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Vers Une « Européanisation » Du Droit Des Faillites : Une (vraie) Révolution ?

Auteur : Rudy and Peter Skitterians

Cet article a été co-rédigé avec Aude Kersulec, économiste. Alors que le nombre des faillites d’entreprises en 2016 s’annonce plus mauvais qu’en 2015 selon le cabinet Bisnode D&B qui table sur une hausse de 3% pour la France, la Commission européenne s’attaque – enfin – à l’harmonisation des procédures collectives, ouvertes quand une entreprise se trouve en difficulté pour honorer ses dettes.

 

Avec deux objectifs : prévenir, plus en amont, l’apparition de ces difficultés. Traiter ensuite, plus rapidement, les sociétés qui n’ont pu y échapper. Eviter, en tout cas, la liquidation.

Pour y parvenir, la Commission change de paradigme. L’entreprise, même en difficulté, a désormais une valeur, fût-elle résiduelle. C’est elle qu’il faut préserver et redresser. De ce postulat économique découle, en terme juridique, un basculement du pouvoir au profit des créanciers.

 

L’importance économique de disposer d’un droit des procédures collectives efficient

Ce sont surtout les incertitudes engendrées par l’issue des procédures collectives qui pèsent sur l’économie. Elles nuisent aux décisions d’investissement, détruisent l’emploi (1,7 millions par an) et n’empêchent pas la propagation des chocs.

La confiance s’en trouve diminuée, restreignant l’accès au crédit. Les banques restent plombées par le poids de prêts non performants et mal restructurés (980 milliards d’euros à fin 2015 selon la BCE).

Face à ces constats, la Commission avait, en 2014 déjà, adopté une recommandation qui n’a pas été appliquée. D’où la nécessité d’instaurer un socle minimum de règles, cette fois obligatoires. 

 

Les blocages français actuels

Les crises traversées par Technicolor, et plus récemment Vivarte et SoLocal  illustrent la difficulté, voire l’impossibilité, d’imposer rapidement et efficacement en France la restructuration de dettes. Pour deux raisons qui tiennent, pour l’essentiel, à un rapport de forces favorable au débiteur et ses actionnaires et au poids, égalitaire, accordé à chaque créancier.

  • Le rapport de force favorise débiteur et actionnaires. Les actionnaires ont la faculté de bloquer une restructuration reposant sur une conversion des créances en capital et leur dilution, même s’ils n’ont plus aucun espoir de gain. Si les créanciers, qui ne peuvent imposer leur solution, rejettent le projet du débiteur, les tribunaux peuvent les contraindre à rééchelonner sur 10 ans leurs créances, retardant l’adoption d’une solution pérenne.
  • L’affaiblissement de la loi de la majorité. Les créanciers ont le même poids lorsqu’ils votent sur le projet de restructuration, quel que soit leur rang de remboursement, et qu’ils bénéficient ou non de sûretés, créant conflits d’intérêts et solutions de compromis parfois non – viables.

 

Une révolution : imposer une restructuration aux créanciers et actionnaires récalcitrants

Pour corriger ces écueils, à l’instar notamment des procédures nord-américaines, le projet de directive s’appuie sur la valeur de l’entreprise. Comment la répartir alors qu’elle est – par nature – insuffisante pour désintéresser toutes les parties prenantes ? Le critère le plus prévisible est celui de l’ordre de remboursement dont bénéficient actionnaires et créanciers.

La Commission en tire une nouvelle répartition, cette fois juridique, du pouvoir : ceux qui n’ont aucune espérance de recouvrement ne pourront plus faire obstacle à une restructuration, qu’ils soient actionnaires ou créanciers.

Pour atteindre ce but, les créanciers sont groupés en classe selon leur rang de remboursement. Chaque classe vote à la majorité, en montant de créances, sur le projet de restructuration. S’il n’est pas approuvé par toutes les classes, il peut être imposé. La décision appartient, sous le contrôle du juge, au groupe de créanciers dont le recouvrement de la créance dépend de la réussite du projet, permettant de passer outre aux intérêts minoritaires récalcitrants (généralement, actionnaires ou créanciers subordonnés).

 

Une révolution néanmoins encadrée

La Commission instaure toutefois deux garde-fous.

  • La restructuration doit être plus favorable qu’une liquidation (best interest of creditors). Seront comparés les montants que recevraient les créanciers dans deux scenarii : liquidation ou poursuite de l’activité. Si le montant reçu dans le premier est supérieur, la restructuration ne pourra être imposée.
  • La restructuration ne peut déroger à l’ordre des remboursements (absolute priority). Aucun créancier ne peut recouvrer même partiellement sa créance si les créanciers bénéficiant d’un rang meilleur n’ont pas recouvré l’intégralité de leur dû.

 

L’effacement des dettes des entrepreneurs individuels : permettre un véritable rebond

Enfin, le projet de directive prévoit l’apurement des dettes du débiteur, entrepreneur individuel, au-delà d’un délai maximum de trois ans. Si cela peut paraître court et entrainera de nombreux débats (il est de sept ans en Autriche et cinq ans en Allemagne), c’est un signal fort de soutien aux créateurs d’entreprise. En effet, la stigmatisation sociale et les suites juridiques d’un défaut de paiement sont trop souvent dissuasives pour ceux qui souhaiteraient bénéficier d’une seconde chance.

 

Faire de l’échec une expérience : c’est peut-être dans ce domaine que le projet de directive offre à la France l’opportunité de faire sa vraie révolution.

 

Aude Kersulec, économiste

Benoît Fleury, associé corporate chez Gibson Dunn

 

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