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Face aux crises, faut-il repenser les règles budgétaires au sein de la zone euro ?

La crise du covid-19, la guerre en Ukraine, les transitions à venir; numérique et écologique interrogent sur la capacité financière des Etats à faire face à ces chocs exogènes appelés à se multiplier.

La crise du covid-19 a engendré la mise en oeuvre de politiques budgétaires très accommodantes augmentant de 20 points les taux d’endettement public des Etats européens. Face à ces défis, les pays s’interrogent sur une révision des règles budgétaires au sein de la zone euro prenant davantage en considération les modèles économiques de chaque pays et les critères de soutenabilité de la dette publique. 

Au début de la crise du Covid-19, dès février 2020, la Commission européenne initie une réflexion autour du cadre de gouvernance économique et budgétaire de l’Union européenne. En mars de la même année, la « clause de circonstance exceptionnelle » est activée avec la pandémie et suspend jusqu’en 2023 les règles budgétaires de l’Union, interrompant par la même les projets de réforme. La suspension autant que l’appel à repenser ces règles viennent souligner la fragilité de leur assise. Initialement instaurées afin de rendre les Etats de l’union monétaire solidaires et responsables, elles ont révélé la difficulté à faire converger des modèles économiques disparates et les limites du « one size fits all ».

En signant le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) européen en 1997, les pays européens se sont engagés à plafonner leur déficit public à 3% et leur dette à 60% du produit intérieur brut (PIB).  Cet engagement a ensuite été complété par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en 2012 qui introduit la notion de « solde public structurel » afin de mieux prendre en compte la conjoncture économique et impose la règle d’or : les Etats signataires doivent s’engager à avoir des comptes publics en équilibre ou en excédent sur l’ensemble d’un cycle économique (article 3 du Traité).

Cet ensemble d’obligations budgétaires a plusieurs buts. La discipline budgétaire doit permettre d’éviter une hausse des taux d’intérêt pour la zone euro qui résulterait d’une mauvaise gestion des finances publiques d’un des pays membres. Il vient aussi assurer la crédibilité de la clause de « no bail out » qui figure dans les traités européens, à savoir l’impossibilité pour les Etats membres comme pour la Banque centrale européenne d’acquérir directement la dette d’un Etat membre. Enfin, ces dispositions visent à renforcer le policy mix européen et maintenir un cadre de politique monétaire indépendant.

Au-delà des critiques qui leur ont été adressées dès leur mise en place – autant pour l’arbitraire des plafonds définis que pour la difficulté à faire converger des pays aux situations très hétérogènes – elles ont été enfreintes de façon quasi systématique, notamment après la crise de 2008. La France a ainsi enregistré des déficits supérieurs à 3% entre 2007 et 2017 et s’est trouvée en procédure pour déficit excessif pendant 10 ans. En 2011, 24 Etats membres avaient fait l’objet de cette procédure sans jamais être sanctionné, remettant en cause aussi bien l’applicabilité de ces règles budgétaires que leur crédibilité. Le Comité budgétaire européen évaluait en 2019 le respect des règles du PSC  à en moyenne 57% du temps par les pays de l’Union depuis leur entrée en vigueur.

Par ailleurs, la complexité des règles qui se sont succédé (PSC, TSCG, « six pack », « two pack ») n’a pas facilité une orientation budgétaire claire pour les Etats si bien que les critiques émises se sont élargies aux organisations internationales comme l’OCDE ou le Fonds monétaire. Parmi les critiques les plus récurrentes, au-delà de la seule complexité, on retrouve notamment l’étroitesse d’un critère qui ne prend pas en compte l’origine des déficits. Sa nature est différente selon qu’il soutient des investissements productifs ou qu’il résulte d’une mauvaise maitrise des dépenses de fonctionnement. Au Royaume-Uni par exemple, la règle d’or s’applique pour un déficit budgétaire « de fonctionnement », c’est-à-dire hors investissements. La question de la nature du déficit se pose avec encore plus d’acuité à l’heure des grands investissements dans la transition numérique et écologique. Par ailleurs, les règles budgétaires s’affranchissent d’un nombre important d’autres facteurs qui peuvent considérablement affecter l’équilibre de la zone euro : la balance courante (un trop fort excédent dans un pays implique un déficit dans un autre compte tenu de l’importance du commerce intra-européen), la compétitivité, l’endettement privé ou encore les critères de soutenabilité tels que un solde primaire excédentaire. 

Les faiblesses relevées ont suscité un certain nombre de propositions, pour certaines réformant à la marge les règles, pour d’autres, les modifiant en profondeur. Le dernier rapport d’information de l’assemblée nationale[1] sur la révision des règles budgétaires européennes reprend les principales alternatives proposées. Certains optent pour la suppression des règles numériques en les remplaçant soit par des institutions dédiées en charge de surveiller les finances publiques, soit par des politiques budgétaires autonomes, mais négociées entre Etats membres. D’autres souhaitent mettre plus en avant le critère de charge de la dette pour s’assurer avant tout de sa soutenabilité et non de son niveau. C’est notamment ce que propose le Conseil d’analyse économique (CAE) tandis que le comité budgétaire européen se rapproche également de cette proposition. Ce dernier souhaite réformer les règles en se fondant sur un triptyque à respecter : une dynamique d’endettement viable – définie selon des critères parmi lesquels la composition de la dette, l’inflation, la croissance -; une norme d’évaluation de la dépense et une clause dérogatoire. Plus proche du cadre actuel, les économistes du Mécanisme européen de stabilité (MES) proposent de relever le seuil du ratio d’endettement au-delà de 60% du PIB.

Les perspectives de réforme ne manquent donc pas, mais elles sont soumises à une difficulté supplémentaire : une fois le consensus trouvé autour de cette évolution des règles, il faut pouvoir la voter. Cela implique une modification de l’article 126 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et donc une unanimité des Etats membres. Celle-ci reste très difficile à obtenir et ouvre un second débat européen sur le passage à la majorité qualifiée afin de permettre à l’Union européenne d’être plus agile et de se réformer plus rapidement au regard des futurs défis à venir.

[1] Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur la révision des règles budgétaires européennes, Février 2022.

Anne-Sophie Alsif ; Cheffe économiste de BDO France et Domitille de La Touanne, Manager.

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