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Le Big Data RH, Un ‘Grand Frère’ Qui Vous Veut Du Bien

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De plus en plus de solutions se lancent sur le marché, prétendant avoir développé ces boules de cristal 2.0, grâce au Big Data, cette expression devenue fourre-tout. Mais lorsqu’il s’agit de repenser les mécanismes de décision des Ressources Humaines, grâce à toutes ces données, alors des sujets d’éthique et de déontologie devraient entrer en ligne de compte. Ca et le reste !
 
 
De la cuisine au Big Data RH…
 
De nombreuses entreprises se targuent d’ailleurs de ‘faire du Big Data’. On fait des crêpes, on fait des bêtises, mais on ne FAIT pas de Big Data. Derrière ce terme, la notion d’un large Volume de données d’une grande Variété, et collectées à grande Vitesse, souvent en temps réel. On oublie encore trop les notions de Véracité et de Valeur de ces données, bien souvent parce qu’il est difficile d’évaluer ces paramètres, pourtant fondamentaux. Que tirer d’une série d’informations erronées et non hiérarchisées qualitativement ? Statistiquement, en fait, beaucoup de choses ! Mais de là à dire que nous devrions nous en servir pour piloter des décisions d’avenir, je suggère de prendre le temps de la réflexion.
 
Nous sommes en 2017, alors forcément, le ‘Big Data’ est partout. Rétrospectivement, on parle de la deuxième ère de l’Internet. Depuis plus de 25 ans, nous passons notre temps à peupler le vaste océan de l’Internet, à coup de milliards de milliards de données. De nos jours, ce sont plus de 29 000 Gigaoctets de données qui sont publiés chaque seconde, soit plus de 100 milliards de Go depuis le 1er janvier ! Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Ainsi, depuis de nombreuses années déjà, nous disposons de tant de données, qu’il est possible de les analyser pour leur faire raconter une histoire. Par exemple, Google sait prédire un divorce près de six mois à l’avance, et même le lieu où vous habiterez dans quelques années !
 
« Les conséquences d’un acte sont incluses dans l’acte lui même. »
George Orwell
 
Aujourd’hui, ces expériences de prédiction sont réalisées parce qu’elles sont possibles. Et quelque part, c’est moitié fascinant et moitié terrifiant, mais après tout ce n’est qu’une expérience, donc on ne se sent pas vraiment visé, ou alors impuissant. Quelques questions cruciales que posent ces cas concrets : doit-on utiliser le pouvoir de la technologie sous le prétexte que nous le pouvons ? A quel moment interviennent la responsabilité et l’éthique ? Quelles sont les conséquences de ces approches statistiques de la société ? Dans la lignée de ce que nous avons initié en créant et développant Le Lab RH, j’ai aujourd’hui à cœur d’éveiller et rassembler le plus grand nombre autour des grands enjeux qui déterminent la société que nous voulons pour demain. Et la donnée et son utilisation sont au cœur de ce modèle. En route pour un (r)éveil !
 
 
Le Big Data RH a t’il sa place dans notre société ?
 
Pas de suspense insoutenable ici. Bien évidemment, l’analyse des données a le potentiel d’apporter une très grande valeur économique et sociale dans les organisations, et notamment pour l’animation des talents. En tant que physicien de formation, j’aime les nombres, et j’aime ce qu’ils ont à révéler. Mais bien au delà de la physique, je citerai Rabelais et son « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », tant cela incarne la situation. Je défends l’idée qu’avec le pouvoir que nous donne la technologie, viennent les responsabilités d’anticiper la portée des actes entrepris. Et si les fans de Marvel se retrouveront dans cette citation apocryphe, la philosophie liée n’a jamais été plus vraie qu’en cette période de mutations profondes de notre société.
 
Il est important de rappeler qu’aucune technologie n’est bonne ou mauvaise, c’est l’utilisation que nous en faisons qui détermine la nature de ses conséquences, et cela indépendamment de nos intentions. Les meilleures intentions du monde peuvent conduire à des résultats désastreux, préjudiciables et parfois irrémédiables. C’est pourquoi, dès qu’il s’agit d’appliquer l’analyse et l’interprétation de données au domaine réservé des RH, quelques précautions s’imposent. Des précautions qui n’ont que trop partiellement été considérées jusqu’alors par les acteurs émergents, comme le souligne dans Les Echos le Professeur Jean-François Gagne de l’Université Paris Dauphine.
 
La gestion des Ressources Humaines se transforme à toute vitesse. Autrefois fonction d’administration, chargée de gérer une masse salariale et un risque social, elle est aujourd’hui devenue la fonction en charge de l’attraction, du développement et de la rétention des talents, avec la responsabilité croissante d’un coach organisationnel. C’est une toute autre histoire. Face à cette nouvelle donne, la plupart des DRH sont quelque peu désarçonnés, et certains cherchent des réponses et des solutions auprès des nouveaux ‘gourous’ du conseil et de la tech. Mais concrètement, décider de la meilleure période d’arrosage d’un champ est, d’un point de vue éthique, très différent de la gestion de la carrière d’un être humain ! Certains aspects du fonctionnement de notre société ne doivent simplement pas être mécanisés sans une réflexion profonde et humaniste. 
 
L’analytics RH est une pratique normale et saine en entreprise.
Mais dès qu’il s’agit de prédire l’avenir à partir du passé,
nous devrions prendre le temps de la réflexion…
 
L’approche Big Data RH présente encore de nombreuses failles, qui remettent temporairement en cause la pertinence et la fiabilité de son utilisation, pour une bonne partie des aspects de la fonction RH au moins. Car si le Big Data RH est une aubaine pour les DRH souhaitant se rapprocher des centres de décisions financières et stratégiques grâce à des analyses poussées, il est fondamental de ne pas oublier que derrière ces données, ce sont des êtres humains, chacun avec leur potentiel, leurs envies et les problématiques personnelles. Alors si le Big Data RH est perçu comme de l’analyse de données classique, je dis GO. Si l’objectif est plus une volonté de prédire l’avenir et tracer des courbes et des trajectoires à partir du passé, alors je dis STOP, car il reste quelques tiroirs à ouvrir avant cela !
 
 
Le Big Data RH est déterministe
 
Le déterminisme est un concept issu de la philosophie, selon lequel toute suite d’événements est déterminée par des causes et des lois clairement établies. Appliqué à la gestion des carrières par exemple, le déterminisme prônerait le fait que le métier futur de chaque personne est déterminé à l’avance. Les causes peuvent être diverses : loi de la moyenne du marché, orientation dès le plus jeune âge, etc. Il s’agit d’un système où vos envies et motivations seraient tellement accessoires qu’elles ne seraient jamais prises en compte. Certains lecteurs croient rire doucement, en se disant ne pas voir une grande différence avec la société actuelle, peut-être ?
 
Derrière la logique de l’analyse des données, il y a la volonté de prédire l’avenir grâce au passé. Imaginons, grâce au Big Data, que des millions de parcours de carrière soient analysés partout dans le monde, pour définir des tendances de parcours de carrière. Ce qu’il est important de préciser, c’est que, comme dans tout processus statistique, les parcours ‘aberrants’, autrement dit très loin du cadre, donc atypiques, sont généralement retirés des analyses pour éviter de fausser les moyennes et autres composites. Vous vous retrouvez donc avec le constat que les personnes qui exercent le métier X évoluent généralement vers le métier Y, et parfois vers le métier Z. 
 
Le commandement des anciens despotismes était : « Tu ne dois pas. »
Le commandement des totalitaires était : « Tu dois. »
Notre commandement est : « Tu es. ». 
George Orwell
 
Si vous êtes un DRH utilisant massivement une telle approche, vous en conclurez rapidement que vos collaborateurs exerçant le métier X pourront évoluer vers Y ou Z. Pourquoi ? Parce que c’est ce qui arrive généralement. Au diable la diversité des parcours, et surtout, au diable les volontés et desiderata de chacun : la moyenne de la société a parlé. C’est bien du déterminisme, et à l’heure où l’un des enjeux majeurs en entreprise est de recréer de l’engagement, autant que de favoriser la capacité d’adaptation, il y a fort à parier que ce ne sera clairement pas la mesure la plus populaire pour les collaborateurs !
 
 
Le Big Data RH est souvent inefficace
 
Je dis bien ‘souvent’, et surtout pas ‘jamais’. Car, encore une fois, je ne remets pas du tout en question l’immense potentiel de l’analyse des données pour améliorer la productivité et le bien être des collaborateurs. Il est évident. En revanche, lorsque l’on souhaite prédire l’avenir à partir du passé, il est nécessaire de comparer des situations comparables. Et en matière de Ressources Humaines, ce n’est pas du tout le cas. Comme expliqué plus tôt, les DRH ont fort à faire avec leur métier qui évolue, et avec lui celui de tous leurs collaborateurs !
 
Près de la moitié des métiers qui existent aujourd’hui n’existeront plus dans 5 ans. D’ici là, 65% des métiers qui existeront n’ont pas encore été créés. Si je poursuis l’exemple précédent, où nous cherchons à prédire les meilleures évolutions de carrière possibles, il est facile de comprendre que l’analyse des carrières passées porte sur des métiers différents à plus de 80% de ce qu’ils seront dans l’avenir, entre ceux qui disparaissent et ceux qui apparaissent. A partir de là, comment réaliser une prédiction valable ? L’approche prédictive pour un sujet tel que la gestion des carrières est ainsi terriblement réductrice, et porte même préjudice à la compétitivité future de l’entreprise, en créant des recommandations erronées, et non liées à la fois à la performance et aux perspectives d’évolution des métiers.
 
Dans ce sens, l’analyse prédictive est souvent inefficace, car elle compare deux monde qui conservent un nombre très limité de points communs : celui des tout débuts du digital, et celui d’un monde pleinement digitalisé. En d’autres circonstances, dans un monde qui changerait peu, l’approche prédictive serait en revanche extrêmement pertinente. Mais lorsque le cadre est amené à évoluer, alors c’est comme en sciences, il y a trop de paramètres hors contrôle pour réaliser une analyse concluante d’une expérience ! Et toutes les rustines méthodologiques qui pourront être ensuite rajoutées n’enlèveront rien au fait qu’en matière de gestion de la vie d’un être humain, nous devrions reconnaitre nos limites !
 
Surtout, derrière chacune de ces prédictions, s’érige en toute puissance la promesse de prédire la performance, d’après une série de critères pour lesquels il existe des mesures : présentéisme, chiffre d’affaires, etc. Mais la prédiction n’est par définition valable que pour ce qu’elle prend en compte. J’invite à la réflexion sur tout ce qu’elle ne prend pas en compte, car non mesuré ou difficilement mesurable, et qui pourtant impacte fortement à terme le capital immatériel, et parfois matériel, de l’organisation concernée. Par exemple, en sélectionnant ses recrutements de commerciaux d’après des critères de performance commerciale, ne prend-on pas le risque d’appauvrir le lien social de l’équipe ? Ou même de délaisser certains profils supports qui permettaient aux ‘stars’ d’être si performants ? La performance relève d’un processus bien plus complexe que de critères individuels visibles dans le chiffre d’affaires. Le prédictif est ainsi prédictif d’une performance à court, voire moyen terme, mais surtout pas d’une performance de long terme.
 
« La première fois c’est une erreur, ensuite c’est de l’obstination. »
Alain Leblay
 
Sur certains aspects stratégiques, où l’environnement change moins, le Big Data RH peut s’avérer très précieux. Il est par exemple possible de prédire les chances de démission d’un collaborateur, pour ainsi mieux anticiper et chercher à le retenir. Il est également possible d’évaluer l’évolution de la masse salariale dans le temps en fonction des profils des collaborateurs, en connaissant les augmentations généralement nécessaires pour assurer une rétention optimale. Et ainsi de suite. En fait, sur tous les paramètres de réglage, le Big Data RH est un atout précieux. Pour le reste, mieux vaut ne pas jouer l’apprenti sorcier. Comme par exemple avec cette expérience du MIT, enregistrant les conversations de collaborateurs, pour y déceler les changements dans la voix ou la durée, révélant les variations du niveau d’engagement. Mais où va t’on ???
 
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