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Cécile Duflot : « Oui, Il Est Encore Possible De Réduire Les Inégalités »

©Maxime Riché / Oxfam

A la tête d’Oxfam France depuis le printemps dernier, l’ancienne ministre du Logement et de l’Egalité des Territoires, Cécile Duflot, sonne la mobilisation contre « la pauvreté et l’accroissement des inégalités » dans notre pays. En ligne de mire, la loi PACTE qui agite actuellement les débats au sein de l’Assemblée nationale. A présent éloignée des vicissitudes de la politique, la pasionaria écolo se réjouit de la montée en puissance d’une dynamique citoyenne autour des grands enjeux sociétaux et environnementaux. Loi PACTE, démission de Nicolas Hulot, plan d’actions d’Oxfam, Cécile Duflot se livre pour Forbes.

Forbes. Pourriez-vous présenter Oxfam succinctement et décliner votre feuille de route pour l’Hexagone ?

Cécile Duflot. Oxfam France est membre d’une confédération internationale qui lutte contre la pauvreté et les inégalités dans plus de 90 pays. Nos actions portent tant sur la mise en œuvre de programmes de développement dans les pays du Sud, que sur des interventions humanitaires auprès de réfugiés Syrie. Nous répondons également à des urgences, par exemple ce week-end à la suite du séisme et du tsunami qui ont fait 840 morts en Indonésie, nos équipes se sont mobilisées pour apporter une aide essentielle auprès de 500 000 personnes à qui nous avons distribué des rations alimentaires, des kits de purification d’eau et des abris d’urgence.

Au niveau français, nos priorités portent sur des actions de sensibilisation et de mobilisation du public et des responsables politiques. Sur le changement climatique, dont l’aggravation exacerbe la faim et la pauvreté dans le monde, notre priorité, c’est la justice climatique. Nous demandons aux Etats riches tels que la France, de soutenir financièrement les pays pauvres et vulnérables pour qu’ils puissent s’adapter aux effets du changement climatique : agriculture résiliente, infrastructures renforcées, système d’alerte des populations en cas de crues ou de cyclone, etc. Nous suivrons avec attention la prochaine publication du rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) et le sommet Climat de l’ONU en décembre sur ces volets.

Mais ce qui nous occupe en ce moment même, ce sont les débats à l’Assemblée nationale avec le vote de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) : tous les membres d’Oxfam sont sur le pont pour interpeller les députés et le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire, pour que soit adoptée une mesure sur la transparence des écarts de salaires.

F. Initialement prévu au printemps, puis décalé en juillet et finalement présenté par le gouvernement à la rentrée, le plan pauvreté « ne s’attaque pas à la racine des inégalités», selon vous. En quoi l’instauration d’un revenu universel d’activité et le renforcement des dispositifs d’accompagnement au retour à l’emploi – entre autres mesures évoquées – seraient-elles contre-productives ? A ce propos, quelles sont vos propositions sur la question ?

CD. Le plan pauvreté présente des mesures sans dire que la lutte contre la pauvreté est liée à la lutte contre les inégalités et que ces questions méritent une attention politique, et une plus grande enveloppe budgétaire. Pour Oxfam, la fiscalité et les prestations sociales – qui peuvent certes être améliorées – sont indispensables pour lutter contre la pauvreté et les inégalités : ce sont les minima sociaux qui ont permis d’éloigner nombre de nos concitoyens de la très grande pauvreté. En 2014, les impôts, les aides et les prestations sociales ont fait baisser le taux de pauvreté de 7,9 points et ont permis à 4,9 millions de personnes de sortir du paupérisme. C’est sur cette voie que nous devons nous engager avec détermination.

C’est en cela que nous estimons qu’Emmanuel Macron ne se concentre pas sur le vrai problème lorsqu’il met l’accent sur l’emploi : les gens pauvres aujourd’hui sont, par exemple, les femmes qui vivent seules, qui élèvent leurs enfants ET qui ont un travail. Doivent-elles cumuler un autre emploi pour sortir de la pauvreté ? Ou peut-on les aider par le biais de services publics de qualité, de politiques salariales moins inégalitaires, d’aides sociales ? C’est ce que nous promouvons chez Oxfam, et c’est ce qui marche en France, comme dans les pays scandinaves que les responsables politiques citent souvent en modèle, omettant les choix politiques qui président à leur succès.

F. Vous faites, par ailleurs, le parallèle avec le fait que « La France est aussi le pays qui a connu le plus de nouveaux milliardaires l’année dernière » : vous ne croyez pas à la théorie du « ruissellement » selon laquelle les revenus des individus les plus riches seraient in fine réinjectés dans l’économie par le biais de leur consommation et de leurs investissements ?

CD. La théorie du ruissellement est une fable qui participe du narratif du statu quo au seul profit des individus les plus riches. Ce qui ruisselle, ce n’est pas la richesse, ce sont les inégalités. Oxfam a révélé en début d’année, que dans le monde, les 1 % les plus riches ont empoché l’an dernier 82 % des richesses créées tandis que les 50 % les plus pauvres n’en ont reçu qu’une miette ; information, d’ailleurs, allègrement relayée et commentée par la presse. La France n’est pas vraiment épargnée par ce constat : l’écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse de se creuser !

Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il existe des solutions pour réduire le grand fossé des disparités, et peu à peu, espérer rééquilibrer notre société : avec de la volonté politique, il est possible de changer les choses. En tant que mouvement citoyen mobilisé contre la pauvreté et les inégalités, Oxfam invite les citoyens à ne pas se sentir impuissants ou dépassés par cette question. C’est ainsi que dans le cadre de la loi PACTE, nous avons la mobilisation « loi-inegalites.fr » qui met en relation directe les citoyens avec leurs élus. Cette interaction fonctionne et montre que les députés prennent leur rôle au sérieux : déjà près de 90 d’entre eux ont dit publiquement vouloir agir et porter notre mesure pour la transparence des écarts de salaires. Interpeller son député sur les inégalités est un premier pas dans la lutte contre les inégalités, qui en appellera d’autres, j’en suis convaincue.

F. La récente démission du très emblématique Nicolas Hulot a fait beaucoup réagir. Le ministère de l’Ecologie est-il condamné à « éteindre » la vocation politique des plus ardents climato-défenseurs ?

CD. La démission de Nicolas Hulot a été l’un des événements politiques de cette rentrée qui devait pousser le Gouvernement au sursaut et à une remise en question davantage qu’à une succession de nouveaux renoncements et de paroles vaines. En vérité, la meilleure réaction au départ de Nicolas Hulot n’est pas venue de l’Elysée mais des citoyens mêmes, et d’ONG comme Oxfam, qui par dizaines de milliers ont manifesté dans la rue le 8 septembre dernier lors de la marche pour le climat. Les nombreuses personnes rencontrées à cette occasion, ont tenu un discours très clair sur ce sujet : le maroquin du Ministère de l’Ecologie ne peut plus s’accommoder d’une boussole de l’ancien monde orientée au gré de la froideur d’arbitrages ministériels ignorant les demandes légitimes pour un climat préservé, une alimentation saine, un air de qualité, des transports doux. En cela, quel que soit l’état de la flamme qui anime les locataires du boulevard Saint-Germain, nous ne pouvons que nous féliciter à la vue de ces nouvelles vocations qui s’éveillent et se renforcent, dans la société civile, pour défendre le climat.

F. Concrètement, « qu’est-ce qui coince » ?

CD. Il est aujourd’hui irresponsable de penser que des mesures cosmétiques suffiront à répondre à la gravité de la crise des inégalités et des dérèglements climatiques quand des mesures radicales s’imposeraient. L’inaction a un coût et, pour l’heure, ce sont les populations les plus pauvres qui en paient injustement le prix.

Il est d’une part nécessaire de regarder la réalité en face ici et de revoir en profondeur notre système économique, d’opérer une transition vers une économie plus humaine. Que valent des indicateurs de production et de richesses quand les fruits de la croissance sont si inéquitablement partagés et qu’ils reposent sur une exploitation de nos sous-sols, sols et océans, épuisant la planète au-delà de ses capacités de régénération ?

Il est d’autre part nécessaire de regarder la réalité en face, ailleurs, et de prendre au sérieux le changement climatique et l’aggravation des inégalités. Nous devons nous donner les moyens de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Nous devons pouvoir garantir des droits, le respect et la dignité aux personnes forcées de quitter leur foyer pour des raisons climatiques – parmi elles, 80 % de femmes. Nous devons, et nous pouvons surtout déjà, nous inspirer de celles et ceux qui vivent au quotidien le changement climatique et qui nous montrent la voie. Ainsi, en novembre se tiendra virtuellement le Sommet des pays les plus vulnérables, au cours duquel 49 pays – dont certains comptent parmi les plus pauvres au monde – vont se réunir virtuellement et discuter de la relève de leurs ambitions climatiques, et d’un objectif de 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050. Peu de communication et de grands discours ont accompagné cette remarquable initiative mais l’action est enclenchée : un exemple à suivre et un challenge à relever.

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