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Grand Débat et Grands Absents

TF1 a réussi un coup de maître médiatique qui conforte les marchés. A tort.

Depuis le #GrandDebat, lundi soir sur TF1, un vent de printemps s’est mis à souffler. L’euro est reparti à la hausse ; chacun semble s’imaginer que Marine Le Pen se trouve promise au sort de Geert Wilders aux Pays-Bas : un score important, qui en fera la principale force d’opposition du pays, mais sans plus. Il n’en est rien.

 

 

Tout d’abord : la structure même du débat.

Dès les premières minutes, en guise de mise en bouche, premières hypocrisies : les reproches que les cinq candidats invités adressent à TF1 pour avoir exclu les six autres, à la peine dans les sondages. A la vérité, la chaîne a profité du fait que les règles sur le temps de parole n’entraient en vigueur que le lendemain pour créer un vrai show. Elle laisse à ses rivales l’impossible contrainte d’orchestrer un débat à 11 qui ne soit pas un match de foot.

Résultat : un record d’audience – presque 10 millions de personnes – entérine l’agenda politique d’une campagne jusqu’à présent sans grand sel. Avec des plats connus, mais un menu très révélateur.

 

Première heure : éducation, sécurité, responsabilité pénale, immigration, laïcité, institutions. Six entrées nationalistes en soixante minutes. Puis, quand l’audience se fatigue et menace de se réduire, on tâche de faire remonter l’appétit avec des trous normands qui encouragent les attaques directes. A droite, la moralisation de la vie politique met François Fillon et Marine Le Pen mal à l’aise ; à gauche, l’environnement sépare Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.

Le plat de résistance arrive, pour les passionnés, après deux heures de débat : chômage, pouvoir d’achat, retraites, sécu – l’économie sauce anxiogène. L’occasion pour François Fillon de tacler Marine Le Pen (« le véritable serial killer sur le pouvoir d’achat des Français, c’est la sortie de l’euro et le retour au franc ») mais rien de vraiment menaçant pour la candidate du Front National. Son discours sur le retour du régalien n’est pas seulement dans l’air du temps : il lui permet de trouver des points d’accord avec Jean-Luc Mélenchon et consolider ainsi l’idée d’un rassemblement « populaire » au second tour, contre le candidat des « élites » quel qu’il soit.

La politique étrangère n’arrive qu’en dessert, vers minuit. Et même sur son point faible, l’approche reste bien inoffensive pour Marine Le Pen : la place de la France dans le monde, la sécurité… Au pousse-café, même si la candidate ne semble pas avoir gagné le débat, une chose est claire. La campagne électorale se joue sur ses thèmes, sur son terrain, à sa table sinon à sa main.

Petite cuisine de TF1 ? Complot des journalistes pour faire le lit du Front National ? Evidemment pas. Il faut regarder les choses en face : quand on hiérarchise les centres d’intérêt du très grand public, la lepénisation des esprits est réelle. Il n’y a pas de place dans cette campagne pour les entrepreneurs, pour les succès des Français, pour l’optimisme.

 

Cinq ans de cohabitation ?

Pas de place non plus pour l’Europe ni pour les sujets qui s’imposeront de toutes manières au Président, fût-il une Présidente. Personne ne s’interroge, par exemple, sur sa capacité à rassembler une majorité parlementaire stable. Pourtant, cela semble exclu pour Marine Le Pen, difficile pour Emmanuel Macron, très loin d’être acquis, considérant les divisions de leurs partis, pour François Fillon et Benoît Hamon, impossible pour Jean-Luc Mélenchon.

Dans ces conditions incertaines, il faudra tout de même passer un collectif budgétaire en Juillet : une loi de finances rectificative, après une année électorale, est une mesure d’hygiène indispensable. Cela permettra sans doute également de faire passer quelques réformes fiscales. Rien d’aussi ambitieux que ce que l’on claironne en campagne, bien sûr, surtout si le gouvernement est en minorité et doit s’appuyer sur le 49-3. Mais une réforme de l’ISF, par exemple, semble quasiment assurée, impliquant un véritable questionnement sur le financement des PME…

L’été sera aussi l’occasion, pour la nouvelle majorité – s’il s’en trouve une –, de passer ses réformes phares : le référendum sur la sortie de l’euro, la réforme du code du travail ou le revenu universel (on aura reconnu Marine Le Pen, François Fillon et Benoît Hamon, sans injustice pour les deux autres candidats, dont le nom ne s’est pas encore associé à une mesure fétiche). Une autre échéance rendra ces premiers pas essentiels : le 24 septembre, en même temps que les élections sénatoriales en France, l’Allemagne élira son nouveau parlement.

 

La frayeur du Frexit

Or, à un moment marqué par le Brexit, l’élection de Donald Trump et le naufrage de la démocratie en Turquie et en Russie, mais aussi en Hongrie et en Pologne, la relation avec nos voisins proches, et particulièrement l’Allemagne, devient plus que jamais cruciale. L’éventuel quinquennat d’Emmanuel Macron, seul candidat ouvertement pro-européen, ou du plus ambigu François Fillon, sera marqué par un défi économique immédiat.

Pour sauvegarder la prospérité du pays dans un monde où les digues contre le protectionnisme et l’instabilité menacent de rompre, le candidat élu devra consolider la zone économique intégrée au cœur de l’Europe. Le marché intérieur des entreprises européennes n’est certes pas le plus dynamique, mais il est le plus important de la planète. On ne pourra éviter sa fragmentation sans relancer le couple franco-allemand.

Or, les infinis atermoiements sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, puis les « zigzags » sous François Hollande, ont en effet achevé de miner la crédibilité française aux yeux de Berlin. Les Allemands ont d’abord désespéré de voir les Français jamais accepter la main qu’ils leur tendaient (avec Joschka Fischer par exemple), puis simplement de les voir un jour réformer leur économie, comme eux l’ont fait à la fin du mandat de Gerhard Schröder.

Si le nouveau Président réussit à faire adopter dès l’été une réforme substantielle – et non une série de cadeaux fiscaux –, il pourra commencer à restaurer l’image de la France et présenter à Berlin, au moment où s’y négocie le contrat de coalition, une offre de partenariat : un contrat de mandature qui ferait pendant au Koalitionsvertrag, qui préside à la constitution des gouvernements outre-Rhin.

 

A l’inverse, les programmes de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et même Benoît Hamon reviennent à un détricotage de l’Union Européenne, assumé ou non, immédiat ou retardé, mais réel. On sait que ce « Frexit » aurait des conséquences vertigineuses. Elles peuvent être, pour simplifier, soit désastreuses soit catastrophiques. Et l’ampleur du ravage dépendra des relations que le nouveau Président de la République saura établir avec le nouveau chancelier, ou la chancelière réélue, qui se trouvera à la tête de ce qui restera de l’Europe.

 

En partenariat avec Forbes France, PMEfinance-EuropeEntrepreneurs et le Centre des Professions Financières (Club Haut de bilan) organisent un petit-déjeuner jeudi 30 mars à 08h15

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