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Notre agriculture va-t-elle être asphyxiée par certains utopistes comme le fut notre industrie il y a 30 ans ?

Qu’il est loin le temps ou le fantasque charmeur Jacques Chirac était la star du salon de l’agriculture. Un Jacques Chirac qui revendiquait son attachement au monde rural. On était alors très éloigné de l’Agri-bashing et des polémiques sur le glyphosate, très éloigné aussi du zèle de la surtransposition des directives européennes.

Car depuis quelques années, les entreprises agroalimentaires allemandes et italiennes dépassent l’industrie agroalimentaire française, en crise permanente. Cela grâce, pour l’Italie, à la fascination qu’ils ont su créer vis-à-vis de leur cuisine, et grâce, pour l’Allemagne, à son réalisme pragmatique. Enfin, ne mésestimons pas la Chine qui est déjà aussi de plus en plus présente sur ce marché.

Pour avoir conscience de l’évolution de ce secteur d’activité, il faut savoir que si, les paysans ont disparu en 1960, il y avait encore un million d’agriculteurs en 1990 et ils ne sont que 400 000 aujourd’hui.

 

Balance commerciale et pertes de parts de marché en Europe.

On retrouve les chiffres de cet effondrement dans le déficit de la balance commerciale agricole qui a explosé en 15 ans. En ce qui concerne les fruits frais, il est passé de 200 millions d’euros en 1995 à près d’un millard aujourd’hui, et pour les légumes, le déficit est passé de 500 millions d’euros à un peu plus d’un milliard. Ces pertes de parts de marché se sont essentiellement faites sur le marché européen.

 

Et si les agroalimentaires français faisaient enfin du marketing à l’italienne pour leurs produits ?

Avant la Covid, les exportations de produits agricoles allemands dépassaient les 75 milliards d’euros. Cela malgré la baisse des exportations de blé. Ce niveau d’exportations a été multiplié par 2,5 au cours des seize dernières années. Il faut aussi savoir que plus de 75% des exportations sont vers la voisine Europe.

 

Où en est aujourd’hui la France agricole ?

Alors que les exportations françaises devraient atteindre un peu plus 62 milliards d’euros, l’excédent commercial agroalimentaire (incluant vin et spiritueux) atteint un peu plus de 6 milliards d’euros, soit une diminution par rapport aux années précédentes. Cette évolution est la conséquence d’une croissance des importations (+ 2,7 milliards d’euros soit + 5% en valeur) supérieure à l’augmentation des exportations (+ 2,3 milliards d’euros par rapport à 2016 soit + 4 %).

 

Évolution des exportations agricoles

Les Allemands, très orientés export, ont réussi grâce aux économies d’échelles à se faire une place en Chine et en Inde, pays où le niveau de vie a augmenté. Il est à noter que les exportations de porcs vers la Chine ont augmenté de plus 1 000% au cours des dernières années.

Si on regarde ce secteur du porc, l’Allemagne a vu sa production augmenter de 50% au cours des seize dernières années. Le pays produit aujourd’hui 50 millions de têtes.
La production française a, elle, reculé de 10% et est passée à 22 millions de têtes. Cela à cause, entre autres, de la surtransposition des normes environnementales.

 

Secteur du lait et fromages

Le secteur du lait et des fromages allemands est aussi en croissance de 16%, alors que la France ne progresse que de 5%. Sur ce secteur, la France a aussi été dépassée par l’Allemagne.

 

Un exemple frappant la pomme de terre

La France est le 1er producteur européen, mais elle importe la totalité des chips et des flocons de purée qu’elle consomme, une stratégie digne d’un pays en développement qui exporte ses matières premières et importe des produits finis. 
Je ne citerai pas les exportations de fromages britanniques vers la Chine qui sont passées de près de 50 tonnes en 2017 à 800 tonnes en 2018, ni les exportations vers les USA de British Mozzarella qui ont elles aussi augmenté de 43% !

 

Décisions qui ont tout changé entre l’Allemagne et la France

Deux décisions ont boosté le secteur agricole allemand. La méthanisation est la première. Certaines exploitations génèrent aujourd’hui plus de revenus avec cette activité qu’avec leurs productions agricoles. La deuxième décision qui a rendu l’Allemagne plus compétitive est la très forte utilisation de travailleurs détachés de l’Europe de l’Est.
Pour les produits français, seuls deux secteurs semblent tirer leurs épingles du jeu, les spiritueux et la boulangerie.

 

Et si nous parlions du vin ?

Le salon ProWein en mars à Dusseldorf dépasse le salon Vinexpo qui se tient en juin, période où beaucoup sont trop occupés pour visiter un salon.

L’excellence de l’organisation allemande, à laquelle s’ajoute un coût inférieur de 50% pour les exposants, explique certainement que ProWein annonce 6 600 exposants et près de 60 000 visiteurs, alors que Vinexpo n’attire lui que 2 300  exposants et seulement 40 000 visiteurs, une fréquentation en baisse de 15% lors de la dernière édition.
Autre élément déterminant, les visiteurs de Prowein viennent faire du business, signer des contrats, ceux de Vinexpo viennent pour visiter les châteaux, déjeuner, déguster. Ils en oublient souvent le business, et les allées de Vinexpo durant la journée sont de plus en plus vides.

 

Comment expliquer ce déclin français ?

Depuis 2007, la France est le seul pays d’Europe dont la valeur ajoutée du secteur a baissé de 14,7%, alors qu’elle progressait de 14% dans l’ensemble des autres pays. Cela s’explique par une pression fiscale record due en partie à l’accumulation de taxes sur les boissons sucrées, les bières et les spiritueux. A cela on ajoutera une hausse des matières premières et une concurrence féroce entre distributeurs.

Les exportations françaises ne progressent en moyenne que de 3%.

Cela expliquera le fait que ce secteur agroalimentaire qui totalise un chiffre d’affaires de près de 175 milliards d’euros (15% du PIB) n’investit plus depuis 2013. Les exportations françaises ne progressent en moyenne que de 3%, alors que l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne affichent des progressions de 5 à 7%.

Deux entreprises agroalimentaires françaises sur 10 exportent alors qu’elles sont 8 sur 10 en Allemagne, Italie et Espagne.

L’agroalimentaire français se caractérise aussi par la petite taille de ses entreprises. 21% de PME et 78% de toutes petites entreprises expliquent le faible taux d’exportation.

 

Quant à l’Italie, dont l’agroalimentaire fascine de plus en plus de monde

Elle a compris que le marketing était l’outil à développer dans ce secteur d’activité. Grâce à cela le secteur agroalimentaire italien continue sa progression à l’international avec une croissance de 7% des exportations, soit près de 42 milliards d’euros. 
Près des deux tiers de ces exportations agroalimentaires touchent les pays de l’UE, mais les États-Unis avec 4,03 milliards d’euros sont devenus le principal marché alimentaire italien en dehors des frontières de l’UE, et le troisième en termes généraux après l’Allemagne et la France, et avant la Grande-Bretagne.

 

Bio. L’Italie est le 2e exportateur mondial

Pour le bio, avec plus de deux milliards d’euros, l’Italie est le 2e exportateur mondial. Il faut noter aussi que lesdites exportations de bio ont explosé de 600% en 10 ans. 
Bio qui, grâce à près de ses 16% des terres cultivées en mode biologique, génère un chiffre d’affaires global de six milliards d’euros. Un secteur de 65 000 entreprises qui produisent et de 18 000 entreprises qui transforment.

Quant à ce que l’on nomme la « Tomate Industrie », la base de milliers de préparations et concentrés, l’Italie, avec près de cinq millions de tonnes, est le deuxième ou troisième producteur mondial derrière les USA et certainement la Chine, et loin devant l’Espagne, le Brésil, le Portugal et le Chili. Mais il est assez vraisemblable que la Chine exporte vers l’Italie sa tomate industrielle qui est ensuite italianisée.

Il faut aussi noter que les Italiens ont lancé en novembre 2017 le parc d’attractions « Eatalia-Eataly » entièrement dédié au « made in Italy » agroalimentaire. Ce salon permet d’explorer le parcours des principales spécialités italiennes du champ jusqu’à l’assiette.

 

Le succès d’Eataly

Eatalia est le projet de l’ambitieux Oscar Farinetti, fondateur de la chaîne de distribution mondiale Eataly qui, depuis 2004, a fait de la gastronomie italienne la clé de son succès. Eataly ou Eatalia est dirigé depuis 2015 par Andrea Guerra, un homme qui a commencé sa carrière au sein de Marriott International. Il fut ensuite directeur général de 2004 à 2014 du numéro un mondial de l’optique Luxottica, qu’il quitta pour devenir conseiller de Matteo Renzi.

Eataly réalisa aussi un parc d’attractions agroalimentaire localisé à Bologne qui vint en prolongation de l’Expo de Milan. Avec ses 10 hectares, il est le plus grand parc d’attractions entièrement consacré à ce secteur de l’agro-alimentaire.
Financé à hauteur de 120 millions d’euros par une fondation dédiée, réunissant acteurs publics et privés, Fico Eataly World a permis la création de plus de 700 emplois locaux directs et 3 000 indirects.

 

Quels sont les points forts de la France ?

Tout d’abord les céréales, la mélasse, et ensuite les capacités de stockage, et enfin le marché d’intérêt national de Rungis, ou Ventre de Paris, certainement le plus grand marché agroalimentaire du monde. L’État détient 33,34% dans la Semmaris, société qui exploite ce marché. Parts qui pourraient un jour être cédées à un groupe étranger, voire chinois, cela pourrait changer beaucoup de choses….

 

Que faudrait-il faire pour que l’agriculture française s’en sorte mieux ?

Il faudrait commencer par cesser ce food bashing ou marketing de la peur, alimenté par des émissions télé et autres livres, alors que la sécurité alimentaire n’a jamais été aussi performante. Un « food bashing » alimenté aussi par certains mouvements politiques d’idéologie dite écologique quelques fois très éloignée des analyses scientifiques.

 

Il faudrait aussi augmenter les prix

Pour redonner de l’oxygène à tous les acteurs, 1% de plus, c’est seulement 50 centimes par mois par Français, très loin de l’augmentation du gaz oil. L’alimentation nécessitait 20% des budgets des Français il y a peu ; c’est tombé à 10% aujourd’hui.

 

Si nous n’acceptons pas de payer en France le juste prix, qu’on accepte cette destruction de valeur, c’est toute l’industrie agroalimentaire qui disparaîtra ! Depuis quelque temps, les enseignes se sont alliées pour acheter leurs produits en commun et faire pression sur les prix, ces hyperclients, qui peuvent peser 30% du marché, sont en train de détruire le secteur agro-industriel.

 

Et les autres pays, dont bien sûr la Chine

Comme sur tous les marchés, on retrouve la Chine.  Dont WH Group (plus de 100 000 employés et un chiffre d’affaires de 22 milliards de dollars) groupe qui est, entre autres, propriétaire de Justin Bridou et d’Aoste. Mais la Chine est aussi un gros producteur d’ail, d’asperges, de champignons, de cornichons, de jus de fruits de miel, sans oublier le caviar. La plupart du temps, l’origine du produit n’est pas indiquée par les industriels de l’agroalimentaire. On retrouvera aussi des produits de la mer chinois ainsi que des légumes frais.

Et demain, ce sont des produits laitiers que nous allons voir arriver de Chine. En quelques années, la Chine est devenue le 5e producteur mondial, à égalité avec le Brésil et l’Inde. Alors qu’en France le troupeau moyen compte 60 têtes, en Chine la moitié des élevages compte déjà plus de 1 000 têtes, et demain les grands groupes chinois auront des élevages de 20 000 à 100 000 têtes. Et qui dit lait, dit poudre infantile, mais aussi fromages et, pour cette gamme, la France s’est déjà fait dépasser par l’Italie en Chine.

 

Enfin la Pologne et l’Espagne

Espagne dont l’agriculture contribue à environ 2,6% du PIB espagnol et emploie 4% de la population active (Banque mondiale, 2017). 
L’Espagne compte près d’un million d’exploitations agricoles et d’éleveurs, couvrant 30 millions d’hectares de terres. L’Espagne est aussi le premier producteur mondial d’huile d’olive et le troisième producteur mondial de vin.
L’Espagne est également l’un des plus gros producteurs d’oranges et de fraises du monde. Les autres principales cultures sont le blé, la betterave à sucre, l’orge, les tomates, les olives, les agrumes, les raisins et le liège. L’élevage est également un secteur important, en particulier pour les porcs et les bovins.

Enfin, la France fait, avec son agriculture, la même erreur qu’elle a faite avec son industrie, toutes les décisions prises incitant à la délocalisation.
Lire analyse sur le parallèle avec notre désindustrialisation : https://bernard-jomard.com/2018/11/30/la-france-championne-de-linnovation-dans-un-pays-sans-usine/

 

En conclusion, la France s’apercevra de son erreur dans 20 ou 30 ans, comme elle vient de s’apercevoir de ses erreurs qui ont conduit à la désindustrialisation et à la dénucléarisation du pays.  

 

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