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Convention des Entreprises pour le Climat, des paroles aux actes

Luc Bretones est CEO de NextGen, chercheur en innovation managériale à l’ESSEC et organisateur du NextGen Enterprise Summit, le grand rendez-vous mondial des organisations adaptatives à impact. Il s’est intéressé à la CEC – Convention des Entreprises pour le Climat – et un exemple de mise en oeuvre, celui d’OCTO Technology.




“Que se passerait-il si les décideurs économiques avaient et prenaient le temps de comprendre notre dette écologique aussi bien qu’ils maîtrisent leur compte d’exploitation ?” L’association porteuse de la CEC – Convention des Entreprises pour le Climat – a souhaité réunir 150 décideuses et décideurs économiques pour répondre à cette question ainsi qu’à celles permettant d’aligner le monde de l’entreprise en France avec les accords de Paris.

Parmi les 150, OCTO Technology. Cette entreprise de conseil et réalisation IT est représentée par Dominique Buinier, COO et, depuis quelques mois, CSO pour  Chief Sustainability Officer. Autrement dit, elle promeut tout ce qui permet au modèle OCTO de rester agile dans les périodes de croissance, en intégrant aujourd’hui la dimension sociétale et environnementale. 

Dominique connaît l’entreprise comme sa poche, l’ayant rejoint à la fin de sa première année. Elle a suivi et contribué à l’émergence d’une incroyable success story de passage à l’échelle : 0 à 750 personnes en 20 ans avec une forte reconnaissance et expertise tech sur le marché. OCTO a certes bâti une référence d’entreprise efficace, accueillante, bienveillante mais a longtemps été considérée en interne comme très “OCTO centrée”. Dominique rapporte cette petite musique de fond qui commençait à monter parmi tous les profils de l’organisation : “on s’est bien occupé de nous, on est efficace, mais comment participer à quelque chose qui nous dépasse, tourné vers l’extérieur ?”. Le métier de prestataire de service positionne naturellement au service du client, mais comment passer au stade 5 décrit dans le best seller “Tribal Leadership” ? Comment faire du bien, ailleurs ?

 

De “Great Place to Work” à “B Corp” et la “CEC”

La petite musique n’est pas encore partagée par tous, notamment sur les dimensions stratégiques, mais émane de toutes les dimensions du corps social. Fort du label “Great Place to Work” pour sa maturité culturelle et managériale et plus récemment de la reconnaissance “B Corp” pour son business model à impact, OCTO a voulu se poser de nouvelles questions : “que souhaitons-nous faire, qu’est-ce qui est important, que veut-on bouger ?”. Comme dans beaucoup d’entreprises, les initiatives étaient partout, peu structurées et en particulier sur la question de l’impact environnemental.

Mais là où la plupart des entreprises se limitent pour l’instant à une mesure partielle, et c’est notamment le cas de toutes celles qui s’affichent neutres carbone, OCTO Technology a poussé l’exercice à fond. Dominique se souvient : “nous nous sommes lancés dans un bilan carbone exhaustif. Nous avons réalisé que notre métier du numérique était encore loin d’être exemplaire en la matière..” et de poursuivre après un silence “nous sommes plombés par des externalités négatives fortes, .., nous avons pris une claque !”

En effet, le bilan carbone réalisé révèle que plus de la moitié des émissions à effet de serre de l’entreprise dépendent de son cœur de métier, c’est-à-dire ce qui est développé et installé pour les clients. L’autre moitié des émissions vient de son fonctionnement ; essentiellement les locaux, les transports et les achats.

 

Passer au stade 5 de “Tribal Leadership”

Sur ce constat, le comité de direction France a pris la décision, sous l’impulsion de son CEO Ludovic Cinquin, et via un vote sociocratique, de s’engager dans les accords de Paris et de chercher -5% sur l’empreinte carbone de l’entreprise chaque année. Ce moment fédérateur s’inscrit dans la progression décrite par un des ouvrages qui a fait référence dans la constitution de la culture d’OCTO : « Tribal Leadership » de Dave Logan, John King et Halee Fischer-Wright.

 

Pour rappel, les différents stades évoqués dans le livre :

Stade

Discours

Comportement

Type de relation

Population concernée

1

« La vie est nulle »

Sabotage

Exclu

2%

2

« Ma vie est nulle »

Victime passive

Isolée

25%

3

« Je suis génial (et pas toi) »

Guerrier solitaire

Domination personnelle

49%

4

« Nous sommes géniaux (et pas les autres) »

Fierté tribale

Partenariat stable

22%

5

« La vie est géniale »

Émerveillement innocent

Equipe

Moins de 2%

Tableau de synthèse des 5 stades de tribu, via Florent Lothon

 

OCTO souhaite mettre en place les conditions favorables à un comportement et une dynamique éminemment collectifs et a inscrit l’axe numérique responsable parmi ses quatre axes stratégiques. La question stratégique ainsi posée peut se formuler ainsi : “Comment changer nos pratiques pour rendre le cœur de notre métier plus responsable ?”
Les Octos se sont structurés en interne faisant converger beaucoup d’envie de personnes favorables. Pour autant, et il ne faudrait pas le négliger, certains sont encore dubitatifs notamment face au saut dans l’inconnu que ces initiatives requiert sur le cœur de métier historique de l’entreprise.
Dominique, comme beaucoup d’autres “anciens”, a ressenti dans ce projet un nouveau souffle exaltant, dans la droite ligne de l’histoire et de l’ADN même de l’entreprise qu’ils ont vu grandir ; un projet dans la logique de responsabilité d’entreprise, sur son cœur de métier.

 

OCTO et son projet retenus par la Convention des Entreprises pour le Climat

L’initiative de la CEC – Convention des Entreprises pour le Climat – émane de deux personnes du monde de l’entreprise qui souhaitent mettre en œuvre les accords de Paris et disposer pour cela d’un ensemble d’entreprises représentatif des secteurs, tailles, géographies et parités. L’objectif de la CEC est la définition de feuilles de route de transition bas carbone qui puissent inspirer dans tous les secteurs économiques. Contrairement à la CCC (Convention Citoyenne pour le Climat) dont le projet constitutif était de légiférer sur la base de ses propositions, la CEC ne porte pas de promesse politique, et reste dans le monde de l’entreprise pour faire caisse de résonance par les actes et ainsi impacter politiquement la société.
OCTO – comme les 149 autres entreprises qui fédèrent 250 000 salariés – peut jouer un rôle modèle dans son secteur, en l’occurrence faire bouger les lignes sur la transition numérique responsable.
La société technologique dispose d’une organisation adaptative rapide, de bons résultats business. Elle doit pouvoir entraîner à son tour son écosystème et ses clients.

 

Challenger ses clients vers une transition numérique responsable

Combien de sociétés de service questionnent vraiment leurs clients sur la pertinence d’un développement demandé, d’une fonctionnalité de plus et parfois de trop ? Quel est le sens business de ce genre de remise en cause ? N’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?

Dominique en est convaincue, l’éco-conception va devenir incontournable dans un avenir proche ; autant s’y former dès maintenant. Une éco-conception interroge le vrai besoin, la sobriété, voire la réduction des cahiers des charges au risque de faire baisser dans un premier temps le chiffre d’affaires d’un contrat.

 

Mesurer l’impact du numérique sur la transition bas carbone

Des experts techniques travaillent activement à la mesure de l’impact carbone du numérique. Citons par exemple NegaOctet ou encore Boavitza.
Dominique se souvient, il y a dix huit mois, de la première candidate à un recrutement à avoir interrogé les représentants OCTO sur leurs actions pour l’environnement.
Depuis quelques mois, au-delà des critères RSE et du score e-covadis, les clients posent également de nouvelles questions sur les pratiques numériques responsables. Ceci sans compter l’État qui obligera d’ici deux ans à ne faire appel qu’à des prestataires pratiquant l’éco-conception.

Dominique Buinier l’affirme : “ce mouvement est stratégique pour nous, nous souhaitons ne pas le manquer et continuer à faire du business, mais un business qui a du sens, dans lequel nous croyons”.

Il y a 8 mois, OCTO a lancé la définition d’un framework afin de mesurer l’impact sociétal, environnemental à l’échelle d’une mission, d’un projet.

 

Un plan d’action clair et ambitieux

Les prochaines étapes du projet passent par un comité de direction – cercle général en sociocratie – par trimestre dédié au sujet « sustainability » pour suivre les indicateurs clés et l’avancement. Par ailleurs, il est demandé à chaque tribu, chaque équipe d’étudier comment se traduit un numérique responsable dans ses offres. 

En bref, l’ensemble des offres de la société sont appelées à être revisitées. Sur cette base, ce sont les clients dans leur ensemble qui devront être informés et auprès de qui il conviendra de recueillir les questions. Ce plan d’action s’appuie sur la méthode des OKR (Objectives and Key Results) – Objectifs et Résultats Clés – avec un numérique responsable comme objectif stratégique et la formation de consultants sur les sujets d’éco-conception comme un des KR (résultat clé). OCTO souhaite réaliser ses missions en éco-conception “by design” – par défaut – comme elle pratique déjà l’agile by design ou le craftsmanship by design.

La formation et la montée en compétence concerneront également les équipes de business développement au-delà des premières victoires enregistrées.

Des travaux avec l’Inria orientent la R&D sur ces nouveaux domaines. Les processus achats sont révisés, la réflexion intègre les locaux, les déplacements en avion, et bien d’autres sujets encore. “Nous avons ciblé nos quatre postes les plus importants en matière d’empreinte carbone pour focaliser et trouver des solutions, précise Dominique Buinier. 

Enfin, OCTO réfléchit au statut d’entreprise à mission et réfléchit à sa raison d’être, dix ans après ses premiers travaux sur le “Why” inspirés à l’époque par Simon Sinek.

 

Atteindre 5% de réduction d’empreinte carbone par an

Suite à la publication du bilan carbone d’OCTO l’an dernier, une équipe a spontanément voulu lancer le programme “décarb OCTO”, co-construit et pour un an, en embarquant tous ceux qui le souhaitaient.
Les premières simulations réalisées en amont montrent qu’il sera nécessaire de jouer non seulement sur tous les postes du bilan carbone mais de le faire de manière drastique. Les deux premières années sont relativement faciles à réaliser, mais la suite apparaît très difficile, avec un questionnement du business model même de l’entreprise, 50% du poids du bilan carbone étant lié aux activités pour les clients.
OCTO a déjà opté pour une posture d’action et donc de déséquilibre en avançant résolument sur la mesure et la formation car après les choses faciles, si les curseurs ne sont pas poussés à fond, le challenge restera hors d’atteinte.
Parmi les pistes disruptives énoncées, “sans filtre” se trouvent le questionnement des locaux, du matériel, des déplacements et des projets sur lesquels OCTO travaille.

Mais le plus compliqué à court terme semble de réussir à convaincre les différents clients de rentrer dans cette démarche. N’oublions pas également que la France fait figure de pays le plus avancé pour sa compréhension du changement climatique. Comment dans ces conditions remettre en question à la bonne vitesse les impacts possibles sur le revenu et les marges ?

 

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