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Algorithme, leadership : vers une parité Homme/Femme

ParitéSource : GettyImages

Malgré des avancées (offre d’emploi, législation), persistent des discriminations de genre : (1) à CV identiques, les femmes sont jugées plus durement et moins compétentes, (2) elles sont représentées à moins de 20% dans les comités exécutifs, (3) elles se voient attribuer des évaluations de potentiel plus faibles, et, en conséquence, ont 14% moins de chances d’être promues – ces biais expliquent in fine 50% de l’écart de promotion entre les genres.

 

Les pratiques populaires : réellement efficaces ?

Aussi, les techniques d’équilibrage valorisées sont scientifiquement peu supportées : (1) les formations qui vantent limiter les biais inconscients sont inefficaces et contribuent ironiquement à activer les stéréotypes, (2) les approches lean-in manquent de soutien empirique, notamment car en réalité, hommes et femmes présentent un niveau de confiance en soi quasi-identique – mais celle-ci est perçue différemment, (3) de manière paradoxale, dans les organisations qui prônent la méritocratie, les décisionnaires tendent à favoriser les hommes, (4) les quotas, bien qu’ayant une meilleure portée, se contentent de panser la plaie, et alimentent la croyance erronée que les femmes sont moins compétentes – et ne garantissent pas que les femmes promues seront efficaces. Si ces actions sont louables, elles se posent plus en moyen d’éviter les poursuites que de lutter contre les discriminations, et leur impact est négligeable au regard de l’enjeu. Identifier les bons leaders est en effet un exercice clé, pour des questions d’efficacité des équipes, de coût de l’incompétence, ou car les capacités de leadership sont pour partie héréditaires, et que les progrès possibles par des actions de coaching restent mineurs – 20 à 30% dans les meilleurs cas. Aller plus loin requiert donc de comprendre que la surreprésentation des hommes à des postes de leadership relève davantage de facteurs sociologiques et d’erreurs naïves marquées du sceau de notre intuition, que d’une meilleure compétence intrinsèque, et de dépasser nos conceptions inconscientes et stéréotypées quant au genre et aux déterminants de l’efficacité des leaders.

 

Les algorithmes pour réduire les biais de genre

Atteindre la parité et nous recentrer sur le potentiel réel, tout en améliorant la qualité des personnes promues, passe ainsi par l’utilisation de méthodes standardisées. Par exemple, (1) Danielle Li, Lindsey Raymond et Peter Bergman, du MIT et Columbia, proposent des algorithmes (apprentissage supervisé et UCB – Upper Confidence Bounds), permettant d’augmenter la part de femmes sélectionnées, jusqu’à un équilibre de 50% – contre 35% dans le cadre d’un recrutement humain, (2) Florian Pethig et Julia Kroenung, de l’Université Mannheim, montrent que les femmes préfèrent être jugées par un algorithme de sélection, notamment en raison de son objectivité perçue, (3) Yochanan Bigman, Desman Wilson, Mads Arnestad, Adam Waytz et Kurt Gray, des Universités Yale, Northwestern et North Carolina, expliquent que les gens sont moralement moins choqués par une discrimination issue d’un algorithme. Ces exemples ne doivent pas cacher d’autres pratiques largement médiatisées, où le recours aux algorithmes a contribué à exacerber les discriminations, ou que des inégalités continuent de se propager sous forme de cycle. Ils doivent plutôt laisser comprendre qu’une voie éthique, où l’emportent les effets bénéfiques des algorithmes, existe : si entraîner un algorithme à prédire quels candidats seront favorablement évalués par un recruteur, et à imiter l’intuition humaine, cela fera nécessairement émerger les mêmes biais en raison de données salies dans lesquelles sont ancrés nos propres biais, l’entraîner à prédire des résultats légitimes, à partir de données aveugles au genre et réellement explicatives de la réussite des leaders, permet d’optimiser la qualité des décisions.

 

Miser sur les bonnes données…

Données les plus utilisées dans la sélection et par certains algorithmes, les informations du CV ne répondent pas à ce besoin, et forcent la reproduction de biais : (1) il existe en effet de nombreuses informations genrées dans le CV, (2) même en supprimant les données plus fortement liées au genre (e.g., noms, hobbies et mots genrés), de simples modèles Tf-Idf permettent de différencier les genres avec une précision de 82%, (3) les données issues du CV sont de pauvre qualité pour prédire la performance des leaders. Toutefois, les données relatives au capital psychologique (personnalité, motivations, raisonnement) répondent à cette double contrainte. D’une part, elles sont peu impactées par le genre, et hommes et femmes présentent les mêmes comportements. Contrairement à l’opinion populaire, même s’il existe certaines différences (e.g., narcissisme), les attributs psychologiques et cognitifs entre genres sont pour la grande majorité similaires : (1) Janet Shibley Hyde, de l’Université du Wisconsin, à travers une large méta-analyse pionnière, propose l’hypothèse de similarité des genres en montrant que pour 78%, les différences entre hommes et femmes sont nulles ou très faibles – notamment quant aux facteurs psychologiques, (2) Ethan Zell, Zlatan Krizan et Sabrina Teeter renforcent ces conclusions en mettant en avant un overlap global de 84% dans la distribution des scores entre hommes et femmes, et des effets faibles ou très faibles dans 85% des cas. Mieux cerner les différences de genre quant à la personnalité nécessite donc de voir l’arbre et la forêt, les différences étant plus marquées en considérant le profil global. De même, les différences quant au potentiel de leadership sont quasi nulles, et tendent à sensiblement avantager les femmes, en raison d’une meilleure intelligence émotionnelle. D’autre part, ces données sont de bien meilleurs prédicteurs : 50% de la performance et de l’émergence d’un leader étant expliquée par la personnalité – notamment par l’ouverture intellectuelle, la stabilité émotionnelle et l’agréabilité (modèle des Big Five), et la capacité générale de raisonnement étant un prédicteur universel de la performance.

 

…pour une parité naturelle

Entraîner un algorithme sur base de ces données, et lui apprendre à identifier des indices pertinents et non genrés de disposition au bon leadership (curiosité, humilité intellectuelle, empathie), permettra ainsi de répondre à deux des principales problématiques RH modernes : (1) faire avancer des leaders à fort potentiel, et (2) atteindre une parité naturelle entre genre dans les fonctions de leadership – et corriger le profond déséquilibre qui s’est dessiné. De nouvelles études mettent en avant la capacité de ces algorithmes à recommander – ou non, hommes et femmes dans des proportions similaires pour différents rôles – e.g., manager, chef de projet. Plus encore, même en entraînant cet algorithme sur un échantillon biaisé dominé par les profils d’hommes – comme chacun pourrait y être contraint en raison des disparités actuelles sur les postes de leadership, le fait d’uniquement utiliser des données détachées du genre permet à cet algorithme d’être équitable quand appliqué à un échantillon neutre. En effet, peu importent les variables psychologiques identifiées comme prédicteurs dans l’échantillon masculin, celles-ci se retrouveront dans des proportions quasi similaires chez les femmes – hommes et femmes étant fortement similaires au niveau des traits.

 

La question n’est toutefois pas de chercher à savoir si ces algorithmes s’approchent d’une prédiction parfaite et totalement équitable : plutôt, il s’agit de savoir s’ils permettent de faire mieux que les méthodes actuelles – et mieux que le statu quo humain. Aujourd’hui, si leur utilisation pose des questions légitimes, elle permet surtout – quand ces algorithmes sont entraînés avec les bonnes données, de construire des processus de décision plus efficaces équitables pour les femmes. Si de futurs scandales animeront probablement de nouveaux débats, nombre d’éditeurs étant opaques quant à l’équité de leur solution, chacun se doit d’être proactif dans la compréhension de ces algorithmes et de leur plus-value dans le choix des leaders, plutôt que de céder au sensationnalisme trompeur et lobbyiste de certains.

Tribune rédigée par Emeric Kubiak – Head of Science, AssessFirst

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