fait l’objet d’aucune définition en France par exemple où l’on note cependant que les crypto-monnaies pourraient être soumis au régime juridique applicable aux biens meubles1.
Par ailleurs, les ICO font peser des incertitudes sur la stabilité des systèmes financiers et font craindre une bulle si ce n’est déjà le cas. En outre, l’absence de tout encadrement juridique quant au plafond des montants levés et à la traçabilité des flux de capitaux n’exclut pas des risques liés au blanchiment d’argent. Il faut également souligner que les « White paper » (présentation du projet) rédigés par les porteurs des projets dans le cadre d’une ICO ne fournissent pas toujours d’informations suffisantes aux investisseurs, créant ainsi un certain flou. Enfin, contrairement aux plateformes de Crowdfunding, les ICO qui font appel à l’épargne public n’apportent pas de garanties aux investisseurs quant au risque de détournement des sommes investies qui peuvent par exemple être le fruit de failles technologiques.
Sur ce point, une faille informatique contre le projet « TheDAO » qui avait initialement levé l’équivalent de 160 millions de dollars en 2016 a permis le détournement d’un montant équivalent à 50 millions de dollars.
C’est donc au regard des risques et incertitudes précités que les autorités de régulation financière ont décidé d’intervenir avec des approches somme toute différentes.

 

Les tentatives de reprise en main des ICO par les autorités de régulation

Elles s’opèrent de deux manières :

  • d’un côté, le rattachement des activités menées par les plateformes d’ICO et des tokens à des réglementations financières existantes (USA, Canada, Royaume-Uni et Suisse) afin d’en faire des activités réglementées ;

 

  • et de l’autre, l’interdiction pure et simple des plateformes d’ICO (Chine).

 

Sur la première approche, la Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats-Unis s’est prononcée sur les ICO dans le cadre de l’affaire « The DAO » précitée et a choisi de rattacher les Tokens de cette ICO (qui avaient la particularité de permettre l’exercice d’un droit de regard sur le projet financé) au régime juridique des « Securities » ou titres financiers (US Securities Act de1933 et le Securities Exchange Act de 1934). La SEC a en outre ouvert la porte à une généralisation de sa décision à toutes Ies ICO.

Ainsi, par ce rattachement à la réglementation applicable aux « Securities » l’autorité américaine fait de l’activité des plateformes d’ICO, une activité réglementée. Cela implique notamment, que l’exercice de cette activité soit autorisé (demande d’agrément) et soit soumis au respect d’obligations diverses telle que l’information des investisseurs. Cette activité doit en outre faire l’objet de contrôles de la part de l’autorité de régulation avec la possibilité de sanctions en cas de violation de la réglementation2.
Par ailleurs, il convient de préciser qu’à quelques nuances près et à travers une approche méthodologique quelque peu différente, les homologues de la SEC, au Canada (Autorité canadienne en valeurs mobilières), au Royaume-Uni (Financial Conduct Authority) et en Suisse (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers), ont adopté la même position. 

Au final, l’approche de la SEC, qui a par ailleurs énoncé des recommandations à l’endroit des investisseurs, pourrait consister à mettre « sous-pavillon » du US Securities Act un phénomène qu’elle ne cerne pas assez de manière à mieux appréhender son évolution. Par ailleurs, en invitant les plateformes d’ICO à se rapprocher d’elle dans le cadre de leurs activités, l’on peut considérer que la SEC ouvre un canal de dialogue avec lesdites plateformes et crée de la sorte un cadre de co-régulation desdites activités. Le même état d’esprit a sans doute prévalu chez les autres régulateurs (Canada, Royaume-Uni et Suisse) ayant adopté la même approche.

 

En ce qui concerne la seconde approche, elle a conduit à l’interdiction pure et simple des plateformes d’ICO par les autorités chinoises qui ont en outre exigé le remboursement par celles-ci des investisseurs chinois. Plutôt radicale, cette réaction peut s’expliquer par l’engouement des investisseurs et entrepreneurs chinois pour les ICO et surtout par les montants record levés en Chine3).

Par ailleurs, même s’il est perçu comme nuisible à l’innovation, le choix des autorités chinoises de mettre hors la loi les ICO peut être analysé en réalité comme une stratégie de reprise en main d’un phénomène non-maîtrisé et dont le succès a surpris. Cette stratégie pourrait permettre aux autorités chinoises de définir une réglementation générale applicable aux ICO avant sans doute d’autoriser une reprise des activités. Il convient néanmoins de souligner que cette attitude dirigiste des autorités chinoises comporte des limites. Elle ne favorise pas l’instauration d’un cadre de co-régulation favorable au dialogue qu’impose pourtant inéluctablement l’ère du digital.

 

En définitive, l’épisode ICO de cet été ne semble pas avoir véritablement freiné l’engouement autour des crypto-monnaies. Par ailleurs, l’on observe en réalité qu’il met en exergue les défis auxquels font face les régulateurs en raison de l’émergence d’une économie numérique au caractère disruptif : émergence fulgurante de nouveaux modèles économiques, souvent en dehors de tout cadre réglementaire dédié, marqués par leur caractère a-territorial et immatériel…

 


  1. En Allemagne, les crypto-monnaies sont fiscalement assimilables à des titres financiers alors que le Japon et l’Australie les considèrent comme des moyens de paiement légal.
  2. Les premières sanctions sont d’ailleurs intervenues le 29 septembre 2017 aux Etats-Unis.
  3. De 400 millions de dollars levés en ICO par des projets chinois à la mi-juillet 2017, les entreprises chinoises auraient levé l’équivalent de 766 millions de dollars en ICO « locales » en l’espace de huit semaines entre juillet et août 2017 selon Forbes.

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