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L’Émergence d’un « Mittelstand » Français Ne Pourra Se Faire Sans Redéfinir La Propriété Intellectuelle

©Getty Images

Avec une situation où la France affiche un déficit commercial face à l’excédent de l’Allemagne, dont les causes se trouveraient, selon plusieurs études économiques, dans les capacités d’exportation de nos PME, France Brevets s’est penché sur le différentiel qu’il existe en matière de brevets entre PME françaises et PME allemandes : les PME allemandes déposent deux fois plus de brevets que les PME françaises. Notre déficit n’est donc pas que commercial. De manière générale, nous ne sommes pas assez offensifs.

Dans un contexte politique où la France et l’Allemagne cherchent à relancer leurs liens économiques, historiquement très étroits, les équipes de France Brevets ont réalisé une analyse détaillée des dépôts de brevets effectués par un échantillon de près de 2000 PME[1] des deux pays entre 1996 et 2016[2], et le principal enseignement de cette étude est que les PME allemandes déposent près de 2 fois plus de brevets que leurs homologues françaises.

En effet, parmi ces entreprises ayant déposé au moins un brevet, le nombre moyen de brevets déposés par les PME françaises s’établit à 6,9, alors que le même chiffre pour les PME déposantes outre-Rhin est largement supérieur (12,4). L’étude de France Brevets illustre également que, sur les 20 dernières années, presque 3 fois plus de PME allemandes (1401) ont déposé au moins un brevet dans le cadre de leur déploiement commercial, par rapport aux PME françaises (575). Preuve supplémentaire de la forte culture de la propriété intellectuelle parmi les entreprises allemandes, le volume de dépôt de brevets par les entreprises allemandes étudiées affiche une croissance régulière sur 20 ans, ce qui est à comparer avec la relative faiblesse de celui des PME françaises . Tous les indicateurs de cette étude tendent à démontrer que les PME du Mittelstand allemand adoptent des stratégies plutôt proactives, voire agressives, en matière de propriété intellectuelle. Les fameux « champions cachés » allemands, clés de voûte de sa croissance robuste, se portent toujours aussi bien : notre étude montre que leur réussite à l’export s’accompagne d’une politique de brevets structurée et cohérente qui s’installe dans une vision à long terme, facilitée par certains dispositifs mis en place localement.

Malgré les différences que nous constatons dans cette étude, nous restons convaincus que la France a toujours été créatrice et pionnière mais elle entend aujourd’hui redevenir une terre d’entrepreneurs et un vivier d’innovations. Elle est décidée à se montrer pertinente et attractive pour les investisseurs internationaux. La France a mis en place un arsenal complet pour assurer cette transformation. Elle en récupère aujourd’hui les dividendes. Les initiateurs du Programme d’investissement d’avenir (PIA) et ceux qui ont assuré son bon déploiement et sa gestion – le CGI, ensuite le SGPI, ainsi que la Caisse des dépôts et Bpifrance – ont créé les conditions adéquates pour que nos entrepreneurs développent leurs idées avec audace, et qu’ils trouvent les supports et les fonds nécessaires pour soutenir leurs projets. Pour poursuivre les efforts entrepris, le Président Macron et les Ministères concernés, notamment le Ministère de l’Economie et celui de la Recherche et de l’innovation, ont lancé de nouvelles initiatives et ils ont communiqué des messages forts en faveur de l’innovation et de l’entreprenariat, autant de signes positifs et encourageants pour le futur de notre pays et notre économie.  

C’est toute une machine, une startup nation, qui est en route. Le Bloomberg Innovation Index 2018  qui vient d’être publié place la France au 9ème rang des nations les plus innovantes, avec un gain de 2 places par rapport à 2017, devant les États-Unis. L’Indicateur mondial de la propriété intellectuelle OMPI 2017 place la France dans le top 10 des plus gros déposants de titres de propriété intellectuelle. Un vent nouveau souffle sur la France.

Nous avons des raisons – et de très bonnes raisons – de nous réjouir. La France avance, innove et elle le fait savoir. Cependant, l’odyssée française de l’innovation risque de se voir confrontée à des mers agitées.

Si l’indice Bloomberg place la France dans le top 10 des nations les plus innovantes, l’Allemagne, elle, se hisse au 4ème rang de ce classement, 5 places devant la France. Même chose pour le classement de l’OMPI où l’Allemagne est devant nous dans les trois catégories : brevets, marque et modèles (design). Il est également à noter que la Chine occupe dans le classement OMPI la première place du podium, toutes catégories. Il a été déposé en Chine plus d’un million de demandes de brevets en 2016 (1,3 M), un record historique, hors normes. A titre de comparaison, il a été déposé sur la même période en Europe uniquement 160.000 demandes de brevets, soit presque 8 fois moins qu’en Chine  ! La Chine compte en 2016 pour un tiers des dépôts de brevets dans le monde : une région en ébullition, une activité sans précédent.

Passer la seconde

Comment nos start-ups vont-elles pouvoir passer à l’étape supérieure et devenir de grandes PME ou des ETI face à une Allemagne qui fait mieux que nous dans la course aux brevets et à la propriété intellectuelle, et face à un tsunami chinois en matière de brevets ? Le chemin risque d’être semé d’embuches.

Pourtant, la France met à disposition plusieurs mécanismes pour faciliter le dépôt des brevets : l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) offre un pré-diagnostic de brevetabilité et propose également des formations pour faire évoluer la compétence des collaborateurs de l’entreprise en matière de propriété industrielle. France Brevets propose aux entrepreneurs un programme de construction de portefeuille, la Fabrique à Brevets ou FAB, qui prend en charge les frais de rédaction, de dépôt, et de procédure des brevets, moyennant un règlement ultérieur, soit sous forme de redevance sur les licences futures, soit sur la base d’un forfait convenu à l’avance avec l’entrepreneur et remboursé à sa future levée de fonds.

La concurrence est rude et nous devons continuer à nous équiper par une utilisation encore plus intelligente et sophistiquée de tous les outils de la propriété intellectuelle (PI) : brevets, marques, modèles mais aussi droit d’auteur dont les startuppeurs ignorent trop souvent les bienfaits et les avantages, et en négligent aisément les caractéristiques. Nos TPE et PME doivent construire des portefeuilles d’actifs immatériels de qualité supérieure dans lesquels tous ces droits de PI sont intelligemment représentés et sont construits de façon réfléchie, stratégique et surtout solide. L’investissement en temps et en moyens n’est plus une option. L’Allemagne et la Chine ne s’y sont pas trompés. C’est par la qualité des actifs PI et par des approches sophistiquées et volontaires de leur gestion que nous réussirons.

La propriété intellectuelle est une matière qui doit aujourd’hui se traiter au plus haut niveau dans les entreprises. Chaque TPE et PME doit construire sa stratégie et celle-ci doit être élaborée et supervisée par la Direction générale. On n’y échappera pas. Enfin, la France doit redevenir leader en poursuivant la mise en place de la Juridiction unifiée en matière de brevets et en continuant la rénovation déjà bien entamée de son système national de marques et de brevets, notamment en accélérant la mise en place de procédures d’opposition post-délivrance qui auront pour effet direct de tirer la qualité des marques et brevets vers le haut.

La France innove, mais elle doit être plus stratégique, plus offensive, plus conquérante pour porter ses innovations plus haut et encore plus loin.

[1] Les PME sont ici identifiées avec un chiffre d’affaires entre USD 10 et 100 millions.

[2] L’année 2017 ne figure pas dans l’échantillon en raison du retard de publication des demandes de brevets dans les deux juridictions.

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