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Une bataille juridique aigrit les relations entre l’UE et l’Asie du Sud-Est

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Aux tensions commerciales entre l’UE et les États-Unis s’ajoutent désormais des tensions commerciales avec l’Asie du Sud-Est, une région en pleine croissance. Les politiques de l’UE censées protéger l’environnement, mais qui s’apparentent en réalité à un nouveau protectionnisme européen, en sont la principale raison.

En particulier, le nouveau règlement européen sur la déforestation, qui impose de nouvelles exigences plus strictes en matière de protection des forêts, a suscité la colère des économies d’Asie du Sud-Est, telles que la Malaisie et l’Indonésie. Lors du sommet UE-ANASE de décembre, le président indonésien Jokowi a critiqué l’UE, l’avertissant qu’elle ne devait pas essayer d’imposer ses normes au bloc commercial de l’ANASE si elle voulait maintenir ses relations avec l’Indonésie à l’avenir. Les tensions ont encore augmenté en janvier lorsque la Malaisie a averti qu’elle pourrait cesser d’exporter de l’huile de palme vers l’Union européenne, en réponse aux nouvelles règles de l’UE en matière de déforestation.

Malgré cela, l’UE vise toujours à conclure un accord commercial global avec l’Indonésie, même si l’ambassadeur de l’UE, Vincent Pickett, doit admettre : « Nous avons beaucoup à expliquer aux médias et aux fonctionnaires » en Asie du Sud-Est. L’approche du Royaume-Uni, qui consiste à ne pas essayer d’exporter ses règles dans d’autres juridictions et à exiger simplement que les produits importés soient conformes à la législation locale, est clairement supérieure, afin d’éviter les tensions commerciales.

Alors que le commerce de l’UE avec la Chine pourrait être menacé par le processus de « découplage » consécutif à la guerre en Ukraine, il est regrettable que le zèle réglementaire de l’UE compromette les possibilités d’expansion du commerce avec les marchés prometteurs de l’Asie du Sud-Est.

 

Une bataille juridique internationale envenime les relations

Une autre source importante de tension entre l’UE et l’Asie du Sud-Est est une bataille juridique internationale pour le contrôle des ressources pétrolières et gazières de la Malaisie. Cette question n’a pas fait l’objet d’une grande attention dans le débat politique européen, malgré les efforts frénétiques de l’UE pour remplacer l’énergie russe.

Le différend juridique est né d’un accord de 1878 accordant à la British North Borneo Company l’accès à un territoire qui fait aujourd’hui partie de la Malaisie, connu sous le nom de Sabah. En vertu de cet accord, les Sultons locaux autorisaient les Britanniques à « tirer profit » des minéraux, des produits forestiers et des animaux, en échange d’un loyer annuel.

Plus tard, le Sabah a été inclus dans le nouvel État de Malaisie, fondé en 1963. Pendant des décennies, les différents gouvernements malaisiens ont versé ce loyer aux héritiers du sultan.

En 2013, la Malaisie a cessé les paiements à la suite de l’incursion armée de Lahad Datu menée par les partisans de feu Jamalul Kiram III, qui prétendait être le sultan de Sulu, dans leur effort pour revendiquer l’est de Sabah.

En février 2021, une cour d’arbitrage française a accordé 14,9 milliards de dollars à ces héritiers. La Malaisie a donc perdu. À la suite de la décision d’arbitrage française, deux filiales de Petronas, l’entreprise pétrolière publique de Malaisie, ont été saisies au Luxembourg. Le Sabah possède d’importantes ressources pétrolières et gazières, ce qui lui confère une grande importance économique. Un tribunal français a toutefois suspendu l’exécution de la sentence jusqu’à la conclusion de l’appel, qui est toujours en cours.

La Haute Cour de Malaisie à Sabah a statué Fpetronen mars 2020 que la Malaisie était le lieu approprié pour résoudre les litiges découlant de l’accord de 1878, contestant ainsi la compétence des tribunaux non malaisiens.

 

Un conflit d’intérêts ?  

La décision a été rendue par l’arbitre espagnol Gonzalo Stampa, qui avait été initialement nommé par un tribunal espagnol. Selon une analyse d’expert publiée par l’Institut d’arbitrage transnational, il a mené « un arbitrage que certains qualifieraient de complètement dévoyé ». Il note que sa décision de trancher en faveur des demandeurs a été prise « dans le contexte d’un arbitrage ad hoc très contesté, dans lequel ni la prétendue clause d’arbitrage, ni la conduite de la procédure n’ont été acceptées par les parties ou les tribunaux du siège, l’Espagne. L’arbitre a pris des mesures qui peuvent être considérées comme déraisonnables, extrêmes, voire provocatrices, telles que le déplacement du siège de l’arbitrage, pour finalement rendre une sentence polarisante ».

Le gouvernement malaisien aurait engagé des poursuites pénales contre M. Stampa, qui semble avoir des liens étroits avec le cabinet d’avocats espagnol B. Cremades & Asociados, qui représente les plaignants dans cette affaire. Selon Stampa lui-même dans une interview de 2015, il a une relation étroite et de longue date avec le fondateur du cabinet, le professeur Bernado M. Cremades, qui l’a pris en charge dès qu’il a terminé son diplôme de droit. Il a travaillé avec Cremades pendant treize ans, apprenant de lui tout ce qu’il savait sur l’arbitrage, avant de créer son propre cabinet. « Je n’ai que de la gratitude pour lui », a déclaré M. Stampa. Au cours de cette période, M. Stampa a coécrit avec M. Cremades un livre publié en 1994, intitulé Commercial Arbitration in Spain : history and current legislation (Arbitrage commercial en Espagne : histoire et législation actuelle).

En novembre 2021, un mois après que M. Stampa a transféré le siège de l’arbitrage de Madrid à Paris, suite à l’annulation de sa nomination par le Tribunal supérieur de justice de Madrid, M. Stampa et M. Cremades ont participé en tant qu’orateurs à la même conférence juridique, à Kuala Lumpur notamment, sur l’arbitrage international. Il est clair que le monde du droit de l’arbitrage est petit, mais certains peuvent se demander si une relation étroite entre le juge et la partie constitue un conflit d’intérêts qui pourrait nuire à l’impartialité de l’arbitre.

Il y a ensuite le rôle de l’avocate représentant les héritiers de Sulu, Mme Elisabeth Mason. Elle a des liens avec deux géants américains de la technologie, Google et Facebook, qui, en 2021, se sont plaints des lois malaisiennes au Sabah exigeant que les navires locaux exclusivement malaisiens y opèrent, ce qui, ont-ils déploré, entraverait les réparations des câbles sous-marins.  Mme Mason est vice-présidente d’une organisation caritative américaine financée par Google, dont le conseil d’administration se compose essentiellement de cadres supérieurs de Google. Elle est également la fondatrice du Stanford Poverty & Technology Lab, financé par Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook.

Plus tard en 2021, Google et Facebook ont annoncé la création d’un nouveau réseau câblé sous-marin de Big Data pour l’Asie-Pacifique, reliant le Japon, Taïwan, Guam, les Philippines, l’Indonésie et Singapour. Ce réseau câblé contourne la Malaisie. Les liens de Mason avec ces géants de la technologie, qui sont très mécontents des politiques de la Malaisie à Sabah, peuvent laisser penser que ce procès va bien au-delà de ce que l’on suppose.

Fondamentalement, le litige risque d’accroître les tensions entre la Malaisie et l’Europe occidentale, au moment même où l’Union européenne cherche à resserrer ses liens commerciaux avec l’Asie du Sud-Est, en réponse au « découplage » économique avec la Russie et la Chine.

Tribune rédigée par Pieter Cleppe

 

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