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Quel Avenir Pour Nos Pharmacies ?

À mesure que le néolibéralisme s’installe dans nos contrées occidentales, des pans entiers de secteurs d’activité autrefois régulés tombent dans l’escarcelle des marchés. Après les taxis, d’autres professions sont déjà visées par les nouveaux législateurs : les notaires, les avocats, les pharmaciens… Petit à petit, toutes ces professions qui entretenaient encore une mission de service public rendront les armes. Le marché régnera alors définitivement sur nos vies. Sans autre garde-fou que lui-même…

Cette dystopie n’est pas l’effet d’une herbe médicinale trop dosée, pas plus que le synopsis du prochain blockbuster Hollywoodien. Non. C’est simplement un constat que fait Jacques Attali sur les prétentions du marché et son avenir à plus ou moins long terme.

Le marché envahira d’abord des secteurs qui lui étaient jusque-là interdits, à commencer par la santé et la justice. Bien sûr, les choses se feront doucement, laissant le temps aux usagers de s’habituer à de nouvelles formules, sans doute très bien pensées. Mais le fait est là. Depuis le début des années 2000, la casse du lien social s’accélère, pour laisser libre court à une gestion néolibérale de tous les secteurs d’activité.

La loi du marché…

Aujourd’hui, tout peut déjà être objet de spéculation : les matières premières, la conquête spatiale, les matches de foot, la nourriture… Rien n’échappe à la valeur marchande. Reste à pouvoir tout commercialiser, tout vendre, librement. Et l’attaque la plus directe provient sans conteste d’une aile « santé », déjà bien fragilisée. Après la part prépondérante prise par les complémentaires santé pour venir suppléer les manques de la sécurité sociale, jusqu’à l’obligation de complémentaire santé dans toutes les entreprises, voilà que le monopole des pharmacies est à son tour visé .

La chose n’est pas nouvelle. Ces dernières ont déjà du subir quelques assauts. Mais ces derniers n’étaient que de légers coups de semonce, voire des coups d’essai, dans le but de tester les capacités de résistance de l’édifice. Désormais, on passe à l’arme lourde. Amazon, l’un des fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les Beatles du néolibéralisme sans frontière, enchaîne tube sur tube, et envisage très sérieusement de se mettre à la pharmacie. Et cela fait déjà quelques années que les centres E. Leclerc testent le monopole des pharmacies.

Rappelez-vous de ces publicités décrivant un pauvre jeune homme ayant fait bac+6, et docteur en pharmacie, mais n’étant pas habilité à délivrer des médicaments sur ordonnance, juste parce qu’il travaillait dans un supermarché, et non pas dans une pharmacie, agrémentée. Déjà subversive et plutôt bien construite, l’attaque prend désormais du corps. Le néolibéralisme, jeune et fringant, moderne, progressiste et au service de tous, est forcément gagnant dans l’image, face à de vieux codes réfractaires aux changements, de vieilles traditions antédiluviennes, immobilistes et conservatrices d’un ordre qui n’existe déjà plus…

Le néolibéralisme en ordre de marche.

Voyez ce que les images peuvent transporter d’idéologie, même dans un sketch publicitaire de trente secondes. Le propos de ce papier n’est pas de prendre partie pour l’un ou l’autre camp. A franchement parler, le débat me touche d’assez loin. Je n’ai que très rarement eu recours aux pharmacies dans ma vie. Mais il me semblait intéressant de poser le constat, pour ceux que cela intéresse, et de mesurer à quelle vitesse le marché allait désormais s’emparer des derniers bastions de l’organisation sociétale de notre pays. Parce que ne nous leurrons pas. La chose est inéluctable. A la fin, c’est le marché qui gagne.

Pour en revenir à nos pharmacies, et détailler un peu plus la prochaine OPA sur le monopole des pharmacies en France, il faut se rappeler 2008, et le énième rapport Attali, qui préconisait cette fois de laisser tous les médicaments sans besoin d’ordonnance être vendus en dehors des pharmacies. Aujourd’hui, il est toujours interdit en France de vendre des produits pharmaceutiques nécessitant une ordonnance du médecin en dehors d’une pharmacie.

Mais au final, il ne faudra qu’une loi. Mieux, qu’un aménagement de loi, pour que tout ceci se renverse. Depuis la loi Murcef de 2001, seul un pharmacien diplômé peut participer au capital d’une pharmacie. Dans le détail, le propriétaire ne peut détenir plus de 51 % des parts. Mais ses coactionnaires doivent obligatoirement avoir leur diplôme s’ils veulent participer au capital. Il est interdit pour un fonds de pension, une banque, ou qui que ce soit d’autre d’entrer au capital d’une pharmacie.

L’émergence de la pharmacie sans ordonnance en ligne.

Vu comme un blocage au développement économique, et comme une entrave à la liberté d’investir par les tenants du néolibéralisme, ce point particulier pourrait être remis en question dans le cadre d’une loi générique santé pendant cette législature. Il suffit juste d’ouvrir un peu les vannes, et de laisser des capitaux hors pharmaciens entrer à la constitution du capital d’une pharmacie pour que la machine s’emballe et que notre modèle pharmaceutique laisse la place à un autre modèle.

D’autant que ces derniers ont d’autres chats à fouetter. Entre les polémiques récurrentes sur les médicaments génériques, les attaques par l’aile des parapharmacies, qui en veulent toujours plus, et l’installation des premières E-pharmacies, la corporation ne sait plus où donner de la tête. Et l’explosion médiatique et la réussite financière que connaît en ce moment l’acteur internet Pharmarket ne sont pas faites pour soulager les migraines des pharmaciens.

En effet, l’acteur numérique, pour l’instant cantonné à la vente de produits de parapharmacies, mais également de médicaments qu’il peut délivrer sans ordonnance, voit son avenir en rose. Les perspectives sont bonnes et la confiance des investisseurs est là. Notez qui sont ces investisseurs d’ailleurs : le fondateur du site LDLC (spécialisé dans l’informatique), le fondateur du distributeur de logiciels médicaux Cogedim, un sportif de haut niveau (Tony Parker) et un associé de l’un des plus gros cabinets d’avocats spécialisé dans les affaire (Baker McKenzie). Chacun en tirera les conclusions qui lui semblent les plus appropriées, mais une telle liste reste toujours amusante à découvrir.

L’appétit des financiers.

On sent que de gros intérêts financiers sont présents, et prêts à l’ouverture complète et définitive du marché des médicaments sur ordonnance. Ils sont tous au premier rang sur la ligne de départ. Toutefois, pour l’instant, la dérégulation n’est pas encore officiellement à l’ordre du jour. Nous ne pourrons pas acheter nos médicaments sur ordonnance sur internet tout de suite. Mais toute la parapharmacie et la pharmacie sans ordonnance sont déjà disponibles. Et la lutte entre les E-pharmacies et les pharmacies classiques risque de durer encore quelques années, un peu à l’instar de ce qu’il se passe sur le marché des banques en ligne. Deux visions du monde s’affrontent encore, mais notre monde avance vers toujours plus de rapidité et de virtuel. Il serait donc logique que le futur de la pharmacie soit effectivement la pharmacie en ligne.

Déjà, des sites internet complets déclinent toutes les affections dont vous pouvez souffrir en vous donnant la possibilité de remédier à votre maladie sans bouger de chez vous. C’est vrai, quand on sait de quoi on est malade, pourquoi allez voir le médecin, puis le pharmacien ? Autant passer à l’automédication. C’est positif pour le trou de la sécurité sociale, vous y gagnez du temps (ne serait-ce que le temps gagné à ne pas patienter dans la salle d’attente du médecin…), de l’énergie, et les conseils sont de plus en plus précis et avisés. De surcroît, votre mutuelle, si vous l’avez bien choisie, peut même vous rembourser votre automédication aussi bien que si vous étiez passés par le circuit traditionnel.

Au final, nous savons donc que nous allons tous assister (et nous assistons déjà) à un combat sans merci entre l’intérêt individuel et l’intérêt commun, entre le droit d’entreprendre librement et la régulation que nécessitent certains secteurs d’activité précis, entre le pouvoir du commerce et la solidarité, du moins dans le modèle, entre le commerce physique et le commerce virtuel. Et cette lutte fera rage à tous les échelons, à tous les niveaux. La pharmacie n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

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