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AVA, La Reconnaissance Vocale Qui Retranscrit Les Conversations Pour Les Sourds

Closeup of lips and ear sharing secret / Getty ImagesImage is close up shot of mouth whispering into ear.

Seul entendant dans une famille de sourds, le Français Thibault Duchemin, ancien élève de l’école des Ponts, a mis au point avec deux camarades de Berkeley une application de reconnaissance vocale. Ava, disponible depuis six mois aux Etats-Unis et depuis quelques jours en France, retranscrit à l’écrit une conversation comprenant jusqu’à douze personnes. Avec cette application, le jeune entrepreneur espère sortir de l’isolement les 400 millions de sourds et malentendants dans le monde.

Au commencement était un gant. Thibault Duchemin, alors jeune étudiant à l’école des Ponts (aujourd’hui ParisTech), part en échange à l’université de Californie à Berkeley. « Nous étions poussés à trouver des solutions à un problème de notre quotidien », raconte le jeune homme. De retour d’un séjour en Inde, le problème émerge, évident, lors d’une discussion avec sa sœur. La jeune femme entame des études de droits. Comme les parents de Thibault, Pauline, de deux ans sa cadette, est sourde. « En arrivant à la fac, elle a constaté qu’il n’y avait pas d’avocats sourds. Comment faire pour échanger avec les clients, comment plaider ? » La fratrie réfléchit à un système de gants capables de traduire le langage des signes. En trois mois, le premier prototype fonctionnait. « Nous avions bien perçu que le vrai handicap de la surdité est la communication », explique Thibault Duchemin dont la langue maternelle est celle des signes. « Ce que nous avions mal évalué, et que nous ont rapporté les personnes malentendantes, est le fait de ne pas comprendre une conversation de groupe. »

Comme les sous-titres d’un film

Ainsi est née Ava, une application de reconnaissance vocale qui traduit en temps réel une discussion, et la retranscrit par écrit, sur le téléphone ou l’ordinateur, comme le feraient les sous-titres d’un film. Avec le Néerlandais Peter Doevendans et le Taïwanais Skinner Cheng, rencontrés en 2013 à l’université de Berkeley, ils mettent au point l’application de reconnaissance vocale. En 2014, une campagne de financement participatif sur Indiegogo leur permet de lever 45 000 euros, complétés par une levée de fonds de 1,8 millions de dollars en 2016 auprès d’investisseurs américains et français.

« En groupe, tout le monde télécharge l’appli, puis chaque participant parle afin qu’elle reconnaisse la voix de chacun », explique Thibault Duchemin qui précise que « chaque téléphone reconnaît la voix de son propriétaire », un peu comme « une empreinte vocale unique ». Dans la discussion Ava, chaque participant est affublé d’une couleur, comme les « Voyelles » du  poème de Rimbaud. Ava peut filtrer et retranscrire jusqu’à douze voix dans une même conversation.

Dégainer l’outil à la moindre difficulté

« Si vous n’avez pas de sourd dans votre entourage, imaginez la personne âgée au repas de Noël », donne en exemple Thibault Duchemin. « En début de repas, elle va discuter avec ses voisins, et puis le bruit couplé aux problèmes d’audition vont rendre la conversation difficile à suivre. » Ainsi, de peur de gêner, à cause de l’effort trop important que cela représente, la personne malentendante n’osera pas faire répéter, et ses voisins de table commenceront à parler aux autres convives de l’assemblée. Cette difficulté à prendre part aux discussions de groupe, les sourds la connaissent bien. Les conséquences sont terribles, selon Thibault Duchemin qui énumère « la crainte d’aller discuter avec de nouvelles personnes, la réduction du réseau professionnel et amical, la résignation et l’exclusion qui en découlent. »

Pour le jeune homme, le chômage des personnes sourdes ou malentendantes est élevé, notamment pour des raisons de communication. La start-up travaille donc au développement d’un forfait pour les entreprises et les universités pour améliorer l’accessibilité. « À  l’université par exemple, un étudiant sourd aura droit à quelques heures avec un interprète, sur les 25 à 30 heures de cours que comptent une semaine. » Ava vient se positionner en complément, et non en remplacement de l’interprétariat. « Avoir un interprète est formidable car il saisit les nuances du langage, peut résumer une conversation, s’adapter… Mais Ava est une solution quand je ne suis pas là », remarque le jeune entrepreneur, en faisant référence à sa propre famille. « Les sourds se sont toujours débrouillés, mais là, ils ont la possibilité de dégainer l’outil à la moindre difficulté de compréhension », ajoute Thibault Duchemin qui souhaite offrir l’autonomie aux sourds et les sortir de l’isolement.

L’accessibilité peut générer l’innovation

Ava ne fonctionne pas qu’en groupe. L’application, par simple micro tendu, peut retranscrire, en face à face, les propos d’une personne qui n’aurait pas téléchargé Ava. « Certains sourds ne savent pas lire sur les lèvres », explique le jeune entrepreneur. « Ou parfois cela est rendu plus compliqué en raison d’un accent, d’une personne qui parle trop vite, ou si la personne est trop éloignée comme un prof en amphithéâtre. » Grâce aux 5000 premiers testeurs réunis à l’occasion de la campagne de financement participatif, les créateurs d’Ava ont pu constater plusieurs usages : certains lisent directement la conversation sur l’écran, d’autres se servent d’Ava en soutien, quand ils sont perdus.

Lancée il y a six mois aux Etats-Unis, où est installée l’entreprise, Ava compte déjà 50 000 utilisateurs. Sur le marché français depuis seulement quelques jours, le temps d’adapter l’outil à la langue, l’application est gratuite au téléchargement. Dans la catégorie « recherche appliquée et innovations technologiques », Ava est lauréate du prix handicap 2017 de l’Orcip, l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance. Un prix auquel tient particulièrement Thibault Duchemin qui souhaite montrer que « l’accessibilité est un secteur porteur d’innovation ». « Humainement, c’était inacceptable de se dire qu’il y avait des solutions techniques pour régler un problème et que l’on ne s’en servait pas. » Petite fierté fraternelle, sa sœur a utilisé Ava lors d’un entretien de dernière minute pour son entrée en Master 2. « Ça l’a aidé, pour le reste, c’est elle qui a tout fait. »

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