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24 Heures Avec Kenzo Takada, Icône Éternelle De La Mode

©Kenzo Takada

Le plus francophile des designers japonais nous a ouvert en exclusivité les portes de son quotidien. L’occasion de découvrir l’homme derrière la légende. Bienvenue dans l’univers de Kenzo Takada.

8h00 : Les mouvements sont fluides, Kenzo se montre imperturbable pendant qu’il exécute sa séance de yoga. Aujourd’hui, c’est sans coach et à domicile qu’il choisit de s’adonner à cette discipline qu’il aime tant. « En voisin de l’hôtel Lutetia, j’aime également m’y rendre pour faire des exercices. C’est important pour moi, je veux garder la forme ! », me confie le célèbre designer. Difficile de croire qu’il a fêté son 80ème anniversaire en février dernier ! Son entrain et sa silhouette athlétique contredisent son identité biologique. Il ne déroge jamais à cette routine : le matin, il le dédie à son bien-être physique et spirituel. Kenzo apprécie ces moments où il se trouve chez lui dans son magnifique duplex rive gauche. A force de parcourir le monde, il a appris à apprécier la valeur de ces instants privilégiés.

L’une de ses œuvres décoratives attire le regard  : il s’agit d’une imposante fresque murale en origami. Je l’interroge quant à sa signification : « C’est un tableau très important dans la culture japonaise, nous l’appelons le ‘Senbazuru’ (ou zenbazuru, せんばづる). Nous enguirlandons 1000 grues de papier en hommage à cet animal mystique et sacré chez nous. Quiconque pliera 1000 grues en papier verra son souhait de bonheur, de succès, de santé et de longévité se réaliser. », m’éclaire-t-il. Chaque objet, chaque emplacement a été soigneusement étudié, l’univers du créateur témoigne d’un sens esthétique sophistiqué jusqu’au mobilier. L’hôte, de passage, a le sentiment d’entreprendre un voyage dans la vie du créateur embarquant d’une ville à l’autre ; d’une époque à l’autre.

11h00 : C’est le moment pour Kenzo de rejoindre ses équipes, deux étages plus bas. La priorité du jour est d’avancer sur sa collaboration avec un prestigieux palace de Dubaï : le timing est serré, l’œuvre commandée doit être livrée avant le coup d’envoi de la saison festive de fin d’année. Engelbert, son collaborateur s’active sur son Mac. Recruté en tant que stagiaire, il n’a jamais plus quitté les lieux. Le maître et son disciple travaillent dans une alchimie parfaite : un mot clef suffit à l’élève pour interpréter l’idée directrice de Kenzo.

Premier contact avec Jonathan Bouchet Manheim. Nous avons beaucoup échangé en amont du projet éditorial. Il est l’homme de confiance de la star. Kenzo le consulte à toutes les étapes, sur tous les sujets. Ces deux-là se connaissent depuis si longtemps : Jonathan n’avait que 11 ans lorsque le créateur entra dans sa vie par le cercle familial. Il y a presque un lien de filiation entre eux, si bien qu’il ne faut qu’un instant pour s’en rendre compte ! Ancien financier, Jonathan a tout quitté pour développer la marque Kenzo Takada,  alors que le couturier pansait ses plaies suite à de mauvaises rencontres professionnelles. Des infortunes hélas si courantes dans le milieu. « Lorsque Kenzo a cédé sa nom et sa maison de luxe à LVMH en 1993, c’était notamment en raison de déboires avec des personnes malintentionnées qui ont profité de la naïveté de l’artiste. La vente à LVMH a permis de faire perdurer son héritage stylistique. Un choix difficile qui a toutefois permis de sauver la griffe. », rappelle le bras droit.

Vingt-sept ans après la transaction, beaucoup continue encore d’associer les collections affichées à l’œuvre de Kenzo lui-même. « La première année, ce fut un choc pour moi de me retrouver nez à nez avec des boutiques portant mon nom ! Découvrir des modèles sans que j’en sois le directeur artistique était si bizarre. Ce sentiment décuplait lors des premiers défilés. Néanmoins, je me suis assez vite ‘acculturé’. Après tout j’étais en paix avec ma décision. », confesse Kenzo.

©Kenzo Takada

12h30 : Direction Le Pavillon Ledoyen dans les jardins des Champs-Elysées, l’une des adresses préférées du couturier japonais. C’est d’ailleurs ici que le styliste a fêté en grande pompe ses 80 ans. Thomas Alléno, fils du chef triplement étoilé Yannick Alléno, attend impatiemment Kenzo Takada. Ils sont très complices. La légende de la mode est venue ‘prêter’ main forte à son ami qui mobilise chaque année plusieurs célébrités autour de l’association caritative ‘Zazakely Sambatra’ le temps d’une vente aux enchères. La famille Alléno soutient d’un seul homme cette organisation malgache œuvrant dans l’accompagnement des jeunes précaires en matière d’éducation, de santé et de social. Pour cette édition, le VIP a choisi d’offrir un sabre japonais qu’il dédicace sous les regards de l’assistance admirative. L’instant est immortalisé sur les réseaux sociaux comme un message de « save the date » autour de ce rendez-vous de mi-novembre.

Place aux agapes ! Nous nous attablons au Pavyllon, le nouveau concept du chef, plus décontracté que le ‘gastro’. Au menu du jour : mousseline de brochet en pain brioché et épinards monstrueux de Viroflay en soupe. Avant de prendre congé, Kenzo félicite chaleureusement son ami Thomas Alléno pour l’ouverture de cette nouvelle table qui étend le répertoire gastronomique d’un père qu’on ne présente plus.

14h00 : Le taxi arrive. Kenzo a été repéré par une touriste américaine de passage. Hasard ou providence, cette dernière porte l’un des best-sellers de la marque : le pull imprimé Tigre et Logo. L’attirail parfait pour un selfie ! Le designer joue le jeu en toute simplicité. L’instagrammeuse s’immobilise quelques instants, incrédule…

14h15 : Retour au siège rue de Sèvres. Kenzo s’installe dans son bureau pour une longue session de travail. A côté, Jonathan enchaîne les calls avec l’Asie. En fin d’après-midi, ce sera les Etats-Unis. Décalage horaire oblige. La galaxie Kenzo Takada s’étend sur tous les fuseaux horaires. Le tandem interagit avec de multiples parties prenantes : célèbres enseignes, agences événementielles, artisans, avocats, comptables, journalistes… « En général, je n’accepte qu’une dizaine de sollicitations par an. Parfois moins, cela dépend de la nature du projet et de l’investissement demandé en termes de temps. En 2019, j’ai été accaparé par ma collaboration avec l’Opéra de Tokyo. J’ai accepté de designer l’intégralité des costumes de la pièce ‘Madame Butterfly’. L’une de mes mises en scène préférées ! De fait, nous avons dû nous partager entre Paris et Tokyo pendant de longs mois. », expose-t-il. Un rythme harassant. L’équipe est également pleinement mobilisée sur un projet encore plus chronophage : les contours seront dévoilés début 2020. « Nous avons hâte de partager notre dernière innovation avec notre communauté ! », entonne le duo.

Création de parfums, lancement de collections capsules dans le mobilier, co-branding mode, opération de promotion : Kenzo Takada est un nom que les marques s’arrachentn de Coca-Cola à Roche Bobois en passant par Baccarat ou H&M. Le mythe aussi intéresse. Depuis un an, une télévision japonaise le suit au gré de ses déplacements dans le monde en vue d’un documentaire ; un livre autobiographique est également sorti récemment. Le plus francophile des Japonais n’en finit pas d’inspirer autour de lui. La mode lui doit tant. N’est-il pas l’initiateur de la Fashion Week parisienne telle que nous la connaissons aujourd’hui ? Quand la Fédération de la Haute Couture et de la Mode écartait de son calendrier l’idée d’une semaine consacrée au prêt-à-porter, Kenzo donna à travers ses défilés urbains improvisés à succès tous les arguments à l’institution pour en faire une célébration officielle. Difficile de raconter l’artiste en une anecdote !

©Kenzo Takada sortant du Lutetia, l’une de ses adresses fétiches

17h50 : L’heure est aux confidences. « Vous savez, j’ai vécu une période où j’avais tout raccroché : crayons, mètre et aiguilles. Après la cession de mon entreprise à LVMH, j’ai eu envie de parcourir le monde et de l’explorer véritablement. Lorsque j’ai quitté mon Japon natal à vingt ans pour Paris, je n’avais jamais vraiment eu le temps de découvrir mon pays. J’étais ravi de pouvoir enfin m’attarder dans des lieux que j’adore aujourd’hui, à l’image de la Thaïlande, de la Turquie, la Grèce et bien sûr du Japon… », partage-t-il. Une période qui n’a pas duré longtemps. Le couturier a vite été rattrapé par le virus du travail, matérialisé par ce besoin viscéral de créer, de peindre, d’échanger avec ses pairs et les artistes émergents.

19h00 : Petit debrief de fin de journée avec Jonathan et Engelbert. Kenzo s’éclipse dans ses appartements. La Tour Eiffel qu’il peut voir de sa terrasse brille de mille feux. Ce soir, il restera confortablement à la maison. Le fêtard d’hier s’est assagi. Son temps, si précieux, il l’utilise avec parcimonie. Parfois, il retrouve des amis au restaurant ou se rend à un vernissage. Le week-end, il se balade dans les jardins de Paris, s’arrête chez des antiquaires ou pousse la porte de galeries d’art. Quelque fois, on le croise au Bon Marché.

Pour Jonathan, la journée n’est pas encore terminée : les réunions téléphoniques se poursuivent tardivement. A 200% toute la semaine, ce père de quatre jeunes enfants lève le pied le week-end pour se consacrer à sa famille, sauf en cas d’urgence. En général, Kenzo Takada n’est jamais bien loin pour partager ces moments de détente.

Impossible de quitter le designer sans lui poser cette dernière question : « Que pensez-vous de la mode d’aujourd’hui ? De la nouvelle scène stylistique ? ». Et de me répondre : « C’est un monde radicalement différent, tellement plus structuré, codifié qu’à mes débuts. », lâche-t-il. « La plupart des Maisons sont passées sous le giron de grands groupes et, en même temps, la haute couture et le prêt-à-porter se sont ouverts à d’autres pays. Je m’en réjouis ! Quelle chance, aussi, j’ai eu de pouvoir côtoyer des Gabrielle Chanel, des Yves Saint Laurent, des Sonia Rykiel ! La mode d’aujourd’hui leur doit tant ! Enfin, pour ma part, j’aime beaucoup ce que fait Felipe Oliveira Baptista, le nouveau directeur artistique de la marque que j’ai créée », commente en toute simplicité celui qui appartient au panthéon de la mode.

Au revoir Monsieur Takada.

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