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Sandrine Garbay, Château d’Yquem : L’Oenologie, Une Passion De 20 ans ! 

Yquem

Maître de chai. Depuis 1998, Sandrine Garbay occupe ce poste prestigieux, longtemps réservé aux hommes. Nous sommes au Château d’Yquem, le grand cru le plus réputé du Sauternais, riche de plus de 400 ans d’histoire.

Sandrine Garbay, c’est d’abord un sourire et une passion communicative. Trois jours avant l’ouverture des vendanges, elle s’enthousiasme déjà : « Cette année encore, les vendanges se présentent bien. Elles sont plutôt précoces – 26 août pour le blanc sec. Mais rien d’anormal :  en 2018, c’était le 23 août. Donc nous sommes dans les clous. »

Et l’impact de la sécheresse : pas d’angoisse ?  « Non, nous n’avons pas subi de sécheresse en Sauternes : de gros orages à la fin juillet ont apporté beaucoup d’eau. Nous n’avons pas eu de vignobles brûlés – comme ailleurs en Bordelais. Pas d’accidents climatiques : ni grêle, ni gel. Et une pression raisonnable dans la gestion des risques de maladies sur la vigne. Pour les cépages blancs, le stress hydrique est toujours à redouter, alors qu’il peut être bénéfique pour les rouges. »

Un millésime 2019 prometteur ?

En clair, le millésime 2019 s’annonce sous de bons auspices. Ici, les vendanges se font généralement en cinq passages, du 20 septembre à début novembre. « Notre vin, liquoreux, est fait à base de raisins botrytisés », c’est-à-dire porteurs de « pourriture noble » provenant d’un champignon spécifique, Botrytis cinerea, qui confère à ce grand cru ses subtils arômes de fruits confits.

Les premières prises commencent par les vignes de blanc sec, non botrytisées. Ensuite, la cueillette, exclusivement faite à la main, reprend lorsque les baies développent cette précieuse « pourriture noble ». Deux cépages, et uniquement deux, constituent le Château d’Yquem : sémillon (75 %) et sauvignon blanc (25 %).

Un cursus d’œnologue

D’où viennent cette expertise et cette passion pour le sauternes ? « J’ai suivi une formation d’œnologue à la faculté de Bordeaux (aujourd’hui l’ISVV, Institut des sciences de la vigne et du vin). J’ai eu comme professeur Denis Dubourdieu (ndlr, œnologue réputé, originaire de Barsac, décédé en 2016) et Aline Lonvaud, microbiologiste ; elle a été ma directrice de thèse de doctorat qui portait sur “La FML ou fermentation malolactique des vins rouges”. »

Dotée de ce bagage scientifique, Sandrine Garbay s’intéresse d’abord à la recherche, ce qui lui vaut, à 27 ans, d’être directement recrutée au Château d’Yquem pour s’occuper du contrôle qualité au sein d’un petit laboratoire maison.

« J’ai démarré le 1er septembre 1994. C’était mon premier job : une grande chance de débuter avec Guy Latrille, ce grand maître de chai qui a exercé durant quarante ans. Il était la mémoire du Château d’Yquem, connaissait tout des grands millésimes. J’ai eu la chance de travailler à ses côtés durant quatre ans ».

Lorsque Guy Latrille part en retraite en 1998, Sandrine est toute désignée pour prendre le relais. « J’étais très fière de prendre sa succession. J’avais 31 ans. »

Parité homme-femme

Le fait d’être une femme n’a suscité aucune objection. Alexandre de Lur Saluces, alors héritier descendant de la famille propriétaire du Château d’Yquem depuis 400 ans, cultive le bon vin, les asperges bio et… la parité homme-femme. « Certains l’imaginaient aristo, rétrograde. C’était tout le contraire. »

Les femmes occupant la fonction de maître de chai ne sont pas légion. « À ma connaissance, nous sommes trois en Sauternais et près d’une cinquantaine dans le Bordelais, dont plusieurs à Pessac-Léognan et Saint-Émilion. »

Existe-t-il une association féminine de « maîtresses de chai » ? « Pas que je sache. Il existe seulement des clubs féminins de dégustation (je n’en fais pas partie) ainsi que des cercles de femmes propriétaires de vignobles. Mais c’est autre chose. »

« Dans les années 90, les promotions d’étudiants en œnologie étaient déjà féminisées à 50 % », se souvient Sandrine Garbay, qui ajoute : « Sur tout mon parcours professionnel, je n’ai pas souvenir de circonstances difficiles à vivre en qualité de femme, même si, c’est vrai, on nous demande souvent de faire nos preuves, plus qu’aux hommes. Disons aussi que, parfois, nous nous mettons la pression nous-mêmes… »

Le métier de maître de chai a ses exigences :  « Il faut sans cesse apprendre. C’est très important. La recherche en œnologie progresse, que ce soit sur les raisins ou sur la vinification. En vingt-cinq ans, beaucoup de choses ont évolué, notamment avec la viticulture raisonnée. Notre conversion à l’agriculture bio aujourd’hui est officielle. Mais le processus était déjà engagé depuis des années » sous la responsabilité de Pierre Lurton, Pdg (cf. encadré ci-contre).

Les atouts « terroirs »

Qu’est-ce qui caractérise l’assemblage et l’élevage du Château d’Yquem ?  « La différence, c’est le terroir. La localisation de notre vignoble, environ 100 ha en production, chevauche quatre terroirs, contre un à deux chez nos voisins : nous avons des terroirs argileux, argilo-graveleux, argilo-calcaire et argilo-sableux. Ce qui fait une complexité particulière. Notre deuxième atout, c’est que le domaine se situe sur un point culminant du Sauternais. Ceci nous vaut des températures légèrement supérieures – d’où un mûrissement plus précoce – et des courants d’air permanents garantissant un bon séchage des raisins, point important pour un développement équilibré du botrytis. »

Le troisième atout, c’est la vinification : « Nous sommes très rigoureux dans la sélection des raisins. Nos vendangeurs, une centaine, sont expérimentés pour choisir les grappes les plus jolies. »
Une fois au chai, les grappes sont pressées aussitôt et le moût est mis en cuve durant une nuit. Le lendemain, il est versé dans des barriques en chêne neuves, où il fermente intégralement. Ensuite, tous les quatre mois, des transferts sont faits par roulement d’une barrique à une autre à l’aide de siphons, ce qui permet de soustraire la lie en douceur. Au bout de dix mois, on procède à l’assemblage des deux cépages (sémillon et sauvignon blanc) en sélectionnant les meilleurs lots du millésime – et uniquement ceux du même millésime. « Certaines années, il arrive que nous ne sortions pas de millésime, faute de qualité suffisante : c’est arrivé en 2012. Et entre 1900 et 2018, il y a eu dix années sans millésime. »

Le réchauffement climatique se fait-il sentir ? « Oui, mais l’impact est plutôt bénéfique, jusqu’ici. Car nous avons plus de facilité à concentrer les raisins en sucre. Mais si le phénomène s’accentue trop, il y a un risque : trop de sécheresse contrarierait le bon développement de la pourriture noble. »

Prix abordables ?

Relativement… Vu les exigences de sélection, le rendement du vignoble est petit : un pied de vigne de Château d’Yquem ne produit qu’un verre (contre une bouteille ailleurs, généralement). Ce qui explique, en grande partie, son prix élevé (autour de 350 €) – « prix abordable », corrige Sandrine Garbay, « si vous comparez au Petrus (pomerol) ou aux Romanée-Conti (côte-de-nuits, bourgogne) ».

À propos, quels sont les grands millésimes récents de Château d’Yquem ? « Le 2015, incontestablement ; ainsi que le 2009, toujours au top (ndlr : 1 100 € chez Nicolas…) et le 2001, qui continue de prendre de la valeur. Il faut aussi mentionner les 2010 et 2013. Les 2007, 2005 et 1997 sont également de bonne mémoire. Le 2017, disponible ce 16 septembre, devrait rejoindre les grands millésimes. »

Rappelons que les sauternes sont, par excellence, des vins de garde : « Au moins cinquante ans, si la qualité du bouchon est bonne ! » Il se boit et se vend encore (une fortune) du Château d’Yquem 1811 ou 1855, paraît-il.
Y-aurait-il donc spéculation ? « Nous n’incitons à rien du tout. Certains millésimes, c’est vrai, prennent de la valeur en vieillissant dans de bonnes conditions. Nous, nous prenons plaisir à faire de grands vins non pas pour qu’ils soient revendus mais pour qu’ils soient bus ! »

 

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