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Innover En Politique : Est-Ce Possible ?

Auteur : Andrew Martin

Avec un paysage politique qui subit de fortes pressions, une agitation citoyenne et des migrations rapides chez les sympathisants, on peut dès lors se demander si, à l’instar de la stratégie d’innovation pour les entreprises, il n’est pas également nécessaire d’innover en politique.

Notre système permet-il l’innovation dans le domaine public, et politique en particulier ?

 

Le management de l’innovation

Bien que « tendance », l’innovation n’est pas une mode : elle existe depuis toujours et c’est elle qui permet de faire la différence dans le développement et la compétitivité des organisations. Aujourd’hui, c’est simplement l’accélération des progrès technologiques qui rend visible l’impérieuse nécessité d’innover.

Toute organisation qui veut croître – ou continuer d’exister – doit s’adapter au paysage dans lequel elle évolue : un processus d’innovation doit être alors mis en place afin de détecter les changements et de préparer sa transformation. Les organisations publiques et politiques sont bien évidemment également concernées.

Pour ce faire, la mise en place d’un processus de management de l’innovation est indispensable, qu’il soit formel ou informel. Le processus de management de l’innovation est un ensemble d’étapes et de tâches qui permettent de réaliser, de contrôler et d’améliorer l’activité d’innovation. En voici un exemple :

  • Création/modification de la vision
  • Création/modification de la stratégie d'innovation : objectifs, méthodes et outils
  • (émergence) Mise à disposition des outils
  • (émergence) Stimulation de la créativité et captation
  • (émergence) Enrichissement, transformation et maturation
  • (acculturation) Formation et implication des ressources
  • (acculturation) Communication auprès des contributeurs
  • Lancement et captation de l'écosystème
  • Supervision et amélioration processus.

On voit bien que cet exemple peut s’appliquer indifféremment aux entreprises privées ou à toutes formes d’organisations d’utilité publique. Malheureusement, bien souvent, lorsque celles-ci mettent en place un processus d’émergence des innovations, elles négligent la transformation et l’acculturation, ou inversement. Si tant est qu’elles mettent en œuvre cette activité.

 

Améliorer son organisation politique

En théorie, les contributeurs qui apportent des idées pertinentes, efficaces, novatrices, devraient pouvoir être reconnus et ces fameuses idées être réalisées. En pratique, un certain nombre de freins expliquent le fait que les organisations publiques et partis politiques rechignent au changement et à l’innovation.

 

1er frein : une vision étriquée et un manque de volonté.

L’avantage majeur du processus d’innovation, c’est qu’il est transverse qu’il peut s’inscrire dans le contexte existant : le management de l’innovation peut être mis en place indépendamment de l’organisation pour laquelle il fonctionnera. Le problème, en revanche, est localisé dans la volonté et les moyens mis en œuvre par les dirigeants à vouloir qu’un tel système existe :

  • Il peut y avoir une vision « étriquée ».  À l’image d’un ancien ministre qui confiait : « Les citoyens ne savent plus ce que nous faisons ; notre travail est devenu bien trop complexe pour eux, le fossé qui se creuse entre eux et nous ne peut plus être comblé. Toute contribution de leur part à la recherche de solution ou de décision opérationnelle est devenue inutile. » Sans préjuger de la pertinence de son analyse, suivre son raisonnement ôtera un nombre significatif de possibilités, notamment en ce qui concerne les solutions collectives.
  • Il peut s’agir d’une absence d’initiative, voulue par le dirigeant, pour ne pas mettre en place ce genre de projet : en effet, quel dirigeant au pouvoir prendrait le risque de déstabiliser son organisation pour obtenir peut-être mieux, mais sans aucune garantie, avec le risque que les changements déçoivent in fine les instances qui l’ont mis au pouvoir ?

 

2ème frein : l’innovation de rupture.

Comme pour les entreprises, l’organisation est structurée selon des postes et des activités précises, et tout changement qui surviendra apportera son lot de peurs et de doutes, de déplacements « hors de la zone de confort » pour nombre de collaborateurs, en conséquence :

  1. Les innovations incrémentales (qui ne changent pas les règles du jeu) pourront être mises en œuvre,
  2. Les innovations de rupture (celles qui changent les règles du jeu) seront écartées.

Conséquence : seules les améliorations mineures au système seront mises en place – nonobstant la possibilité d’en écarter avec les freins n°1 et n°3 -, alors que la Société toute entière aspire semble-t-il à des changements… en rupture.

 

3ème frein : le rejet de toutes formes d’échecs.

Dernier frein, celui du rejet de toutes les formes d’échecs. En particulier en France.

Puisque, d’une part, nous cultivons l’excellence et que, d’autre part, le succès est le résultat obtenu par la réussite de stratégies mises en œuvre par des individus/collectifs, il est normal de penser que ceux qui ont réussi sont les plus intelligents et méritent donc considération et élévation.

Hors, si le raisonnement tient pour la plupart des cas, il peut impliquer de fâcheuses conséquences pour la pérennité de l’organisation : cette culture de la méritocratie par le succès ne convient en effet pas totalement à la stratégie d’innovation.

L’innovation – et l’innovation de rupture en particulier – consiste à provoquer des changements plus ou moins profonds dans l’écosystème : si la vision et la stratégie de l’équipe dirigeante sont correctes, il n’en reste pas moins que tester de nouvelles manières de proposer de nouveaux produits ou de nouveaux services impliquent de tester les « réactions du marché » ; or, anticiper pleinement ces réactions peut s’avérer impossible… et déboucher sur un échec. Et c’est là que l’échec en tant que tel ne devrait pas être sanctionné, mais devrait plutôt promouvoir l’intelligence de l’analyse dans les situations d’échec, ainsi que la manière d’en sortir avec de nouvelles solutions, plus fiables et pertinentes.

 

Innover pour les citoyens

Une fois les raisons identifiées pour lesquelles les choses changent peu en interne, passons en revue les raisons pour lesquelles il est également difficile d’innover pour le bénéfice des citoyens.

 

4ème frein : le manque de culture d’innovation.

L’organisation politique n’innove donc pas – ou peu – car cette démarche engendre des interférences en permanence. Or, une organisation qui innove est une organisation vivante, dont 80% de sa structure et de son fonctionnement est stable, et 20% est soumis au changement (ces 20% glissants afin de renouveler la totalité de l’organisation).

Or, aux freins internes évoqués dans le chapitre précédent s’ajoute désormais l’absence de culture de l’innovation des citoyens que nous sommes ! Par manque de confiance, de clarté, parfois de sincérité des dirigeants et surtout par manque d’habitude à essayer les changements, les citoyens peuvent être réfractaires à l’idée d’innover.

 

5ème frein : la peur du diktat des électeurs.

La peur du diktat de la vox populi, les élus connaissent bien : c’est la crainte d’utiliser une solution qui rassemble les idées ou décisions des citoyens et qui les rend visibles : cela peut être considéré par les dirigeants publics comme une perte définitive de contrôle, qui craignent des décisions populaires qui iraient à l’encontre du bien commun. Et accessoirement pour la réduction de leur rôle dans la vie publique.

 

 

Des solutions ?

 

Que de freins à l’innovation en politique ! À la lecture de cet article, on peut comprendre pourquoi les choses ne changent pas vite. Pour autant, il existe tout de même des solutions à privilégier, et je vous propose d’envisager les axes de développement suivants :

  1. Pour favoriser une vision consolidée et inciter les dirigeants à innover (frein n°1), créer des cellules mixtes sur des sujets transverses – dont la vision, les valeurs et la stratégie – afin de créer une dynamique d’opportunités, soutenue par un ensemble représentatif et légitime.
  2. Pour faciliter la mise en œuvre d’innovations de rupture (frein n°2), favoriser une organisation plus horizontale ou plus agile (en réseau maillé, en grappes) afin de faciliter le lancement d’initiatives.
  3. Pour lutter contre le frein n°3 (peur de l’échec), éveiller (former) et responsabiliser les ressources impliquées dans le projet : communiquer largement, proposer des conférences sur l’innovation et les sujets à traiter, leur proposer des outils et des formations et permettre à leur talent de s’exprimer. Une fois l’échec obtenu – car il y en aura -, restituer une analyse avec ses éléments remarquables – positifs et négatifs -, grâce à l’expérience réalisée.
  4. Pour créer une culture d’innovation avec l’ensemble des citoyens (frein n°4), il convient de communiquer largement et fréquemment sur la vision, la stratégie choisie et les objectifs associés ; communiquer pour chacune des étapes franchies et partager les analyses réalisées, avec plus ou moins de détails selon le besoin de confidentialité.
  5. Pour ne pas avoir peur de la perte de contrôle (frein n°5), il suffit de choisir parmi les centaines de possibilités les méthodes et outils d’innovation, puis de doser savamment entre la capacité de captation, la puissance de traitement, de transformation, manier l’équilibre entre la confidentialité des informations et la communication à réaliser.

Il conviendra de terminer avec la mise en place d’un système de mesure de l’attractivité et d’irritation face aux changements innovants ; car dans l’innovation le changement est une démarche exploratoire et il est nécessaire de savoir s’entêter ou de s’arrêter ! C’est en outre un excellent moyen de détecter les mécanismes qui facilitent l’adoption des changements chez les collaborateurs et auprès des citoyens.

Lorsque l’on veut innover, en politique comme dans tout autre secteur, ne jamais négliger les deux volets indissociables du processus d’innovation : l’émergence des innovations ne doit jamais se faire sans l’acculturation des Hommes et des organisations.

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