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Les Philanthropreneurs : Le Supplément D’Âme De La Start-Up Nation

Ils ont à peine la trentaine, affichent une insolente réussite professionnelle, et règnent souvent dans le secteur de la Tech. Ces millionnaires « précoces » à qui tout réussit sont de plus en plus nombreux à vouloir mettre à profit leur énergie entrepreneuriale au service de causes sociétales. « Si tu ne fais rien de ton succès, à quoi cela sert-il ? », interroge l’homme d’affaires altruiste Alexandre Mars dans son livre « La révolution du partage ». La start-up nation voit germer en elle une génération d’entrepreneurs habitée par une nouvelle philosophie du business : conjuguer capitalisme avec solidarité et humanité. Telle est leur religion. Ce sont les philanthropreneurs. Courant d’air ou phénomène pérenne ?

« Je ne suis ni l’Abbé Pierre, ni mère Teresa. Juste un homme de mon temps révolté par l’injustice », énonce Alexandre Mars en quatrième de couverture de son ouvrage « La révolution du partage », publié chez Flammarion au printemps dernier. L’entrepreneur, multimillionnaire, pur produit d’HEC et de Dauphine, a une trajectoire qui interpelle. Cet enfant d’Internet n’a pas manqué son rendez-vous, début 2000, avec l’émergence d’un nouvel ordre mondial intronisé par les nouvelles technologies. En misant très tôt sur le développement de la publicité digitale, sur le marketing mobile ou sur l’édition de logiciels et d’applications, ce vingtenaire – à l’époque – a fait fortune dans la Tech. Alexandre Mars aurait pu se choisir le destin tout tracé de Golden boy accumulant les Rolex et penthouses, mais le businessman,  au physique ravageur (sosie de Paul Newman !), a toujours été habité par une philosophie altruiste de la vie, des affaires et menant une existence loin du quotidien de flambeur. « Dès l’adolescence, je voulais protéger les plus faibles et ceux qui avaient besoin d’aide. Pour ce faire, j’ai rapidement compris qu’il me faudrait des ressources financières suffisantes. » Une déclaration, certainement pas anodine, qui met en lumière de nouveaux ressorts dans le business 2.0.

A l’image d’Alexandre Mars, des entrepreneurs se lancent corps et âme dans le travail pour servir une cause, un idéal. «Si tu ne fais rien de ton succès, à quoi cela sert-il ?», interroge-t-il. De cette évidence, le philanthrope crée en 2015 la fondation « Epic », financée sur ses deniers personnels. Objectif ? Démocratiser la pratique du don afin de l’ancrer dans les mœurs de chacun, particuliers comme entreprises. L’homme d’affaires humaniste  met en relation acteurs de terrain et généreux donateurs, après avoir sélectionné au préalable des dizaines d’ONG dans le monde en fonction de critères drastiques. Son cahier des charges en impose une cinquantaine !  Les organisations caritatives éligibles sont ensuite mises en relation avec des bienfaiteurs du monde entier et peuvent ainsi bénéficier de donations.

Tel est le « business model » philanthropique d’Alexandre Mars. Redistribuer un peu, beaucoup de ce que l’on a gagné ou reçu à la fleur de l’âge, est une pratique tendancielle très nouvelle au pays des Lumières. Auparavant, l’orthodoxie dominante se résumait surtout par l’immuable tableau de sexagénaires en costume grisâtre – industriels ou héritiers  – qui se retrouvaient autour de galas de charité pour remettre un chèque à une œuvre caritative. Souvent à l’approche de Noël. Une pratique qui a bien sûr toujours cours dans l’Hexagone, mais qui contraste à présent avec le panache de ces « philanthropreneurs » éphèbes prêts à mettre une énergie proportionnelle à leur force de travail dans une cause.

Faire bouger les lignes

« Il y a encore dix ans, dans l’Hexagone, on avait affaire principalement  à deux grands profils de donateurs : des personnes de plus de 80 ans sans héritier et des chefs d’entreprise en bout de carrière se retrouvant à la tête d’un capital après la vente de leur société. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’entrepreneurs issue de la Net génération s’active pour trouver de nouveaux modèles de développement moins excluants, et susceptibles de faire bouger les lignes. », observe Nathalie Sauvanet qui pilote la philanthropie individuelle chez BNP Wealth Management. Ici et là, les initiatives foisonnent. La fin du gaspillage alimentaire, la lutte contre le chômage, l’aide aux réfugiés ou la préservation de la planète génèrent un véritable élan dans l’écosystème entrepreneurial français. La start-up Lilo, fondée par Clément Le Bras et Marc Haussaire, propose par exemple de financer des projets sociaux et environnementaux grâce à une partie des revenus publicitaires émanant de son moteur de recherche.

Eva Sadoun et Julien Benayoun mobilisent les internautes autour de projets à fort impact social ou environnemental à travers leur plateforme Lita.co, tandis que Babyloan et Fadev invitent le public à prêter de l’argent à de petits ­entrepreneurs dans des pays en développement. Une émulation qui atteint son paroxysme dans l’organisation d’événements de grande ampleur à l’instar de « Techfugees Global Summit », mené tambour battant par l’entrepreneure Joséphine Goube. Depuis deux ans, la jeune startuppeuse réunit à Station F des entreprises, des investisseurs, des institutionnels et ONGs du monde entier autour d’ateliers et de débats sur la question des réfugiés. La finalité ? Permettre l’inclusion de ces populations précarisées grâce aux nouvelles technologies et encourager les innovations à fort impact sociétal. Ou quand la start-up nation se met en ordre de marche pour insuffler plus d’humanité.

Alexandre Mars veut faire du don la norme @Epic

Toutes ces âmes samaritaines en costume trois pièces et tailleurs griffés qui évoluent avec brio dans la nouvelle économie ont en commun une forte empathie. « Je me sens mieux dans ma peau », « Je n’ai qu’une vie, j’ai voulu bien l’orienter dès le début », témoignent-ils. « Le sourire retrouvé d’une personne à qui vous avez contribué à redonner de l’espoir : cela vous remplit. », s’émeut la femme d’affaires Noémie de Goÿs. En résonance à ces dynamiques tous azimuts, le gouvernement a lui aussi voulu apporter une réponse aux aspirations solidaires de la French Tech. Le 18 janvier dernier, un accélérateur national de l’innovation sociale et l’initiative French Impact ont été concomitamment lancés. Fédérer cette communauté d’entrepreneurs engagés, la soutenir et permettre aux projets locaux responsables de changer d’échelle et de devenir des solutions nationales sont la vocation de ce nouvel instrument public.

Exprimer la « meilleure part » de nous-mêmes

Souvent, ces « légionnaires » du charity business made in France, s’inspirent de leurs illustres aînés américains : Bill Gates et Warren Buffet en tête. Co-fondateurs du programme philanthropique « The Giving Pledge » (traduisez « promesse de don »), les deux milliardaires à la richesse – cumulée – évaluée à 185 milliards de dollars par Forbes (estimation d’octobre 2018), ont impulsé en 2010 un mouvement inédit par son ampleur et par son mandat, puisqu’il matérialise l’engagement solennel des deux entrepreneurs de léguer – a minima – 50% de leur richesse à des œuvres caritatives. A elle seule, la fondation du créateur de Microsoft dispose d’un capital de 41,3 milliards de dollars. Vertigineux. De quoi une telle générosité est-elle le nom ? Peut-on hâtivement spéculer en recherchant la réponse uniquement à travers le vernis fiscal ou celui de considérations d’image, de « greenwashing » ? Non, les montants sont bien trop stratosphériques pour se cantonner à de telles hypothèses.

Ces « happy few » à la fortune colossale nous donnent des clefs de compréhension : « Lorsque nous travaillons ensemble et tendons une main compatissante aux plus vulnérables, nous modifions le cours de l’Histoire. Et nous exprimons la meilleure part de nous-mêmes », éclaire Bill Gates. Dans le sillage de la campagne « The Giving Pledge », 183 entrepreneurs et héritiers,  issus de 22 pays, ont répondu à cet appel altruiste. « Plus ordinaires », mais pas moins insensibles à la question, une nouvelle génération de philanthropreneurs – particulièrement active en France – adhère à la même philosophie du « partage et de l’entraide » appliquée au capitalisme 2.0.

Et si la philanthropie était finalement soluble dans le business ?

 

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