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Les Conversations D’Emilie – Où Sont Passées Les Femmes De Génie?

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Pourquoi ce qualificatif de génie est-il si rarement attribué aux femmes ? Les femmes diffèreraient-elles intrinsèquement au point de ne pouvoir atteindre le génie ? Ou n’est-ce qu’une question d’environnement et de conditions de vie ?

Le génie, la supériorité intellectuelle dans sa forme la plus transcendante est rarement reconnue chez une femme.  Faites le test : tentez de lister les femmes qualifiées de génie. Il vient facilement à l’esprit le nom de Marie Curie, Hannah Arendt peut-être… Mais pour approfondir la liste, c’est ardu !  On est obligé de faire appel à Google. Soudain surgissent des noms inexistants de nos livres scolaires, et des biographies inimaginables. Le premier exemple est éclairant : Amalie Emmy Noethe, mathématicienne allemande spécialiste d’algèbre abstraite et de physique théorique, décrite par Albert Einstein comme « le génie mathématique créatif le plus considérable produit depuis que les femmes ont eu accès aux études supérieures ».

On les a oubliées ? Empêchées ? Les deux ? C’est forcément l’un des deux car les recherches contemporaines en  psychologie sont implacables : l’effet du genre sur la créativité n’est pas décisif. Les facteurs de succès sont ailleurs. Le moteur de la créativité est la pensée divergente : la capacité à un foisonnement d’idées à partir d’un stimulus unique, autrement dit la capacité à faire des boucles, à multiplier les chemins en associant librement les idées, celles-ci étant boostées par notre imagination, nos émotions et bien sûr notre inconscient.  Que les choses soient claires : hommes et femmes ont la même capacité divergente. Autre facteur, la combinaison de six traits de personnalité : la persévérance, le « psychotisme » ou la capacité à s’extraire de son idée initiale et à associer librement, l’ouverture à l’exploration, le gout du risque, la tolérance à l’ambiguïté et la résistance à l’idée dominante dans un groupe. Encore une fois, hommes et femmes peuvent combiner ces traits de la même façon. Enfin, un élément primordial chez les créatifs est qu’ils tirent un tel plaisir dans la production d’idées nouvelles qu’ils continuent sans se limiter et sans se préoccuper de savoir s’ils vont être couronnés de succès. Comme le dit Teresa Amabile de l’université d’Harvard, la motivation des créatifs est d’aimer créer.  Toujours rien de féminin ou de masculin. Les femmes ont évidemment les capacités intrinsèques pour atteindre le génie. 

Toutefois le regard de la psychanalyse permet d’affiner cette idée. Dans le malaise et la civilisation (1930), Freud explicite le concept de sublimation :  «  les désirs peuvent substituer au penchant irréalisable de l’individu un but supérieur, un objectif plus élevé et de plus grande valeur sociale ». Autrement dit, une pulsion interdite par la civilisation change d’objet pour se valoriser dans un travail créatif.  Ainsi, si rien dans sa nature, absolument rien, n’empêche la femme d’accéder au génie, on peut admettre que la civilisation ait pu être un peu raide face à ses envies en les canalisant dans des rôles prédéfinis ou en les étouffant sous un plafond de verre.  Mais alors, contre le carcan social, la femme a dû refouler à max ! Car l’inconscient est modelé par l’histoire personnelle mais aussi par l’héritage culturel. Qu’on fait les femmes de tout ce refoulé ? Auraient-elles épuisé tout leur refoulé dans leur rôle attendu de femme ?  Ou est-il emmagasiné quelque part, prêt à jaillir ? 

Michel Eltchaninoff, rédacteur en chef de Philosophie Magazine et docteur en philosophie, imagine que si on avait demandé son avis à Bergson, il aurait expliqué en quoi les femmes ont été entravées*. Dans l’Evolution Créatrice (1907), Henri Bergson distingue deux manières de se rapporter au monde : l’intelligence et l’intuition. L’intelligence a une fonction purement pratique : «  Pour agir, nous commençons par nous proposer un but ; nous faisons un plan, puis nous passons au détail du mécanisme qui le réalisera » L’’Intuition est une pensée en durée qui donne accès au flux vivant des choses, à l’émergence de la nouveauté, à la création. L’idée est que le travail invisible des femmes, ce travail purement mental qu’est la charge mentale, aurait fait d’elles des machines à anticiper, à prévoir, à calculer, à commander, à attendre. Elle les aurait rendues plus intelligentes qu’intuitives, et par là moins capables de sublimer dans la créativité tout ce qu’elles ont refoulé.

 

Bon, alors en 2019 on dit que le génie des femmes a été empêché ou oublié ?

En 2019, on dit haut et fort qu’il n’y a pas de style féminin dans la créativité. Le genre n’influe pas sur les facteurs déterminants de la créativité qu’ils concernent le style cognitif, la personnalité ou la motivation.  Le potentiel est là chez les hommes comme chez les femmes. On dit que le génie des femmes a probablement été un peu oublié à l’instar de l’exemple de cette mathématicienne  rarement citée. Mais plus probablement  empêché si on entend que la civilisation les a fait longtemps refouler leur désir de créativité dans le domaine artistique, entrepreneuriale, politique ou scientifique… Attention, selon ce prisme, on pourrait imaginer un réservoir explosif ! Un réservoir d’énergie qui va surgir une fois la charge mentale, ce rôle du manager de maisonnée, réellement partagée. Et ce jaillissement risque de brouiller nos repères traditionnels du masculin et du féminin. Comment réagira la gent masculine lorsque la conquête, la créativité et le génie seront associés autant aux femmes qu’aux hommes ?

 

 

*Michel Eltchaninoff,  « Charge mentale : fallait demand​er à Bergson », Philosophie magazine, n°112, septembre 2017

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