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Vestiaire Collective Ou L’Histoire D’Une Réussite Française

« J’ai besoin de créer ma propre histoire »

Un pull bleu marine, son carnet de notes dont il ne se sépare jamais, une barbe de quelques jours, Sébastien Fabre semble décontracté. Le CEO et co-fondateur de Vestiaire Collective est accueillant : un large sourire, une voix calme et un regard franc. Vestiaire Collective, leader européen de la vente en ligne de vêtements et d’accessoires de mode d’occasion de luxe, peut être fier du chemin parcouru depuis 2009. Cette success  story française continue à écrire son histoire en se développant aux Etats-Unis et sur la zone Asie-Pacifique. Même si l’entreprise a une croissance insolente de 70% chaque année et prévoit d’embaucher 120 personnes dans les 18 prochains mois, « l’ambiance start-up » des débuts semble encore présente. Retour sur le parcours d’un homme intuitif à la vision inspirante pour ses collaborateurs et son entreprise.

 

Sébastien Fabre, quel est votre parcours et quelle est la genèse de l’histoire de Vestiaire Collective ?

Je suis grenoblois, mon père était entrepreneur, et nous avons beaucoup voyagé dans les Pays en Voie de Développement comme Haïti, le Cameroun sur la frontière tchadienne… C’est d’ailleurs ici que j’ai appris à m’ennuyer. Je suis devenu contemplatif. J’étais plutôt moyen à l’école et j’ai une révélation post bac. J’ai passé le concours de l’université d’Oxford. J’ai pris une énorme gifle car je n’étais pas au niveau. J’ai eu une période probatoire et j’ai dû apprendre à travailler et ce grâce à des profs inspirants. Cela m’a appris l’agilité et à être responsable. J’étais dans la grande phase où à l’époque il fallait être trader. Alors, je suis parti travailler à Washington pour une banque Suisse. Je suis resté 9 mois, c’était la pire période de ma vie. Avec tous les jours l’envie de ne pas faire, donc je suis parti pour terminer mon MBA. J’ai démarré ma vie professionnelle en même temps qu’internet. Je suis entré chez Vivendi, puis j’ai été chassé par Microsoft où je suis resté 10 ans. Et j’ai vécu une expérience incroyable parce qu’on sent l’impact de ce que l’on fait. On vous donne les moyens pour faire et on a les équipes derrière soi… il y a une espèce d’émulation incroyable dans cette entreprise. Puis, il y a eu Vestiaire Collective tout de suite après. J’ai toujours eu besoin de créer ma propre histoire. Chez Vestiaire Collective, le jour où je ne contribuerai plus, je partirai. Mais aujourd’hui, j’ai envie de faire les choses et j’ai autant de perspectives aujourd’hui que j’en avais au premier jour.

Pour créer Vestiaire Collective, j’ai d’ailleurs vendu mon appartement. L’idée vient d’une énorme frustration de voir énormément de produits très inspirants dormir dans les placards des gens parce que le rythme des collections va vite. Avec les co-fondateurs au début, on ne s’est fixé aucun rôle et ensuite c’est venu naturellement. Huit ans après, chacun a un rôle très clair et tout le monde semble épanoui. Vestiaire Collective est dans nos gênes et ce même si l’on n’est pas toujours d’accord. Il y a beaucoup de respect. Nous savons tous ce que nous avons à faire. Notre objectif est de continuer à faire croitre l’entreprise qu’on adore tous. 

 

Quel est votre business model ?

On est devenu n°1 en Europe simplement parce que l’on a réussi à faire du sourcing et à s’adapter à chaque pays. Le business model n’a jamais bougé et l’orientation internationale a toujours été présente parce que la mode passe de pays en pays, et du coup le même produit peut être vendu 4 fois.

La question est de dire : Comment on arrive à reprendre les codes de l’industrie de la mode et du luxe et à créer un marché secondaire et non parallèle ? Ce marché secondaire est un business dans la continuité. Le cercle est le suivant : plus il y a de produits qui se vendent dans les magasins plus il y a de produits qui arrivent sur le marché d’occasion, plus vous vendez sur le marché de l’occasion et plus vous avez d’argent pour acheter du neuf. C’est un deal gagnant pour les acheteuses ! Elles découvrent ainsi des produits incroyables du monde entier au travers de 49 Pays.

Aujourd’hui, nous souhaitons nous développer sur la partie Asie-Océanie. Précisément en Australie qui est nativement un gros pays pour Vestiaire Collective. Il a des richesses, un accès et une compréhension de la mode assez forte. Il y a une culture de l’occasion assez développée. De fait, on va renforcer notre croissance en mettant des équipes sur place. Ensuite, nous orientons notre développement à Hong-Kong et Singapour car il y a des acquisitions à faire. Puis viendra le Japon parce que ici encore il y a une culture forte de l’occasion.

 

Quelle est la place de vos partenaires ?

Depuis 2010, ce sont 116 millions d’euros levés…

Thierry Gillier, patron de Zadig et Voltaire, a été un business angel incroyable. A nos tout débuts, il nous a confié 400.000 euros et ce juste avec deux feuilles de papier. Il nous a fait confiance car lui aussi a eu ce parcours et une probable envie de transmettre. Ensuite, nous avons eu un besoin de croissance à hauteur d’1,5 millions d’euros en France via Ventech. Puis, Balderton Capital qui retraduisait la croissance européenne de Vestiaire Collective. C’était l’occasion de travailler avec Bernard Liautaud, Managing Partner chez Balderton Capital, fondateur de Business Object et sage de l’Université de Standford. Par la suite, nous avons eu besoin d’une caution dans la mode d’où l’arrivée de Condé-Nast accompagné par Idinvest. Cela nous a permis d’accéder aux marques de luxe. Nous avons un « fit » incroyable avec le management de Condé-Nast. Nous faisons beaucoup de test avec leurs équipes. Par exemple, lorsqu’ils sélectionnent des produits et qu’ils estampillent un produit « Vogue », c’est 10% en plus de vélocité. C’est un groupe qui donne du temps au projet. C’est une force considérable. Cette démarche a été conforté par Eurazeo qui connait bien le secteur de la mode (qui accompagne aujourd’hui encore Moncler ndlr). La contribution de ce fond nous a permis d’ouvrir sur l’Asie. Depuis très peu de temps, Vitruvian Partners (spécialiste du luxe avec Farftech) vient d’investir à hauteur de 58 millions d’Euros. Ils sont plus que des investisseurs, ils sont la confiance en notre modèle et en notre capacité à prendre le marché. En effet, j’ai besoin d’avoir au board des personnes qui contribuent à notre business autrement qu’avec des lignes de financement.

 

 Quelles relations entretenez-vous avec les marques de luxe ?

L’occasion est un marché considérable. J’imagine que les marques de luxe ne voudraient pas que ce marché existe mais c’est une réalité. Vestiaire Collective donne une visibilité à ces produits qui ont alors une deuxième vie. Les marques sont demandeuses et veulent collaborer pour essayer de comprendre le marché de l’occasion. On est un baromètre pour eux au sujet des nouvelles technologies.

Les marques de luxe sont gagnantes car on réalise des modérations fortes en amont. Nos collaborateurs, venant des marques de luxe ou des maisons d’enchères, contrôlent et authentifient tous les produits. Si l’on a un doute on les rejette.

De plus, on a signé une charte anti-contrefaçon avec les marques de luxe. Les marques travaillent main dans la main avec nous. Elles ont accès à notre back-office afin d’assurer l’authenticité en vérifiant les produits. Certaines marques viennent même nous former au produit. On est dans une logique de professionnalisation. En même temps, on est devenu tellement expert sur certaine marque que l’on est venu enrichir cet univers. Nous avons beaucoup d’agilité pour construire notre catalogue.

 

Quel est le profil des membres de Vestiaire Collective ?

Vestiaire Collective a une dimension communautaire très forte avec ses 8 300 000 membres. La communauté écoute ses pairs et ses influenceurs qui créent cet ascenseur émotionnel et qui emmènent les gens derrière eux. Aussi, Kate Folley (contributrice au Vogue et acheteuse chez Opening Ceremony) ou encore Bay Garnett (styliste de Kate Moss) qui étaient des membres de Vestiaire Collective travaillent aujourd’hui avec nous et pour nous. Lorsque Kim Kardashian (vendeuse sur Vestiaire Collective ndlr) twitte « I’m obsessed with Vestiaire Collective » ce sont 20.000 membres qui rejoignent les rangs de la communauté.

La France représente 35 % du business suivi par l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Nos clients sont à 90% des femmes et une cliente réalise en moyenne 13 ventes/an. Avec le marché de l’occasion, on a permis à une clientèle jeune d’accéder aux marques de luxe et à la mode. A chaque produit correspond une cible particulière. On a les « iconiques » comme Chanel, Hermès, Yves Saint Laurent, Louis Vuitton qui servent toutes les générations. Après, il y a les « marques du moment » comme Off-White qui servent une population différente. Une chose est sûre c’est que nous devons être attentif à l’expérience client ; où dans 98% des cas tout se passe bien. Il faut néanmoins encore l’améliorer pour que cela soit exceptionnel. Le produit est unique et cela doit se traduire dans l’expérience. Il doit se passer quelque chose !

Ce qui est intéressant c’est que 69% des produits passent les frontières et leur redonne vie. 90% des produits achetés par des américaines viennent d’UE, et 90 % des produits vendus par des américaines vont en UE. L’idée c’est qu’il y a une vraie demande des deux côtés.

 

Comment percevez-vous la concurrence ?

On a tous des positionnements très clairs et tant mieux !

Les concurrents américains (créés eux aussi en 2009/2010, ndlr) sont très organisés. Il en existe deux très importants, The Real Real et Tradesy. Les USA sont d’ailleurs le plus grand marché du luxe et de la mode. De notre côté, nous avons démarré en France sur un marché plutôt petit et ça nous a obligé à diversifier nos forces de supply. On source dans 29 pays, on s’adapte et on offre un catalogue que les américains n’ont pas. Pour le marché américain, nous sommes petits mais nous sommes au-dessus de nos chiffres : Vestiaire Collective a plus de croissance en 18 mois aux USA qu’en 3 ans en Europe.

Concernant le marché français, Vide Dressing est une belle histoire locale. Ils ont démarré en même temps que Vestiaire Collective et ce à 1 semaine d’intervalle (sans jamais entendre le projet de l’un et de l’autre). Quant à Instant luxe, ils ont été rachetés par Les Galeries Lafayette.

Aujourd’hui, j’aimerai bien avoir des concurrents à racheter mais lorsque l’on observe de près on est déçu parce que Vestiaire Collective va plus vite que les autres. Quand je regarde les USA on a peut-être des choses à faire… C’est aussi pour cela que l’on a fait ce dernier tour pour se donner les moyens de voir notre croissance autrement qu’organique. L’idée s’est de bien faire l’Europe et ensuite de développer les USA et l’Asie. Tactiquement, c’est passionnément !

 

Sébastien Fabre, quel est votre style de management ?

Avec bientôt 300 collaborateurs, Il y a des choses qui m’échappent et tant mieux !

Je pense que c’est important que j’insuffle l’intuition. Donc, régulièrement, j’explique à toute l’équipe ce que l’on fait stratégiquement. C’est important de diffuser le message. Je suis pour le partage de l’information pour que toute le monde sache ce que l’on construit et ainsi partager tous les mois les échecs et les victoires. Il y a beaucoup d’humanité et aucun formatage au niveau des profils chez Vestiaire Collective. Nous avons des personnalités très diverses et variées ! Notre rôle à nous, c’est de faire en sorte que, chaque semaine, les collaborateurs aient une idée claire d’où ils doivent aller. Nous sommes très agiles et du coup cela peut être perturbant. Pour exemple nous déménageons tous les 3 ans. Nous réfléchissons à créer des hubs un peu partout et un bureau plus central. Avec 70% de croissance chaque année, ce qui est important c’est que l’ADN de Vestiaire Collective subsiste.

La communication doit être fluide, 90% du temps ma porte est ouverte et tout le monde peut rentrer. Les équipes internationales viennent une fois par mois. Une semaine sur deux je voyage dans les pays où Vestiaire Collective est présent car on a besoin de garder le lien afin de faire circuler l’information. C’est pourquoi, je suis aussi à New York une fois par mois. 

D’autre part, je souhaite que les collaborateurs vivent l’expérience client. Donc, chaque collaborateur doit vendre un produit au moins une fois par mois. Parfois, on fait ça collectivement ce qui permet de partager un agréable moment et surtout de faire remonter beaucoup d’informations.

Je suis assez fier des équipes qui réagissent comme si c’était leurs « boites ». Les gens se sentent bien, j’ai l’impression qu’ils ont le sentiment d’être entendus et qu’ils ont plaisir à aller au bureau. Grâce au respect, on arrive à faire communiquer des populations différentes comme les équipes de stylistes et les équipes de développeurs informatiques. On a réussi cela parce que chacun arrive à comprendre où l’on va. Nous avons beaucoup de clarté sur les ambitions de l’entreprise sur comment on y arrive et comment chacun peut y contribuer.

 

Quelle est votre vision de l’entrepreneuriat ?

Je ne sais pas si l’on naît entrepreneur. Ma vision c’est qu’il faut créer sa propre histoire. Je pense que l’idée c’est de créer de la valeur (pas forcement pécuniaire). C’est potentiellement changer la vie des gens et d’apporter des solutions à l’instar d’AirBnB ou Blablacar. La France est un pays d’entrepreneurs. Il ne faut pas avoir peur de l’échec et lancer un business en pensant qu’on va se planter. Où sont les risques ? Il faut juste oser. Ce n’est pas une fin en soi, l’entrepreneuriat correspond à une phase de la vie. Ça apporte une satisfaction de sentir que l’on impacte et que l’on est moteur. La réalité c’est aussi énormément de travail. Vestiaire Collective, c’est une partie de ma vie !

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