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Grand Cru Classé Pauillac : Jean-Charles Cazes, Les Grands Travaux De Lynch-Bages

Il pilote un empire familial dont château Lynch-Bages est le fleuron. Il en a confié le nouveau chai à l’architecte américain Pei dont le père a conçu la pyramide du Louvre. Quand deux « fils de… » se rencontrent, la barre est mise très haute.

A Lynch-Bages, les pelleteuses effacent le travail de trois générations. L’actuelle a décidé la métamorphose des installations de ce grand cru classé de Pauillac, cinquième selon le classement de 1855 mais unanimement considéré comme un « super second ». Objectif :  gagner encore en précision, en perfection. 

« C’est comme en F1, une somme infinie de détails infimes optimise la performance. Et c’est le projet d’une vie »,

annonce Jean-Charles Cazes, 42 ans, à la tête du groupe familial depuis onze ans. En l’occurrence de la sienne. Ce qui frappe chez lui, d’ordinaire, c’est la seconde suspendue avant la parole, le coup d’œil analytique et synthétique en préambule à la conversation. La réponse, cette fois, a fusé, nette, immédiate. Sans doute parce que ce chai, qui ne sera livré qu’en 2019, lui a déjà demandé sept ans de réflexion. Il n’en fait pas tout un cinéma.  » Ces nouvelles installations sont la suite logique du travail de fond que nous avons mené sur la connaissance de notre vignoble, par l’étude des sols, les analyses parcellaires, la sélection massale… ».

 

 

 

Le montant de l’investissement reste secret, le story board aussi. Les premières images, à peine dévoilées et vite rangées dans les cartons, montrent des bâtiments aux lignes contemporaines, sobres, jouant sur la lumière et la transparence, deux éléments habituellement antithétiques des lieux vinicoles mais qui sont la signature de l’architecte américain Chien Chung Pei. Lequel n’est autre que le fils de Ieoh Ming Pei, le créateur de la célèbre pyramide du Louvre. Sobriété, lumière, transparence, fonctionnalité… ou l’héritage stylistique d’une figure paternelle tutélaire. Il se trouve que Jean-Charles Cazes est lui aussi un « fils de » et a, lui aussi, de quoi en être fier. Ils étaient donc faits pour se comprendre, malgré leur (presque) trente ans d’écart. 

 

 

Si Pei est un nom magique dans l’art de l’équerre, Cazes, l’est autant dans le « mondovino ». La saga Cazes commence avec l’arrière-grand-père de Jean-Charles, qui acquiert Lynch-Bages en 1939. Les propriétés médocaines se vendent alors pour une bouchée de pain. L’aïeul, fils de paysans ariégeois, boulanger devenu employé de banque, devait estimer qu’il s’y connaissait assez en matière de levure et de fermentation pour se lancer dans la viticulture. C’est en tout cas lui qui va inventer le style Lynch-Bages (des raisins récoltés à maturité optimale), en avance sur son époque.

A sa suite viendront André, assureur, vigneron et maire de Pauillac pendant 40 ans puis Jean-Michel, le père de Jean-Charles. A 81 ans, il reste l’une des personnalités les plus respectées de Bordeaux. Ingénieur des Mines, diplômé en sédimentologie de l’Université du Texas, ingénieur chez IBM, Jean-Michel Cazes reprend la propriété familiale en 1973, la dote des technologies de son époque, la lance à la conquête des nouveaux marchés, l’Amérique du Nord, le Japon, la Chine… A la conquête du ciel : Lynch-Bages est en première classe de Cathay Pacific sur les vols Hong Kong Tokyo depuis près de 30 ans. Et même de l’espace : une demie bouteille accompagne le spationaute Patrick Baudry à bord de la navette Discovery en 1985. Tout en valorisant Lynch-Bages, il étoffe le patrimoine familial jusqu’à lui donner la dimension d’un groupe avec des crus dans les Graves (Villa Bel-Air), à Châteauneuf-du-Pape (Domaine des Sénéchaux), en Minervois (Ostal Cazes), en Australie et au Portugal, en créant une nouvelle marque (Michel Lynch) et une maison de négoce (JM Cazes Sélection), en se diversifiant dans l’hôtellerie et la restauration (Cordeillan Bages est un Relais & châteaux cinq étoiles et une table gastronomique).

Il est enfin le pionnier de l’oenotourisme dans le bordelais, ressuscitant un hameau déserté de Bages avec des commerces de bouche pour gourmets, un bazar chic, un bistrot ambitieux, une école de dégustation… Le magazine économique Challenges estimait en 2016 la fortune familiale à 250 millions d’euros. 

 

Jean-Charles, diplômé en sciences éco et finances, après ses débuts chez Valeo au Brésil et dans le groupe familial à l’export, a pris les commandes du groupe à 32 ans. « Mon père m’a laissé le champ libre immédiatement et totalement », commente-t-il. Rare et radical. A l’heure d’écrire une nouvelle page, il lui fallait un nouvel instrument. Mais pourquoi aller chercher un architecte basé à Park Avenue, New York, connu notamment pour son Parc du Musée des Arts Islamiques à Doha et son Musée des Six Dynasties en Chine ? Il faut remonter trente ans en arrière. Ieoh Ming Pei bâtit alors la pyramide du Louvre, Chien Chung dirige le chantier. Francophile, parfaitement francophone, il est aussi oenophile. Jean-Michel Cazes le rencontre au ban des vendanges de château Lagrange en 1986. Les deux hommes sympathisent, et le vigneron pense bientôt à lui pour un projet de rénovation de Pichon-Longueville, propriété d’AXA Millésimes dont il pilote les activités viticoles. Didi, engagé par une winery californienne, décline la proposition.

Trente ans plus tard, Jean-Charles Cazes lui confie la métamorphose de Lynch-Bages. Ce sera le premier chai de Chien Chung Pei en France.  « Passionné de vin, Didi comprend nos enjeux techniques et fonctionnels, explique le propriétaire. Il partage notre philosophie d’ouverture au monde, par sa double-culture et sa parfaite connaissance de notre pays. Et j’aime l’idée de transmission, à la fois dans son histoire et dans la nôtre ».

Concrètement, ce nouvel outil garantira une meilleure réception de la vendange, des vinifications parcellaires encore plus précises avec 80 cuves inox. Seul restera l’antique cuvier Skawinsky de 1850, premier du genre gravitaire, témoin de l’évolution de la technologie, passion commune des Cazes père et fils. Le nouveau chai de 3700 mètres carrés (quasiment le double de la surface actuelle) pourra accueillir deux millésimes, permettant ainsi d’augmenter la durée d’élevage du vin. La propriété gagnera de nouveaux espaces d’accueil et de bureaux et une immense terrasse pour embrasser le vignoble à 360°, de Saint-Julien à Saint-Estèphe.

Une nouvelle empreinte, plus contemporaine, se dessine dans le paysage de l’appellation pauillac. Le vignoble de Lynch-Bages (100 hectares) en représente à lui seul 10%.

 

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