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Cinq questions sur la future cryptomonnaie de la BCE

BCE

Une enquête menée par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) datant de 2021 révèle que 86 % des 65 banques centrales interrogées sont déjà activement engagées à des échelons divers dans un processus relatif à la mise en circulation d’une devise électronique (généralement appelée Monnaie Numérique de Banque Centrale, soit MNBC). Parmi elles, la Banque Centrale Européenne (BCE) entamait en juillet 2021 une phase d’étude de deux ans visant à terme à mettre en circulation l’euro numérique afin de notamment répondre à l’expansion des cryptoactifs (du type bitcoin, souvent appelés à tort « cryptomonnaies ») ainsi qu’à l’utilisation croissante des paiements en ligne.


 

Toutefois, « l’ouverture de la nouvelle phase ne préjuge d’aucune décision future concernant l’éventuelle émission d’un euro numérique, qui ne sera prise que plus tard » assure la BCE dans un communiqué de presse. La mise en circulation de l’euro numérique est supposée advenir courant 2026.

 

Comment fonctionnerait l’euro numérique ?

La phase d’étude devrait permettre à la BCE de statuer sur les questions relatives à la conception et à la distribution de ce dernier. Néanmoins, les premiers éléments disponibles laissent à penser que l’euro numérique existerait parallèlement à la monnaie fiduciaire sans pour autant s’y substituer. Contrairement aux cryptoactifs, générés par des entités privées non supervisées n’assurant à ces derniers aucune valeur intrinsèque, l’euro numérique présenterait un niveau de risque moindre puisqu’il serait émis par la BCE et indexé sur l’euro. Ainsi, l’euro numérique présenterait un niveau de risque moindre. Sur le plan pratique, l’euro numérique permettrait de régler instantanément les transactions usuelles qu’elles soient physiques ou virtuelles via une application sur smartphone. Ménages et entreprises disposeraient ainsi d’un compte directement ouvert à la banque centrale, dont l’accès était jusqu’ici réservé aux banques commerciales. De tels dépôts présenteraient notamment l’avantage d’être moins coûteux pour leurs détenteurs du fait de la limitation du rôle joué par les intermédiaires que sont les banques secondaires.

Toutefois, les modalités opérationnelles concernant l’émission de l’euro numérique sont pour le moment obscures.  L’utilisation de grands livres distribués (dénommés Distributed Ledger Technology, soit DLT) type blockchain privée ou publique est évoquée mais absolument pas affirmée à ce jour. La BCE assure néanmoins que la consommation d’énergie requise pour la gestion de l’euro numérique serait dérisoire par rapport à l’empreinte environnementale de cryptoactifs tels que le bitcoin.

 

En quoi l’euro numérique diffère-t-il des cryptoactifs traditionnels ?

Tant que les mécanismes régissant l’euro numérique ne sont pas clairement définis, une comparaison avec les cryptoactifs existants reste approximative. Néanmoins, certains éléments déjà clarifiés permettent d’élaborer une première comparaison.

En Europe, les cryptoactifs ne sont pas considérés comme des moyens de paiement à proprement parler. Autrement dit, aucune entité responsable ne leur confère de cours légal, comme c’est par exemple le cas au Salvador pour le bitcoin depuis septembre 2021. Les cryptoactifs occupent pour le moment un rôle purement spéculatif, partiellement ou totalement justifié par leur rareté supposée. L’euro numérique serait a contrario garanti par la BCE – dans le sens où il constituerait un équivalent aux pièces et billets émis par cette dernière – lui permettant de régler toute transaction à tout moment au sein du territoire. De facto, le cours de l’euro numérique ne présenterait pas une volatilité aussi marquée que les cryptoactifs traditionnels. Enfin, la BCE assure que l’euro numérique ne présenterait aucun intérêt à être épargné puisque sa rémunération présumée serait inférieure à celle d’actifs dits « sûrs » (du type titres de créance nationaux ou supranationaux) dans l’optique de limiter la déstabilisation des intermédiaires financiers.

 

Quels sont les enjeux qui sous-tendent l’euro numérique pour les citoyens européens ?

Courant 2020, la BCE a mené une consultation publique, qui  a notamment permis de mettre en relief trois préoccupations majeures des citoyens européens.

D’abord, la protection de la vie privée est primordiale pour 43 % des répondants. Les MNBC, à l’instar de l’euro numérique, ne fournissent pas la même garantie d’anonymat que les cryptoactifs traditionnels pour des raisons évidentes de lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement d’activités illicites. Gardons cependant à l’esprit que contrairement aux entités privées, la détention – et surtout la commercialisation des données – ne présentent aucun enjeu pour une entité publique telle que la BCE. En outre, l’utilisation de jetons (type « tokens ») a également été évoquée afin d’anonymiser certaines transactions.

La sécurité ressort en second lieu. Peu d’éléments sont disponibles à ce jour la concernant, mais la protection contre les cyberattaques apparaît comme une condition sine qua non au lancement de l’euro numérique.

Ensuite, la possibilité de payer dans toute la zone euro doit être assurée : la BCE devra garantir l’acceptation de l’euro numérique via le cours légal de l’euro numérique au sein du territoire. Demeure toutefois la question de la fracture numérique persistante au sein de l’Union Européenne, qui ne permet pas à tous les résidents de disposer d’un portefeuille électronique.

Enfin, l’intégration avec les solutions de paiement existantes est primordiale : en élargissant le spectre des services bancaires disponibles, l’euro numérique présenterait notamment l’avantage de favoriser l’inclusion financière au sein de la zone euro – sous réserve, à nouveau, d’accès à une connexion internet.

 

Quid de la BCE ?

Du côté de la BCE, l’enjeu est principalement géopolitique : les monnaies numériques présentent le risque de se substituer progressivement aux devises locales réduisant la marge de manœuvre de la politique monétaire et déstabilisant le système bancaire. Il apparaît donc nécessaire pour la BCE de proposer une solution digitale sécurisée et maîtrisée à la monnaie fiduciaire.

L’utilisation d’une MNBC permettrait en outre une diffusion plus efficiente – car plus directe – de la politique économique. Contrairement aux pièces et billets en circulation (dont la détention n’est pas coûteuse en termes nominaux), une banque centrale pourrait par exemple mettre en œuvre une MNBC au taux de rémunération négatif afin de contrecarrer au maximum la thésaurisation des agents économiques concernés. A noter cependant que la BCE n’a émis aucun postulat à ce propos.

 

Quelles conséquences pour le système bancaire ?

Considérant le fait que l’euro numérique permettrait à ses utilisateurs de disposer d’un compte de dépôt directement auprès de la BCE à moindre coût, le recours aux intermédiaires traditionnels que sont les banques de second rang ne serait plus aussi trivial. En résulterait probablement une diminution des dépôts affectant la rentabilité des banques et entravant leur capacité à se conformer aux critères réglementaires, et in fine à financer l’économie réelle.

Pour conclure, seule une collaboration public-privé permettra de mener à bien l’inclusion vertueuse de l’euro numérique dans le paysage des paiements électroniques. Les premiers éléments divulgués par la BCE semblent optimistes au regard de la mise en circulation de l’euro numérique dans les années à venir, bien que les modalités légales et fonctionnelles demeurent jusqu’ici obscures. Les récentes introductions expérimentales du e-naira et du e-yuan apporteront très probablement un éclairage concret sur les effets sous-jacents de l’adoption d’une monnaie électronique.

 

Caroline Perrin, BSI Economics

 

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