Le coût économique et social de la pollution est énorme. En 2015, une commission d’enquête du Sénat avait estimé que le seul coût de la pollution atmosphérique était compris entre 68 et 97 milliards d’euros, dont 3 milliards pour l’impact sur la Sécurité sociale. 650 000 journées d’arrêt de travail seraient prescrites chaque année du fait de la mauvaise qualité de l’air. La pollution serait, en France à l’origine de 67 000 morts chaque année ce qui en fait la deuxième cause de mortalité après le tabac. Pour mieux combattre le fléau, Fabien Condemine, PDG de la société ACOEM, milite pour un changement de paradigme afin de renforcer la prévention dans le domaine et de se doter de nouveaux moyens d’action.

 

Sur le sujet de la pollution atmosphérique ou sonore, où en est-on aujourd’hui ?

Concernant la pollution sonore, nous nous sommes retrouvés pendant le confinement avec un niveau de bruit de fond bien inférieur à celui auquel nous sommes habitués. Il y a eu incontestablement une prise de conscience : nous vivons bien mieux dès que le bruit est réduit. De manière générale, nous nous trouvons dans un contexte global assez anxiogène. Il est clair, aujourd’hui, que les enjeux environnementaux et climatiques sont visibles et palpables pour l’ensemble de la population. D’où la prise de conscience que l’activité humaine met en péril le monde dans lequel nous vivons. Cette anxiété a été renforcée par la crise sanitaire du Covid-19 qui est venue bouleverser notre écosystème. Ce virus se transmet par l’air et nous force à porter des masques tout en renforçant les questions sur la qualité de l’air que nous respirons. Il est évident que la « vague verte » des dernières élections municipales est intégralement liée au contexte (enjeux climatiques + coronavirus) actuel.

 

Comment prolonger efficacement cette prise de conscience sur le terrain ?

Comme dans le cas de la pollution atmosphérique, la lutte contre la pollution sonore comporte plusieurs facettes. Le premier aspect est d’ordre légal. Le législateur impose aux grandes agglomérations le contrôle de son niveau de bruit ou de l’exposition à la pollution de l’air. Le problème, réside dans l’esprit de la Loi qui repose sur un contrôle a posteriori et la sanction de l’infraction quand elle existe alors que celle-ci a déjà entraîné ses effets délétères sur la santé. Chez ACOEM, nous préconisons un renversement du paradigme en agissant, parallèlement, en amont, avant même que l’infraction ne se produise. Pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en place un système de mesure hyperlocalisé, élargi à un plus grand nombre de polluants, et en temps réel du niveau de pollution sonore ou atmosphérique. Cela permet de proposer sans délais un ensemble d’actions correctives essentielles en termes de santé publique tant la pollution, sonore ou atmosphérique, peut entraîner des pathologies aux conséquences souvent très graves.

 

Concrètement, comment procédez-vous ?

Les nuisances les plus importantes en centre-ville concernent des sujets liés à la mobilité ou aux chantiers, avec des problèmes tant en termes de bruit, vibrations que de qualité de l’air. Une fois les zones à risque identifiées, nous mettons en place un réseau de capteurs qui permettant de déclencher une alerte avant même que les niveaux de seuils soient atteints. Grâce à l’emploi de l’intelligence artificielle, nous pouvons fonctionner en mode prédictif afin de pouvoir agir avant même qu’un problème ne se pose. C’est typiquement l’exemple du dispositif « Breathe London » que nous avons déployé dans la capitale anglaise où nous disposons de 100 capteurs dernières générations en plus des 100 stations classiques(contre 70 à Paris). L’objectif : mettre à disposition des londoniens une carte interactive du niveau de pollution par quartier et sur plusieurs polluants, notamment près des écoles, hôpitaux, chantiers et routes. Cette information permet aux pouvoirs, publics, parents, ou encore les maîtres d’œuvre sur chantier d’agir et d’anticiper : rendre des zones piétonnes aux abords des écoles, en fermer d’autres sur des périodes déterminées,  définir des espaces à faibles émissions dans lesquels il serait possible de faire du sport, etc. Nous sommes bien en présence d’une gestion de la ville complètement différente qui repose sur la prévention et non la sanction a posteriori

 

Peut-on aller jusqu’à imaginer la possibilité d’une ville dépolluée ?

L’activité humaine étant ce qu’elle est, il est très difficile d’imaginer une ville qui ne soit pas du tout polluée. Par contre ce qui est possible, c’est d’adapter la ville de manière à limiter les effets de la pollution à des instants et des lieux donnés afin de préserver la santé de tous et particulièrement des plus vulnérables et exposés : les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes, les personnes malades, les personnes souffrant d’asthme car des solutions sont possibles. Exemple : l’Australie analyse systématiquement la pollution de l’air après chaque incendie de bush, afin d’alerter les populations et fermer lieux publics, écoles et hôpitaux, le temps d’écarter le danger proche des zones concernées. Notre champ de progression est énorme. Donner accès à l’information, en temps réel et sur le lieu de vie, de l’école, des vacances, permet à chacun de se prémunir de ces dangers invisibles, presque aussi simplement que de porter un masque contre une épidémie aujourd’hui. C’est ce à quoi ACOEM s’emploie tous les jours.