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8 Mars | Droits des femmes : se suffisent-ils à eux-mêmes ?

Le 8 mars est l’occasion de célébrer les avancées des droits des femmes. Le bilan semble encourageant : entre 2019 et 2021, 27 pays à travers le monde ont implémenté des réformes légales visant à accroître l’égalité des genres dans la société selon la Banque Mondiale.

Toutefois, selon le Global Gender Gap Report 2021 du Forum Economique Mondial, l’écart entre les sexes en termes de place dans le monde du travail, d’éducation, d’accès à la santé et au pouvoir politique ne se serait réduit que de 3,6 % entre 2006 et 2021. Même en Europe de l’Ouest réputée égalitaire, cet écart ne serait annihilé que dans 54 années. Pourquoi un décalage subsiste-t-il entre les impulsions légales et les réalités sociétales tant dans les pays développés que dans les économies en développement ?

 

Le cadre légal ne conduit pas nécessairement aux effets escomptés 

Si la mise en place de lois visant à restreindre la discrimination genrée est indispensable, des approches plus holistiques s’avèrent nécessaires pour éviter que ces lois aient potentiellement des conséquences tantôt imperceptibles, tantôt contraires aux effets initialement espérés par le législateur.

Ainsi, en Autriche, le prolongement de la durée du congé maternité voté en 1990 a été associé à une baisse de l’emploi et des revenus pour les femmes à court terme. En Inde, une loi accordant aux femmes célibataires des droits d’héritage égaux à ceux des hommes a conduit à de nombreux résultats encourageants, y compris un investissement accru dans l’éducation des filles, le report de l’âge du mariage et une plus grande inclusion financière (Deininger et al., 2009). Néanmoins, d’autres études ont mis en évidence certaines conséquences inattendues de cette réforme, notamment le fait que les parents étaient amenés à contourner la loi pour que leurs filles ne reçoivent pas d’héritage (Roy, 2015). Pis encore : cette réforme légale coïncide avec une augmentation de la mortalité infantile féminine et du fœticide (Bhalotra et al., 2020), ainsi qu’un taux de suicide plus élevé en raison de l’augmentation des conflits conjugaux (Anderson et Genicot, 2015).

 

Lorsque les lois vont à l’encontre des normes sociales

Du point de vue de la théorie des jeux, dans un espace social donné, plusieurs individus confrontés à une même situation tendent à se tourner vers le même choix – choix pouvant éventuellement s’avérer irrationnel. Pourquoi ? L’individu prend en considération le fait que le résultat de cette décision dépend non seulement de ses actes, mais aussi de ceux de ses pairs. La situation optimale est donc de conserver un état stable d’ajustement réciproque, c’est-à-dire de se conformer aux normes coutumières pour répondre aux critères d’acceptabilité sociale. Ainsi, un comportement collectif observable peut dériver complétement du cadre légal : pourtant inscrite dans le Code du travail depuis 1972, l’égalité des salaires n’est toujours pas acquise en France : à poste égal et compétences égales, une femme touchait 9 % de moins qu’un homme en 2021 selon l’INSEE.

 

En d’autres termes, lorsque la réforme juridique va à l’encontre des normes sexospécifiques, son efficacité en devient d’autant plus incertaine. Idéalement, tant les lois que les normes sociales doivent se renforcer et se préciser mutuellement pour tendre vers le cadre le plus égalitaire possible. Toutefois, la mise en place d’une loi, particulièrement dans le cadre de la lutte contre la discrimination genrée, vise justement à réprimer un comportement jugé préjudiciable par les décideurs. Intuitivement, les sanctions associées au non-respect d’une loi devraient contraindre l’évolution des normes coutumières. Or, deux éléments principaux entravent ce mécanisme. D’abord, les niveaux de connaissances juridiques sont bien souvent hétérogènes au sein d’une même population notamment dans les pays en développement. Ainsi, les femmes, qui sont en moyenne moins éduquées que leurs homologues masculins selon la Banque Mondiale, ne disposent pas nécessairement de l’information suffisante pour faire valoir leurs droits par le biais de l’appareil juridique. Ensuite, les coûts de surveillance importants associés à la mise en œuvre d’une loi tendent à affaiblir le niveau d’application de cette dernière. Ainsi, malgré un cadre légal prohibant la discrimination dans l’accès au crédit, les banques des pays développés persistent dans leurs comportements ségrégatifs à l’égard des femmes entrepreneuses (Perrin et Bertrand, 2022).

 

De la nécessité de la primauté de la loi

Plus que le droit en lui-même, c’est donc l’application concrète de ce dernier qui permettra l’abrogation de l’écart entre les sexes dans une société. L’élément moteur du changement des normes sociales réside dans le degré de primauté de la loi (aussi connu sous l’appellation anglophone « Rule of Law » ou Etat de Droit), définit par les Nations Unies comme le principe selon lequel « toutes les personnes, institutions et entités, publiques et privées, y compris l’État lui-même, sont responsables devant les lois ».

Ainsi, la primauté de la loi implique à la fois un niveau accru de connaissances juridiques pour une population à un cadre institutionnel pertinent et efficient. Ces dernières années, plusieurs pays hautement inégalitaires et légalement impliqués dans la lutte contre la discrimination de genre observent un accroissement drastique de leur Etat de Droit. La transformation radicale du statut de la femme dans les sociétés occidentales depuis le milieu du XIXe siècle permet de présager une modification profonde et durable des normes sociales.

Caroline Perrin (économiste pour BSI Economics et chercheuse à l’Université de Strasbourg)

 

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