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Emmanuel Faber évincé de la présidence de Danone | Souveraineté alimentaire : Il faut sauver le soldat Danone

DERNIERE MINUTE | A l’issue d’un conseil d’administration extraordinaire, tenu dimanche 14 mars en soirée, Emmanuel Faber a été évincé de la présidence de Danone, avec effet immédiat. Il est remplacé temporairement par Gilles Schnepp, ancien PDG de Legrand. Le géant français de l’agro-alimentaire est à la recherche d’un nouveau directeur général et désormais d’un président. 


 

TRIBUNE | Le paysage de l’actionnariat d’entreprise n’a cessé d’évoluer ces dernières décennies. Ce ne sont plus uniquement les grandes familles et/ou les petits porteurs qui détiennent les éclats d’une affaire, mais aussi des fonds d’investissements professionnels, mus par un ordre de marche et des objectifs différents. Si chacun s’accorde sur la finalité de sa démarche, rentabiliser son placement, les uns et les autres ont une idée très personnelle sur le chemin à emprunter, le calendrier à respecter et les moyens d’y parvenir.

Pourquoi les fonds activistes s’intéressent-ils aux entreprises établies, plutôt que de promouvoir les innovations et de cultiver les jeunes pousses ? Les activistes s’invitent à la table d’une enseigne reconnue parce que la chaire est bonne et qu’ils espèrent profiter du savoir-faire du chef, sur le long terme. D’autant que, dans ce cas, le risque d’indigestion est moindre…

Là où le bât blesse, c’est que l’ajout de nouveaux associés introduit autant d’opinions différentes  que de droits de vote. C’est comme pour l’organisation d’un mariage : les belles familles respectives ne sont pas toujours d’accord sur le choix du champagne ou le style de l’orchestre (ne parlons même pas des robes des demoiselles d’honneur !). Prenons le cas de Danone qui a annoncé ses résultats le 19 février dernier. Le groupe alimentaire est placé sous la férule d’Emmanuel Faber depuis décembre 2017. Or, ses résultats ne seraient pas aussi favorables qu’attendus. Le groupe a vu son chiffre d’affaires se contracter de 6.6% en 2020 et ses bénéfices augmenter d’un modeste 1.4%. Certes, la pandémie est là passée par là…

Si les petits porteurs ont coutume de manifester leur réprobation dans le désordre et l’émotion lors des assemblées générales – réprobation à laquelle la direction oppose souvent une réplique complaisante – les fonds activistes n’ont pas la même délicatesse. D’abord, leur exposition à l’entreprise est plus conséquente, donc plus audible. Ensuite, à leur service, on imagine des financiers aguerris et des avocats impassibles, obnubilés par des taux de croissance et un suivi du cahier des charges. Enfin, leur tactique est de peser sur la conduite des affaires, comme si leur droit de vote avait valeur de responsabilité administrative.

 

La vocation de Danone n’est pas d’organiser des forums sociaux ou d’aider à une meilleure répartition des richesses.

Qu’est-ce qui anime ces fonds d’investissements ? Apparemment ni le secteur, ni le métier, ni l’ambition industrielle, ni le sentiment, ni l’âge du capitaine… Ces fonds sont uniquement stimulés par des ratios comptables. Combien vont-ils amasser en fin d’année ? Combien de temps avant de doubler leur mise ? Combien de gains de capitaux à la revente ? Rappelons que la recherche du profit n’est pas condamnable en soi. N’en déplaise à certains, l’investissement ne relève ni d’une histoire d’amour ni d’un geste humanitaire. Un épargnant, quelle que soit sa taille, place son argent dans un titre pour gagner de l’argent. Il n’a pas thésaurisé toute ou partie de sa vie pour sauvegarder l’emploi des salariés ou agrandir leur cantine. L’investisseur veut la meilleure gestion à long terme, pour optimiser son épargne ou améliorer sa retraite.

Arrêtons-nous un instant sur la personnalité du PDG de Danone qui interroge les capitalistes pur jus. Voici un homme qui souhaite insuffler une touche de justice sociale et de conscience environnementale (fondée sur sa propre expérience dans les « maisons de mourants » et les favelas), au développement économique du groupe. On ne peut que s’en émouvoir. Toutefois, que le motif en revienne à l’allocation des ressources ou à la communication, l’impact sur les résultats de Danone n’est pas convaincant. La performance boursière du titre est décevante. Ce dernier a perdu 23% de sa valeur, alors que le CAC40 progressait de +4.5% entre décembre 2017 et 2020.

La vocation de Danone n’est pas d’organiser des forums sociaux ou d’aider à une meilleure répartition des richesses. Si telle est l’inclination d’Emmanuel Faber, qu’il le fasse avec ses propres deniers et sur son temps libre. Donner et partager ne sont pas condamnables en soi, au contraire, mais l’accessoire ne saurait prendre la place du prioritaire. Si Emmanuel Faber était féru de football, consacrer le temps et l’énergie du groupe à l’organisation d’épreuves sportives serait tout aussi inadéquat. Manifestement, il existe une confusion entre le rôle et l’interprétation chez ce responsable.

Sous-couvert de débats « pour ou contre Faber » la question de la pérennité de Danone est donc posée.

Les convictions affichées du président Faber tendent à agacer les fonds anglo-saxons, qui évoquent un déséquilibre entre « la création de valeur pour l’actionnaire et les questions de durabilité ». Un porte-parole d’Artisan Partners propose même la cession de 30% (voire davantage) des activités du groupe pour en améliorer la performance. Une telle décision se traduirait par des suppressions d’emplois dramatiques et un élagage douloureux de la société. À de tels niveaux, on pourrait même parler de démantèlement du groupe français. Sous-couvert de débats « pour ou contre Faber » la question de la pérennité de Danone est donc posée.

Cependant, ne mélangeons pas les pots de yaourt entre eux. La perversion des fonds activistes vient de la condition quasi monomaniaque de leur quête. Lorsque les partenariats Bluebell Capital ou Artisan, présents dans l’actionnariat de Danone, critiquent la gestion d’Emmanuel Faber, ce n’est pas parce qu’ils ont l’avenir du groupe à cœur mais parce qu’Ils songent uniquement à leur rentabilité à court terme. Pour ce faire, ils sont capables d’aller jusqu’à dépecer le groupe agroalimentaire et d’en vendre les attributs à l’encan.

De plus, à y regarder de plus près, les derniers résultats annoncés par Danone ne sont pas si mauvais que cela, notamment face à Nestlé, qui est sans cesse érigé en exemple par ces fonds. Certes les points à améliorer ne manquent pas. Emmanuel Faber devra faire son examen de conscience, mais il n’y a nullement péril en la demeure. L’offensive des activistes pour améliorer leurs marges menace la souveraineté économique et alimentaire française. Est-il utile de leur rappeler que l’avenir d’une société de cette taille ne se bâtit pas sur un agenda à court terme ?

Tribune rédigée par Jean-Jacques Handali, directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil

<<< À lire également : Le défi activiste de Danone >>>

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