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Tesla Veut Donner Une Leçon De Productivité À Toyota

Tout le monde s’accorde à dire qu’Elon Musk, l’entrepreneur visionnaire qui a mis un cabriolet Tesla sur orbite le 6 février dernier, est très audacieux. Le lendemain de cette prouesse technique, il expliquait à des analystes de Wall Street comment il comptait produire plus et mieux que Toyota. Et il pense vraiment que c’est possible. 

Mais il est certainement le seul à le croire.

Sans mentionner les problèmes de production qui ont repoussé d’au moins six mois la sortie de la Model 3, Elon Musk affirmait en tout confiance : « À long terme, la force concurrentielle de Tesla ne sera pas ses voitures mais sa capacité de production ». Elon Musk est convaincu que Tesla peut construire un million de véhicules par an dans une seule usine en simplifiant le design des modèles et en installant davantage de robots et de processus d’assemblage plus compacts. Cette production est quatre fois plus élevée que celle d’une usine moyenne et dépasse largement celle de l’usine de Volkswagen à Wolfsburg en Allemagne, la plus productive du monde. « Les dirigeants de l’industrie automobile pensent qu’ils sont très forts en matière de production, et en effet ils ne sont pas mauvais. Mais il ne se rendent pas compte de la marge de progression possible. Elle est bien plus grande qu’ils ne pensent », explique Elon Musk avant de comparer les vitesses de production actuelles à une « personne âgée avec un déambulateur. On pourrait accélérer le pas … ». 

La plupart des experts en production automobile vous le diront, la conception d’une usine entièrement automatisée qui sortirait des millions de voitures par an serait une folie sans nom. Elle engloutirait des milliards de dollars de capital et finirait par échouer. Tout d’abord, ce mode de production ne prend pas en compte la demande du marché. Elon Musk prévoit de construire un million d’exemplaires de son crossover, le Model Y.  C’est plus que les pick-up F de Ford, qui sont pourtant en tête des ventes aux États-Unis, et de loin. La production doit refléter la demande des consommateurs et non ce qu’une usine est capable de faire. Nombreux sont ceux qui se sont entichés de la voiture électrique de Tesla, mais les concurrents commencent à inonder le marché de modèles similaires. Il n’y aura jamais assez d’acheteurs pour écouler toute la production, à part peut-être en Chine, où le gouvernement veut supprimer les voitures moins respectueuses de l’environnement. Jusqu’à maintenant, la demande en matière de véhicules électriques est assez basse et si c’est pour se retrouver avec une usine pleine à craquer de robots à l’arrêt sur les bras, autant jeter son argent par les fenêtres tout de suite. « S’il mettait en place tout l’équipement robotisé dont il parle, ce serait une catastrophe », explique Jeffrey Liker, professeur retraité de l’université du Michigan qui, en 2004, avait publié « The Toyota Way », un ouvrage décrivant les principes de production de Toyota qui ont influencé toute l’industrie automobile. Jeffrey Liker pense cependant que cette catastrophe n’aura pas lieu : « Ses conseillers sont assez intelligents pour se rendre compte que ses idées ne sont pas viables ».
Le professeur faisait référence à la déclaration d’Elon Musk du 7 février face aux analystes de Wall Street. Tesla accuse une perte nette de 2 milliards de dollars (1,6 milliards d’euros) sur l’exercice 2017. Lors de cet entretien, le PDG de Tesla a dû revenir brièvement sur les difficultés rencontrées avec la production de la Model 3. Il a détaillé l’échéancier des objectifs de production qui permettra à l’entreprise d’atteindre son rendement maximal et une marge brute de 25 %. Il a également donné un aperçu de ses intentions de production à long terme.

Elon Musk sait bien que Tesla a fait preuve d’un excès de confiance quant à ses capacités de production de batteries (sa spécialité) dans son usine de Reno dans le Nevada. Selon lui, les nouveaux équipements d’automatisation qui seront mis en place en mars devraient améliorer la productivité. En attendant, il a tout de même noté que les ouvriers de l’usine essayaient de combler le retard de manière tout à fait remarquable : « La rapide évolution du progrès et la capacité des humains à s’adapter rapidement à de nouvelles situations m’a un peu redonné foi en l’humanité ». Ce qui devrait permettre à Tesla d’atteindre ses objectifs de production, c’est un système d’acheminement de pièces sophistiqué et automatisé au sein de l’usine d’assemblage de Fremont en Californie. Ce site était anciennement une usine commune de Toyota et General Motors et un exemple en matière de productivité en son temps. En présentant ce système, le PDG a déclaré : « il s’agit du système d’acheminement le plus sophistiqué jamais conçu et il fonctionne parfaitement ». Ce système d’acheminement aménagé sous la chaîne de montage devrait éliminer les piles de boîtes en carton à moitié vides qui s’amoncellent le long de la chaîne et encombrent les ouvriers.

Mais ce n’est qu’un début. Elon Musk réfléchit à la mise en place d’un système d’acheminement souterrain pour les sièges et les pièces fabriquées dans les usines voisines. Ces tunnels seraient construits par The Boring Company, la nouvelle acquisition d’Elon Musk. « Ce genre d’installation est très difficile à mettre en place mais c’est faisable. Je pense que nous pouvons atteindre une production de 600 000 exemplaires de Model 3 et de 100 000 S et X, soit un total de 700 000 unités ou 50 % de plus que ce que Toyota et General Motors arrivaient à sortir de cette usine. Je pense que c’est jouable. », ajoutait Elon Musk. Durant l’entrevue du 7 février, l’analyste de Barclays, Brian Johnson, a demandé aux dirigeants de Tesla de comparer leurs prouesses en matière de production à celles de Toyota et d’expliquer en quoi elles sont différentes, surtout pour l’optimisation de l’efficacité humaine, le cheval de bataille du constructeur japonais. « La différence principale est que nous pensons que l’usine est un produit, un produit verticalement intégré », a détaillé le PDG de Tesla. Le directeur technique J.B. Straubel a alors ajouté : « Nous voyons également nos usines d’un point de vue technique et mécanique ». L’analyste de Barclays a alors rétorqué que Toyota a la même approche, avant d’être rembarré par Elon Musk : « Ouais, nous ne pensons pas que ce soit le cas ». « De manière générale, je pense qu’il s’agit davantage d’un problème d’optimisation des opérations, de gestion d’approvisionnement en matériaux et de chaînes logistiques, explique J.B. Straubel. Toyota est très fort dans ce domaine mais je pense que ce constructeur a une approche différente en matière d’automatisation, de robotique et de procédés. » 
Curieusement, alors que Tesla automatise ses usines, Toyota fait le contraire. « Toyota se recentre sur sa devise : simple et flexible, explique Jeffrey Liker. La nouvelle génération de technologies récemment installées dans les usines de la marque est moins avancée que les précédentes. »

Actuellement, Toyota considère qu’une usine qui sort 200 000 unités par an est productive, même en construisant 8 modèles différents sur des chaînes communes et avec des pièces en commun. Les lignes sont modulables et flexibles pour pouvoir être modifiées en un weekend. Les tâches fastidieuses sont éliminées afin de faciliter la fabrication et la maintenance de l’usine. Ce n’est pas une question de vitesse mais de flexibilité et de réactivité face aux évolutions du marché. Selon Toyota, ces aménagements permettent de réduire les dépenses sur le long terme.

Pour sa part, Elon Musk demeure optimiste face aux défis de production qu’il veut relever : « J’espère que les gens pensent que si nous pouvons envoyer une voiture dans l’espace, nous pouvons aussi résoudre les ennuis de production de notre Model 3. »

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