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Start-Up : Choisir Son Nom, Le Protéger, Le Garder Ou En Changer

Getty Images

Pour les entrepreneurs, il y a de nombreuses étapes à ne pas manquer dans la création d’une start-up : avoir une bonne idée, la développer, la « pitcher », lever des fonds, trouver ses collaborateurs… En rencontrant les entrepreneurs, une autre étape est apparue indispensable (et semée d’embûches) : choisir son nom. Forbes France vous propose un guide, pas à pas, accompagné des témoignages de plusieurs startuppers, d’une avocate et de l’Inpi : comment trouver son nom, protéger sa marque, éviter les conflits, et peut-être un jour, changer de nom (parce que vous l’aurez décidé) ?

« Heek ? ça ne veut rien dire ! » Et c’est son CEO, Nicolas Fayon,  qui le dit. Heek, c’est un chatbot qui concocte en quelques minutes un site internet personnalisé. « Nous voulions un nom court, qui ne soit pas connoté et qui puisse fonctionner dans toutes les langues. » Toutes ? Presque. En néerlandais, Heek signifie mérou. Tant pis, la start-up s’appellera Heek, un petit nom sympa qui fonctionne avec le logo. « Puisqu’il s’agit d’un chatbot, nous voulions un logo humanisé », poursuit Nicolas Fayon. « Avec les deux ‘’e’’ nous avons imaginé des yeux rieurs. » Le H et le K sont venus ensuite. « Nous voulions aussi une lettre dentale, car c’est facilement mémorisable », ajoute le jeune homme. « Ce que l’on voulait faire du logo a influencé la marque et le nom. » Un processus créatif qui a duré deux mois entre la recherche du nom, la définition de l’identité de la marque, et les démarches diverses. « Pour rien au monde on changerait de nom ! », affirme aujourd’hui Nicolas Fayon qui affiche un sourire encore plus grand que celui de son petit robot.

Heek, le mérou en néerlandais

Choisir son nom est une étape essentielle dans le processus de création d’une start-up, car se tromper, c’est potentiellement perdre du temps et de l’argent. Mais trouver le bon nom, c’est pérenniser l’identité de marque. Et la tâche est ardue, selon Julie Zerbib, juriste chargée d’affaires à la délégation Île-de-France de l’équipe INPI qui tient depuis septembre une permanence à Station F, le campus aux mille start-up : « 80 à 90 000 dépôts de marques sont effectués chaque année. Il est donc de plus en plus difficile pour les entreprises de trouver un nom  pertinent, percutant et disponible. » Forbes France vous propose donc un petit guide pour trouver votre nom.  

Créer une bonne marque : « Apple ne vend pas des pommes »

« Une bonne marque n’est pas en lien direct avec le produit. Apple ne vend pas des pommes. » Julie Zerbib donne toujours cet exemple aux start-up. Car le rôle de l’Inpi est dans un premier temps de leur fournir les informations nécessaires et les critères pour créer une marque valable. « Une marque doit être distinctive, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas désigner le produit ou l’activité, mais identifier son origine commerciale », indique la déléguée Inpi. « Par exemple, je conseille aux entreprises de ne pas déposer le nom de spa bio si elles veulent ouvrir un spa utilisant des produits naturels. »

D’un point de vue marketing, les start-up semblent avoir bien intégré ces deux critères de non descriptivité et de distinctivité.

Inventer un mot court et original

« Le mieux est d’inventer un nom prononçable et de trois lettres », indique Mathieu Spiry, CEO de Zyl, qui révèle avoir travaillé avec un cabinet de branding américain installé en France. Son entreprise propose une application mobile de gestion de photos et d’albums collaboratifs. Comme Heek, Zyl insiste sur l’aspect original et mémorisable d’un nom court, facile à transposer dans une adresse internet. « Avant de trouver le nom de l’entreprise, nous avons travaillé sur l’esprit de l’entreprise », se souvient Mathieu Spiry. « Nous avions donc pensé à Zest, ce petit truc qui change tout. Nous l’avions même décliné pour plusieurs situations : Zest you wedding, Zest your travel, zest your life. » Et puis Zest est rapidement tombé à l’eau, au profit de ZYL, pour « Zest Your Life ».

Le post-it de brainstorming de Zyl

Inventer ou se réapproprier. Même s’il est risqué d’utiliser un nom existant, la start-up Mmmh qui propose un chatbot-cuistot-diététicien a trouvé la parade en remettant au goût du jour une onomatopée. « Au départ, nous voulions créer un super marché idéal pour Moins Manger mais Mieux, avec trois M », raconte Hugo Caffarel, l’un des deux cofondateurs. « Au moment du brainstorming, ces trois M sont revenus, mais avec cette idée de réinjecter du plaisir dans la consommation », ajoute le jeune homme à l’accent chantant. Les trois M se sont donc transformés en Mmmh. « C’est un mot que l’on prononce avec gourmandise, ça donne immédiatement le sourire de le dire ou de l’entendre », ajoute Hugo qui est bien conscient du risque : que personne ne se souvienne du nombre de M. «Maintenant on ajoute : Mmmh, mieux manger avec Max et Hugo ! donc trois M et un H. »

Penser international : « pour les Américains, crossroad, c’est négatif »

Si l’anecdote du chatbot Heek qui signifie « mérou » en néerlandais est plutôt amusante, votre petit nom de start-up peut vous jouer des tours. Cela a été le cas avec Zyl. Mathieu Spiry, son fondateur l’admet : « nous avons fait toutes les erreurs avant de trouver le bon nom. » Il raconte : « au moment du lancement du prototype, la start-up s’appelait Crossroad. » Problème, si ce terme inspirait au jeune entrepreneur l’idée d’échange et d’évasion, les anglophones, et notamment les américains l’ont vite dissuadé d’utiliser ce mot : « pour les Américains, « crossroad » est un terme qui désigne des changements de vie plutôt négatifs, comme un divorce. »

Effectuer des recherches d’antériorité

« Nous leur conseillons d’effectuer des recherches d’antériorité. L’Inpi propose une prestation de recherche, mais conseille de passer par des cabinets de conseil en propriété industrielle pour obtenir une analyse en complément », précise Julie Zerbib de l’Inpi. La recherche d’antériorité, c’est le fait de vérifier que le nom que vous avez choisi n’a pas déjà été déposé par une entreprise de la même classe (une catégorie) ou d’une classe proche de votre secteur d’activité.

Avant de s’appeler Zyl, l’application de gestion de photos et d’albums collaboratifs s’est un temps appelée Comet. « Nous voulions un mot du champ lexical de l’espace », explique Mathieu Spiry, son CEO. « Comet, c’est l’objet sympa, beau à regarder et qui laisse une trace. » L’entrepreneur se rend compte qu’aux Etats-Unis, une entreprise de produit ménager porte le même nom, mais les deux secteurs étant très éloignés, il ne s’inquiète pas trop et décide de le déposer à l’Inpi. L’appli photo commence donc sa carrière, et même un premier tour de table, sous le nom de Comet, avant d’apprendre que sa demande a été retoquée par l’Inpi. Ils ne sont pas seuls, une autre start-up, spécialisée dans la mise en relation de freelance et grands groupes, se nomme Comet. « Quand ils ont annoncé une levée de fonds, on a décidé de changer de nom », raconte Mathieu Spiry. Un changement un peu contraint que le jeune homme a su transformer en opportunité : « quand nous avons changé de nom, nous avons changé tout l’univers de la marque. Nous sommes passés du bleu à l’orangé, une couleur beaucoup plus chaude qui correspond mieux à ce que l’on est. »

Prévenir les sanctions : « Une telle affaire peut couler une entreprise »

Un changement qui rappelle l’importance de la recherche d’antériorité à effectuer auprès de l’Inpi. Clémence Philippe est l’avocate spécialiste d’internet qui a accompagné Zyl dans ses démarches. Elle effectue chaque année une trentaine de recherches d’antériorité auprès de l’Inpi pour à chaque fois quatre à dix heures de travail.

« Effectuer une recherche d’antériorité permet de prévenir les sanctions », explique Clémence Philippe. « Au pénal, 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement, et au civil, plusieurs  dizaines de milliers d’euros. » De quoi bien vérifier à ne pas prendre le même nom que le voisin. « En terme d’image, c’est une catastrophe, et sur un aspect financier, une telle affaire peut couler une entreprise. »

Les noms de domaine en 3 ou 4 lettres sont déjà pris

« Le nom Heek n’était pas utilisé commercialement, mais le nom de domaine était déjà pris », se souvient Nicolas Fayon son CEO. Et c’est très probablement le cas des noms de domaine composés de trois ou quatre lettres. N’a-t-on pas suggéré plus haut de choisir un mot en trois ou quatre lettres ? C’est bien là toute la contradiction de la manœuvre : des spéculateurs, sachant la valeur d’un nom de domaine court achètent ces noms de domaines dans le but de les utiliser plus tard ou de les revendre aux personnes qui voudraient s’en servir à des fins commerciales. C’est exactement ce qu’a fait Heek. « Nous avons fait appel à un organisme qui a trouvé pour nous la personne qui avait acheté le nom de domaine Heek et a négocié », raconte Nicolas Fayon. « Nous avons payé autour de 6 000 euros pour acheter le nom de domaine heek.com, c’est cher, et ça prend du temps. » L’entrepreneur conseille également d’acheter le nom de domaine avant de révéler une levée de fonds : « sinon, ils s’adaptent et font monter les prix ! »

Pour Mmmh, les choses ont été plus simples : « mmmh.fr, c’est 9 euros par an chez OVH ! nous avons eu beaucoup de chance car on sait que certains spéculent sur les noms de domaines », admet Hugo Caffarel.

Les .com et .fr, très recherchés, sont aussi très chers. Et il est de plus en plus fréquent de voir apparaitre des .io, des zen.ly, et des zyl.ai. « Nous sommes zyl.ai et zyl.life, nous n’avons même pas cherché à acheter le zyl.com », explique Mathieu Spiry. « Un avocat américain nous a contacté quelques temps après notre changement de nom pour nous dire que l’achat du zyl.com coûterait entre 20 et 70 000 dollars. » Des tarifs qui grimpent dès qu’une entreprise commence à lever des fonds.

Penser aux réseaux sociaux

Une fois que le nom de domaine est libéré, le bout du tunnel n’est pas atteint. « Sur Twitter, la personne sous le compte Heek ne l’utilisait plus depuis plus d’un an », raconte Nicolas Fayon. « Par chance, il a bien voulu nous céder ce nom avec pour seule contrepartie le fait d’être le premier utilisateur de Heek. » Le tout au bout de cinq procédures auprès de Twitter.

En revanche, sur Facebook, impossible de proposer un nom si court. Heek devient donc heek.me sur le réseau social. Quant à Instagram, le nom était déjà pris, mais aucune procédure n’est prévue. La start-up a donc choisi Heek_me.

Pour Zyl, ce sera Zyl app, « cela permet de dire ce que l’on est », assure l’entrepreneur.

Protéger la marque 

« Les start-up viennent spontanément à notre rencontre pour protéger leur nom et leur marque. Un nom qu’elles ont souvent bien en tête », a pu constater Julie Zerbib. « Les démarches auprès de l’Inpi sont dématérialisées et leur coût est assez faible, autour de 220 euros pour trois classes (une catégorisation de l’Inpi, ndlr). Surtout, déposer son nom est valable dix ans et renouvelable à vie », ajoute Julie Zerbib.

« Le dépôt de marque est souvent la porte d’entrée vers l’utilisation de la propriété industrielle. Les start-up découvrent à ce moment-là la valeur qu’elle peut représenter et l’utilisation stratégique qu’elles peuvent faire de sa protection », ajoute la juriste. 

Auprès de l’Inpi, un dépôt en ligne coûte 210 euros (pour 1 à 3 classe), et 42 euros par classe supplémentaire. Et 250 euros pour un renouvellement de dix ans.

Ne pas se faire copier son nom 

« C’est une utilisatrice qui nous a alerté », se souvient Hugo Caffarel de Mmmh. Un festival gastronomique du sud de la France, et qui existait depuis des années sous un autre nom, venait de se baptiser Mmmh. « Nous avons envoyé un message à l’agence qui avait modifié le nom de l’entreprise. Ils avaient un avocat, nous, non. Nous cohabitons… »

Choisir de changer de nom

Et puis, vous pouvez avoir tout fait correctement (ou non), avoir un nom, l’utiliser depuis plusieurs années et décider de le changer. Pour des raisons esthétiques, logistiques, pour des envies de déploiement à l’international… C’est le cas de Hopwork devenu en fin d’année Malt. « Nous étions sur un nom descriptif », explique Vincent Huguet dont l’entreprise met en relation freelance et entreprises. « C’est très fréquent de changer de nom : Covoiturage est devenu Blablacar par exemple. » Comme si en murissant, l’entreprise n’avait plus besoin de décrire ce qu’elle fait. Surtout, quand elles se lancent à l’international, les entreprises se rendent parfois compte de certaines choses : « to hop en anglais signifie passer d’un emploi à une autre, ce n’est pas ce que nous voulons transmettre », indique Vincent Huguet qui avoue également trouver le terme « work pas très beau ».

Changer de nom, c’est du boulot. Outre le fait de devoir passer par toutes les étapes dont nous venons de parler, il faut penser à l’après changement de nom : recherche sur internet, réseaux sociaux, identité visuelle… Tout doit être modifié. « Le plus dur est de s’habituer en interne », a constaté Vincent Huguet. « Les commerciaux par exemple disaient Hopwork vingt fois par jour et doivent à présent dire Malt. » 

Tout est donc à envisager avec le nom, du logo (à déposer en noir et blanc pour pouvoir le changer sans perdre l’antériorité), aux réseaux sociaux, en passant par le nom de domaine et la concurrence…

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