logo_blanc
Rechercher

Une Europe Vierge Comme Un Désert Numérique

La virginité est une vertu pour certains. Elle doit en effet être préservée, afin de respecter le rythme du temps et l’arrivée naturelle de la nécessaire maturité. Passer à l’âge adulte n’est pas anodin et entrer dans le monde des grands est parfois peu souhaitable, tant la planète et la société que les adultes laissent à l’humanité, est, à de nombreux égards, assez décevante face à ce que des siècles d’évolution semblaient nous promettre.

Mais quand il s’agit de la vie des entreprises, et de celle des Etats, il est une virginité que l’on aimerait voir s’effacer de la façon la plus rapide, car elle nous empêche le passage à l’âge adulte et obscurcit la promesse d’une nouvelle croissance. L’Europe est un désert numérique, un plat pays sans relief et sans pouvoir, sans goût et sans ambition, à qui il manque le western et les baguettes pour exister.

Je n’ai pas encore bien compris ce qu’était la transformation digitale ou la transition numérique, tous ces termes qui masquent un désarroi profond face aux changements, et à qui l’on s’efforce de trouver un nom pour simuler une réelle compréhension. Voire une maîtrise. Ces termes qui alimentent le chiffre d’affaires de pathétiques « experts », qui pour la plupart l’abordent sous l’angle technique et technologique, ce qui est une erreur fondamentale quand on envisage le bouleversement sociétal, 100 fois supérieur. Comme les avocats qui n’affrontent la complexité du droit qu’en ce qu’elle contribue à la croissance de leurs honoraires, nos dis « experts » sont en réalité aussi secs que vous et moi, pour accompagner un changement en marche, ou plutôt « en course » : laissons à Macron ce qui appartient à Macron.. .

A titre d’exemple, et pour vous divertir, grâce à notre ami Pascal Picq, anthropologue, membre du Collège de France, quand nos ancêtres, les premiers hominoïdes, de grands singes, ont été dotés de la vision des couleurs, ils ont choisi des fruits en fonction de leur couleur justement, et plus seulement, de leur taille ou de leur saveur. Ce faisant, ils ont bouleversé la « chaîne de production » de la nature, qui s’est mis à en fabriquer plus, au détriment d’autres, par exemple. Mais aussi, à entraîner la convoitise de parasites divers, qui, attaquant les arbres, leurs feuilles et leurs fruits, ont déclenché chez nos arbres sympathiques, des mécanismes de défense pour « intoxiquer » leur agresseur, rendant ainsi toxiques des feuilles que mangeaient ces mêmes singes, qui ont dû apprendre à s’en méfier pour ne pas mourir empoisonnés. Tout cela s’est passé dans le temps, sous leurs yeux, mais de façon invisible. Dès que l’on est trop près, on ne voit plus. Raison pour laquelle, il faut écouter les experts avec une distanciation salutaire !

C’est exactement ce qui se passe avec la transition numérique. Le bouleversement est à l’œuvre, mais nous ne voyons encore pas un dixième des transformations, sous forme de réaction de la « nature » économique et sociétale, qui se mettent en mouvement, pour réagir. Or si un aveugle entend toujours mieux que vous et moi, par définition, il ne voit pas. Alors attendons un peu.

En revanche, ce que je comprends et vois, comme tout un chacun, c’est l’évidence, la traduction quantitative de cette dite transition numérique. Et le constat est simple, en termes d’industries stratégiques pour le siècle présent, et pour conquérir les places disponibles au paradis du rebond économique par le digital, l’Europe n’existe pas.

Les réseaux sociaux, ce n’est pas elle. La data, ce n’est pas chez nous. Le moteur de recherche et moteur de notre asservissement possible au prédictif, à la dictature de la masse façonnée par ses leaders, toujours pas nous. L’intelligence artificielle se pense ailleurs. Au niveau de l’Europe, l’intelligence n’est pas artificielle, elle est superficielle. L’investissement sur les leaders de demain, ce n’est pas ici. Et la logistique qui sous-tend et soutient ce monde de services à domicile, commandés à la voix et l’index, ce n’est pas nous non plus. Les entreprises leaders s’appellent Ali Baba, Facebook, Google, Amazon, SpaceX. Western et baguettes.

Les USA et la Chine nous ont justement mis à l’index en y mettant nos populations tactiles, et nous font un superbe doigt d’honneur. Ils ont l’index et nous le majeur. Si les prévisions à 2050 ne montrent plus un seul pays européen dans le top 10 des puissances mondiales, c’est que faute de prendre le risque de dominer le numérique à l’échelle européenne, nous allons devenir des impuissances mondiales ! De cette ère glaciaire sur le numérique européen, à l’heure du réchauffement climatique mondial, le seul dinosaure qui pourra courir le 100 mètres en moins de 10 secondes, ce sont les USA et la Chine. Auxquels se sera accroché l’Inde, pour avoir investi à temps dans ses ingénieurs.

Les acteurs mondiaux ne sont pas européens. Pour le coup, nous arrêterons peut-être enfin de nous comparer à l’Allemagne, c’est déjà cela, tant ce pays soit disant idéal, semble afficher en cette matière le même désarroi. Dans un pays sans démographie, le digital, qui est le fait de la créativité des plus jeunes, restreint ses chances d’avoir un avenir en réduisant sa reproduction. Nos économistes et leaders économiques devront se trouver un point de comparaison plus lointain, car l’avenir ne se passe pas plus de l’autre côté de cette frontière-là. Tout juste Rocket Internet. L’exception qui confirme la règle.

Les acteurs sont américains, soutenus par Israël. Une large partie de l’innovation made in USA est en fait israélienne. Ce petit pays magnifique, où vit 1 « startupper » pour 1180 habitants, et qui réfléchit uniquement à des innovations de taille mondiale, alimente les USA en innovations fantastiques. Ils ne « calculent » même pas l’Europe. Au mieux, le Royaume-Uni, mais « c’était avant ». Et encore. Il y avait, il y a peu de temps encore, plus d’entreprises d’origine israélienne cotées au Nasdaq, qu’issues de tous les pays d’Europe réunis ! Je rappelle que vivent en Israël moins de 7 millions personnes, contre moins de 400 millions pour l’Europe. Ils ont relu depuis longtemps, eux, David et Goliath.

Les autres géants sont chinois. Il y a aussi un peu de Russes, mais eux aussi, faute de démographie et faute d’une économie aussi prometteuse, risquent comme leur source d’énergie, de devenir fossiles. Les Chinois ont tout compris. Une économie impraticable, gérée par des communistes capitalisés, qui protègent leur croissance tout en prétendant venir manger à la table de l’OMC, qui ont pillé les innovations des Occidentaux rongés par l’appât du gain, jusqu’au moment où leur créativité et la taille de leur marché intérieur leur permettraient d’innover en interne, et si possible, sans nous. Un investissement massif dans les technologies, tout en les mettant à l’abri de la concurrence le temps nécessaire pour les faire grossir et échanger cette valeur contre une part du gâteau américain. Si j’en crois à nouveau Pascal Picq, les grands hominoïdes trouveraient une part assez large de leurs origines en Asie, et si c’est le cas, cela expliquerait que ce n’est pas à eux qu’on apprendra à faire des grimaces.
Aujourd’hui Yahoo est chez Ali Baba qui est chez nombre de start-up américaines. Uber a cédé face à son concurrent chinois, mais a récupéré une partie de son capital au passage. Facebook adapte un peu sa vertu et sa transparence au marché chinois, pour s’y faire une place et continuer sa croissance. Et à chaque fois les Chinois exigent des contreparties, que nos économies et nos entreprises, rivées et obsédées par la croissance trimestrielle du chiffre d’affaires et de la rentabilité, s’empressent d’accepter, afin d’avoir une petite partie de ce paradis, qui deviendra pourtant leur enfer à terme.

Page suivante : La Chine et les USA se partagent le monde

 

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC