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Vitaly Malkine, Banquier Philosophe

crédits : Getty Images

Epicure, Voltaire, Nietzche. Dans un livre provocation à paraître en mai, Vitaly Malkine tente, à l’usage de l’homme du 21ème siècle, une synthèse roborative de ces trois sources de la pensée européenne. Portrait d’un entrepreneur engagé.

Au-delà de la notoriété politique de cet ancien sénateur de Bouriatie (une République de la Fédération de Russie), la renommée de Vitaly Malkine est d’abord bâtie sur son parcours légendaire d’entrepreneur : à l’instar de Bill Gates, il comprit très tôt l’importance de la démocratisation de la micro-informatique… Visionnaire, il fit d’abord fortune dans l’importation de matériel informatique en Russie avant de devenir banquier, en fondant ce qui deviendra la troisième banque russe : Rossiiskii Kredit. On se souvient encore de cet établissement financier surtout pour son attitude exemplaire durant la crise de 1998 – crise durant laquelle les actionnaires de la banque garantirent sur leur fortune personnelle les dépôts en roubles : Vitaly Malkine, alors président de la banque, tint à préserver coûte que coûte les petits épargnants. Profondément philanthrope, artisan de la réélection de Boris Elstine, Vitaly Malkine n’a cessé d’œuvrer tout au long de sa carrière pour la démocratisation et la libéralisation de son pays. Et c’est dans la continuité de son action politique et de sa vision humaniste du monde qu’il publie (en mai prochain chez Hermann) un essai dont l’objet est d’aider le lecteur à se libérer des croyances qui l’empêchent d’être heureux.

Dès le premier abord, Vitaly Malkine surprend par sa taille et sa stature athlétique. À soixante-cinq ans, sa condition physique semble exceptionnelle et révèle son attrait pour le sport. Le jour de notre rencontre, il nous explique qu’un manque d’échauffement avant sa séance de musculation le fait souffrir du dos… Assis sur sa chaise, une légère grimace se dessine sur son visage, mais l’homme reste attentif à la rectitude de son port : il se tient tête droite, le buste penché un peu en avant vers son interlocuteur, comme pour souligner l’intérêt qu’il lui porte. Le regard de Vitaly Malkine est franc et direct. Ses yeux bleus-gris, aux paupières légèrement tombantes, plongent littéralement dans les miens.  Chacun de ses gestes est un mouvement vers celui auquel il s’adresse : ce sens du contact humain laisse transparaître son ouverture d’esprit.

Provocateur, facétieux, doté d’un sens de l’humour décapant dont il exploite les ressources dès les premières minutes de l’entretien, il me fait l’effet d’un jongleur jouant avec les mots, dont il savoure le sens et les sonorités. Son français est d’une richesse lexicale étonnante. Pendant toute la discussion, sa recherche du mot juste ou de l’expression appropriée traduit une exigence de précision et d’exactitude : Vitaly Malkine ne se permet aucune approximation. Il évalue autant la justesse de ce qu’il dit que l’effet qu’il produit. C’est pourquoi il corrige régulièrement ses dires, revient sans cesse sur ses propres phrases pour les commenter et leur apporter le degré de nuance désiré. Comme un scénographe ou un metteur en scène, il travaille ses effets : ses premières réponses sont toujours décalées, piquantes, choquantes parfois… Puis, après quelques secondes, il explique, argumente, précise ses opinions.

Nous nous rencontrons pour évoquer son livre : Illusions dangereuses. Je l’interroge d’abord sur le titre, dont j’entends l’intertexte balzacien : « Je suis sans doute le plus ardent défenseur de la culture française », affirme-t-il. Installé en France depuis de nombreuses années, il lit les philosophes français dans le texte, apprécie la littérature et la gastronomie françaises, vante l’art de vivre de nos compatriotes. Il m’annonce avoir autant pensé à Balzac qu’à Choderlos de Laclos : son essai, engagé et sulfureux, vise autant à désillusionner ses lecteurs qu’à les libérer. « Les hommes ont besoin d’illusions, de chimères, pour vivre. Ils ont besoin de croire à différentes choses pour trouver un sens à leur vie, expliquer les mystères et les misères de leur condition. […] Hélas, certaines sont particulièrement dangereuses : elles malmènent l’être humain, le meurtrissent dans sa chair et dans sa tête. Mon livre a pour but de dénoncer ces chimères et leurs effets néfastes. » Nous voilà immédiatement au cœur du sujet : le texte est une diatribe, un « cri de guerre » pour dénoncer les pratiques religieuses qui ne préservent pas la dignité humaine : ascèse, mortification, flagellation, mutilation, excision, circoncision… Toutes ces pratiques sont un « crime », s’échauffe-t-il, « une atteinte à la vie et une entrave au bonheur des hommes et des femmes ».

Bien que théorique et extrêmement bien documenté, examinant rigoureusement les fondements théoriques de toutes les religions monothéistes, ce livre n’en est pas moins une plongée dans l’expérience intime de l’auteur. « Je raconte quelques anecdotes personnelles, des expériences vécues par mes proches ou par moi-même, avant d’examiner les textes théologiques fondateurs qui soutiennent des attitudes ou des comportements coupables ». Car, assure ce docteur en physique : « Les échafaudages philosophico-théologiques des religions reposent toujours sur une expérience vécue… On pense avec son corps, depuis son corps, depuis son existence humaine. J’ai pensé qu’il fallait adapter mon écriture, ma narration, à cette réalité. Cette méthode d’écriture permet, selon moi, de mieux faire sentir la thèse qui est la mienne, de la faire partager ; j’ai voulu écrire un livre vivant, qui parle à mes lecteurs. »

Vitaly Malkine, qui a consacré près de dix ans de sa vie à la conception et à la rédaction de cet essai de plus de 500 pages richement illustrées, a ainsi choisi de s’exprimer dans un langage clair et accessible, parfois avec humour et ironie. Peut-être est-ce là l’une des raisons du succès planétaire annoncé de ce livre, déjà traduit en neuf langues ?

Quand on lui demande de préciser sa condamnation de certaines pratiques religieuses, l’auteur cite immédiatement l’excision. Sujet dont il est l’un des experts mondiaux les plus reconnus : après sa carrière politique, il s’est reconverti dans l’humanitaire en créant notamment la Fondation Espoir, placée sous l’égide de la Fondation Luxembourg et qui lutte, aux côtés de l’Unicef, contre les mutilations génitales féminines en Afrique, particulièrement dans les régions Afar et Somali d’Ethiopie. Malkine se déclare très sensible à la question : il a vu tant de jeunes filles brisées, tant physiquement que psychologiquement, qu’il consacre une grosse partie de sa fortune à la lutte sur le terrain.

En définitive, cet essai, qui, à n’en pas douter, fera polémique, est d’abord un plaidoyer pour le respect de l’humanité. Le paradoxe est que souvent, au nom de valeurs, l’homme en vient à s’automutiler, à s’interdire toute jouissance, tout plaisir, tout bonheur… Et les monothéismes sont largement responsables de cette attitude de rejet de la vie humaine, adoptée dans l’espoir vain de trouver une béatitude supérieure dans l’au-delà. À l’heure où le défi écologique se fait de plus en plus pressant, Malkine invite donc ses lecteurs à apprécier et chérir la vie sur Terre.

Par Bernard Lazare

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